#L4/ mais c’est quoi un livre ?

– D’Anne Thébaud, « Reliquaire ». Elle, elle essaye de rassembler les fragments de soi. Lucidité perforante. Où telle intensité du sombre de nos vies comme morceaux de barbaque raboutés ? Ni l’amour, ni la littérature pour sauver.

– De Calamity Jane, « Lettre à sa fille ». Une mère à sa fille. Pas elle qui aurait-écrit ? On s’en fout. Un tel viatique si lourd d’amour qui pour le refuser ?

– D’Antoine Sylvestre, « Toinou, un paysan auvergnat » ; de Pierre Bergounioux, « Miette »; de Pierre Michon, « Vies Minuscules »; d’Alain Corbin, « Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot »; de Raymond Depardon, « Les paysans »; de Walker Evans, « Louons maintenant les grands hommes »; d’Edmond Baudoin, « Couma acò »; de Zola, « La Terre ». Retrouver les maigriots qui t’ont précédé, fantômes du dedans dont tu ne sais rien d’autres que les noms au cimetière, l’ombre des murs de la vieille maison et une poignée de photos grises d’oubli.

– De William Faulkner, « La Demeure, le Hameau, la Ville ». Trump is a Snope, is a Snope, is a Snope. But VK Ratliffe & Gavin Stevens.

– De Jean-Paul Sartre, « Les mots ». Jouer à Pardaillan avec lui dans le salon bourgeois et la musique de la mère pianiste pour bande son.

– De Georges Darien, « Le voleur ». Des chaussons pour voler les bourgeois et, à l’âge d’entrer au Cabaret-Vert, séduit par la mise en garde/en abîme de l’éditeur. Du roman ? Mon œil !

– De Danielle Bassez, « Écrits dans les marges ». Cette fois, une fille à son père. Ses traces gribouillées aux pages des livres : biffures, cornes … Légères, fragiles, ténues. Esquisses du dedans du lecteur dans les mots des autres. S’y retrouver ?

– De Roland Barthes, « La préparation du roman »; d’Antoine Emaz, « Écrire, un peu »; de Pierre Bergounioux, « Bréviaire de littérature à l’usage des vivants ». Parce qu’il m’en faut des biscuits, des munitions et des bouées pour embarquer en littérature.

– De Peter Handke et Win Wenders, « Les Ailes du Désir ». Regarde, regarde, note, renonce à ton armure pour vivre. Fini le noir et blanc. Synchrone de la bascule ado/adulte.

– De Pierre Bergounioux, « Carnets de notes ». Tu lis ça comme un roman « page turner ». Ce plaisir toujours renouvelé, sériel, cyclique des séjours aux grands bois. La césure aussi entre les temps, les lieux de l’écriture et de la sculpture.

– De Primo Levi, « La Trêve ». Sa rencontre avec « le fils de la mort ». Justifie le reste de sa vie. « Mastiklo ! »

– De François Bon, « C’était toute une vie ». Prends-toi ça dans la gueule. Elle est là la littérature, pas à changer la vie, juste à dire une vie qui ne sautera pas aussi dans le grand oubli.

– D’Ilya Kabakov, « Installations ». Quand le regardeur devient promeneur ! Gratitude pour ça.

– D’Édouard Levé, « Œuvres ». Être juste, juste au point le plus avancé à la confluence entre art visuel et littérature. Rester là, juste là.

– D’Édith Thomas,« Pages de journal ». Écrire/tenir malgré le remugle de la sale époque juste là, sur son épaule.

– D’Abbas Kiarostami « Des milliers d’arbres solitaires ». Ses bouts de poèmes, la même simplicité puissante que ses films.

– D’Hergé, « Le crabe aux pinces d’or », mon premier achat de lecteur pour 15 francs de l’époque, dans un hypermarché. « Les bijoux de la Castafiore ». Quand il devient ton préféré, il parait que tu es devenu adulte.

– De Tolkien, « Bilbo le Hobbit ». Cette longue lecture de la fin de l’enfance, ce gros livre gris emprunté à la bibliothèque, jamais tu n’aurais voulu en sortir.

– De Jacques Tardi, « Le savant-fou », « 120 Rue de la Gare » et « Griffu ». Pour ce qu’Adèle Blanc-Sec et Nestor Burma ont ouvert vers le fantastique et le polar, à l’adolescence.

– D’Andréas Eschebard « Des milliards de tapis de cheveux ». Pour l’originalité formelle du tissage des points de vue, pour la puissance de l’univers. Qu’ils ont dû être dur à écrire les livres d’après !

– De Marcel Proust, « Un amour de Swann ». Ta Vivonne à toi, elle est pas du côté des Guermantes, ses eaux sont boueuses, piégeuses, les gosses essayaient d’y pêcher des goujons, pas des vairons mais, c’est à elle que tu as pensé en lisant ce passage de la recherche, paumé loin dans la ville de tes études.

– De Roland Barthes, « Fragments d’un discours amoureux ». Au plus haut mais ne pas lire n’importe quand. Aussi pour revenir à Anne Thébaud.

Codicille : dépassé les dix-quinze de la consigne, ça vire au déballage, à l’étalage. Pour le classement, le rayon de la bibliothèque puis les huit derniers sont remontés à l’écriture. Par contre, aucun des livre lus ces six dernières années. Encore à décanter. Repasser ici plus tard, bien plus tard ? Ce triste constat aussi d’un lecteur très occidentalo-centré … Pour les Ailes du Désir, un peu de la triche mais, j’ai bien le livre publié par Jade et Flammarion en 1992.

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

Un commentaire à propos de “#L4/ mais c’est quoi un livre ?”

  1. Aah vraiment merci pour les munitions en dégradés craquelures, glissades, micro-virage puis douce bifurcation, coup de poing, croix de bois. Souple bataillon de voix éminentes, ranimées ici, sans vous presque oubliées… Merci !