#L7 n°2 du 5 août 2021

Je poursuis ici le carnet d’accompagnement du projet en cours (voir le PDF mis en ligne), ne sachant pas si cela durera, si le projet « prendra ». C’est avant tout un outil méthodologique, une distance prise, un pas de côté.

  1. Je termine aujourd’hui et la lecture de Oter les masques d’Eric Pessan, recommandé par François Bon, et la frise chronologique sur Tiki Toki. Pour cette dernière, je me suis appuyé sur le livret de solde de mon père. Certes un certain nombre de jalons, de bornes, mais que de vide entre. J’ignore comment je vais me dépatouiller de tout cela. Les faits relevés, les évènements, les périodes (permissions, missions de maintien de l’ordre) sont purement administratives et comptables. Bien sûr, ils ne disent rien de ce que mon père a vu, senti, vécu. D’une certaine façon, je ne suis guère avancé : reconstituer le dinosaure d’après une dizaine d’os ? Le livre de Pessan est lumineux, à sa manière de n’avoir pas écrit sur ce qu’il voulait écrire (un roman de genre sur un château hanté). Leçon sur l’écriture (livre d’un échec de la première intention, puis livre tout court, à part entière, sur la traversée d’une résidence d’écrivain avortée mais traversée par les fantômes littéraires (S. King et son roman Shining) et les fantômes personnels (souvenirs d’enfance, puis écriture). 217 fragments, selon le chiffre secret de Pessan, qui fait écho au numéro de la chambre 217 de l’hôtel Overlook, hantée par un fantôme agressif qui attaquera le petit Danny, fils de l’écrivain Jack Terrance. Je rejoins Pessan sur le jeu de sourcils et le sourire carnassier de Jack Nicholson, fatigants à la longue. Que Kubrick n’ait pas respecté le roman est une autre histoire (cf. André Bazin et son article «  Pour un cinéma impur » sur les adaptations d’œuvres littéraires au cinéma). J’ai beaucoup aimé la sincérité du propos de Bessan sur les nombreux thèmes qu’il aborde dans ses fragments (humilité et orgueil face à l’écriture, l’ivresse, etc.), outre le fait que j’ai vibré comme lui en lisant les BD de la Marvel, Pif gadget. Je vérifie son âge : il est né en 1970, soit 4 ans après moi (et a déjà tellement écrit que j’en ai bêtement un gros pincement au cœur, égoïstement, moi qui ai dû passer par d’impossibles affres pour décider de ne plus procrastiner – non par lâcheté, mais tout à fait empêché, noué par d’obscures forces liées, justement, au père, à la Loi, à un surmoi littéraire forgé en métal trop dur). Donc, manches retroussées. Je ne connaissais pas Eric Pessan, mais me sens chez moi dans ce livre.

NB : c’est sans doute la première fois que je tiens une chronique de ce sur quoi je travaille. J’avais bien accumulé des notes (16 carnets à ce jour), mais jamais de chronique. Time is not on my side.

  1. Je tiens à distance le carnet de mon grand-père. C’est bien trop tôt pour me lancer dans cette autre aventure. Je dois absolument me confronter à ces six années algériennes. Danièle Godard-Livet me signale le roman de Thierry Crouzet, Mon père, ce tueur (https://tcrouzet.com/mon-pere-ce-tueur/). Thierry Crouzet semble avoir travaillé à partir de notes et de photos. Voilà une direction que je ne peux pas prendre, faute de matériau. Tout cela en vaut-il la peine ? J’ai de gros doutes. Ecrire «  sur une colonne absente », écrire sur du vide. Guère neuf, mais là n’est pas la question. C’est plutôt : comment faire ? La méthodologie donnée par FB dans le TL m’aide beaucoup, particulièrement la proposition 7 des différentes strates d’écriture (condenser le déjà écrit, poser le « à écrire », réfléchir au geste de l’écriture, faire jouer ces plaques entre elles et observer ce que les frictions pourraient faire naître. C’est un début.
  2. Lectures parallèles, comme je l’ai toujours fait : Ce temps qui ne passe pas, de Pontalis (parce qu’il a analysé Perec, et que j’avais aimé de Pontalis Avant, et que Perec est absolument essentiel pour moi – je le lis avec précautions, comme Henri Michaux : j’ai peur d’être écrasé ! ), mais aussi Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? de Raphaëlle Branche, et je relis, le soir, Romeo Dog de Stephen Hunter (dilection pour la littérature américaine, notamment les polars et thrillers : l’histoire d’un ancien tireur d’élite du Vietnam qui va être manipulé par on ne sait qui, à ce stade de ma lecture. Mais le rhizome militaire/passé est bien là). Ai laissé momentanément de côté le séminaire X de Lacan sur l’angoisse et Inhibition, symptôme et angoisse de Freud, comme deux points aveugles ou presque sur lesquels je dois inlassablement revenir.
  3. Je réalise qu’à écrire sur ses propres lectures (ce que je n’avais jamais fait de cette manière : j’ai accumulé donc des carnets, des notes de lectures, des analyses « savantes » sur Perec et Pacheco (le seul article publié), sur Robert Merle (j’ai beaucoup à dire sur cet auteur qui me semble injustement oublié, il faudrait (sic) y revenir, entre autres sur l’excellent Malevil ; sur Roberto Bolaño et son Troisième Reich (encore le tropisme militaire) dont un écho apparaît dans mon projet algérien (il a un titre que superstitieusement je ne dévoile pas), à écrire sur ses propres lectures donc, émergent des îlots de sens, des tropismes (j’aime bien ce mot), et que c’est là un outil méthodologique comme un autre – la meilleure décision que j’ai prise après avoir décidé d’écrire est de m’être inscrit aux ateliers de François Bon : c’est cela qu’il me fallait, c’est la recherche non plus d’un maître (le discours du maître cher à l’hystérique) mais d’une communauté éclairée qui me force à briser la coquille de la monade. Des lectures par les autres, des arts de faire différents, des textes relus ou des découvertes, des discussions, des rencontres denses et émouvantes : tout cela rend l’exercice de l’écriture moins solitaire, plus chaleureux.
  4. Et donc se multiplient les focales : notes prises à la va-vite pour ne pas laisser s’échapper une idée, un rêve (consignées sur les carnets en cours XV et XVI), notes plus élaborées (carnets, Writer de LibreOffice), travail de composition (Writer, Scrivener) publié sous forme de PDF sur le TL (4 pauvres petites pages !), carnet d’accompagnement du projet en cours (que j’ai finalement choisi de publier sur le TL to the happy few de la communauté), et bientôt publications sur le site internet en partie achevé mais à nourrir, L’Oeil a faim sous WordPress, qui regroupera un peu tout le travail entrepris depuis des lustres (et particulièrement les dessins, encres, gravures, photographies qui me tiennent à cœur, que j’ai le projet d’autopublier). Le temps presse, le temps presse, même et surtout s’il ne passe pas.

A propos de Bruno Lecat

Amoureux des signes dans tous leurs états.

6 commentaires à propos de “#L7 n°2 du 5 août 2021”

  1. Salut Bruno, j’ai eu envie de passer par tes notes…
    oui écriture de Pessan lumineuse, contenu et forme, tout ensemble…
    Ce qui me reste après avoir lu cette série n°2, c’est une question : et toi dans tout ça ?
    à te retrouver…

  2. Merci pour ce détour Françoise. Et moi dans tout ça ? En carafe, faute de matériau…je lis donc…Cela va être long !

  3. J’aime votre façon d’expliquer votre démarche d’écriture… belle démarche d’écriture