#L6 Elle se tient seule

Se réveiller enfin — Elle ne sort pas bien de sa léthargie — Pas tout à fait — Il lui reste encore beaucoup de sommeil dans les yeux — Dans le dos — Dans les articulations — Derrière le front — Seule — Ne pas se lever encore — Elle reste blottie dans ce petit bout de lieu sur la Terre — Son regard va accrocher une tapisserie jaune pâle — ou bleu délavé — Ou quelque autre couleur entre les deux — Faite des deux —  Elle fixe flou un ou plusieurs motifs — Le papier-peint — Elle effleure au passage une croûte pendue au mur de droite — À la va-vite — Une chasse à courre — Ou un paysage de forêt — Elle ne sait pas décider — Changer de position — Elle se met à genoux sur le lit — Voir le sol — Moquette passée beige — Ou lino gris perle — Ou quelque autres matière et couleur — Se demander où elle se tient — En cette matinée commençant voilée — Avec ses courbatures qui s’obstinent — Elle croit entrevoir les éléments de sa chambre — Persister dans un demi-réveil — Elle regarde le rideau de plastique neutre — À gauche de la fenêtre — Il sépare le coin lavabo du reste de la chambre — Rideau entrouvert — Laisse compter seize carreaux de faïence mal jointoyés — Elle ne distingue pas de bac à douche — Se rallonge — Tente d’atteindre les deux bords du lit — Avec ses bras écartés — Deux tables de nuit — Une avec la lampe — Au plafond une coupelle ancienne — Le plafonnier — Sur les murs latéraux deux appliques du même verre dépoli — Elle a probablement bien dormi — Elle n’a pas fermé les volets — Ne pas se souvenir d’aucun cauchemar — Se souvenir de rien — Pas encore — Le sommier est à ressorts — Inconfortable — Grinçant — Rude et trop mou à la fois — Sur quel partie du bourg donne sa croisée — Elle n’en sait encore rien — Rue triste — Sombre cour — Elle ne veut pas y penser — S’asseoir au bord du lit — Poser les pieds douloureux sur le sol — Elle est seule — Elle n’entend pas les ondes murmurées par les couloirs de l’hôtel — Commencer à imprimer sa nouvelle réalité — Tapisser sa boîte crânienne — De tout ce qui est neuf pour elle — Cette chambre ancienne et sans rien — Inspirer profondément — Se tenir sur ses jambes — Pas à pas longer la lisière de la courtepointe non défaite — Gagner le jour — Jeter un œil — Sa chambre donne sur la place — Peu animée à cette heure — Pas un bruit — Pas de rumeur — Rien — Elle s’étire — Elle va rester — Déballer ses sacs dans l’armoire faux rustique

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

Un commentaire à propos de “#L6 Elle se tient seule”

  1. ( je suis passé aussi par là, lecture à rebours en cours) je m’attache à elle, au réveil ailleurs, sa solitude est pleinement vide, mais elle est aussi très sensuelle,