#voyages #07 | Cette persistance des pins

Pendant un temps nous y sommes allés chaque année, la voiture ras-la-gueule, le chien allongé sous mes pieds me faisait moquette durant le trajet. Villégiature de bord de mer, le mot sonne comme village mais clairsemé de maisons, de villas, lauriers-roses et pins longtemps nommés parasols par erreur. « Pin » est accolé au nom de la commune, pins maritimes mais aussi d’Alep ou pins noirs plantés de longue date pour limiter l’ensablement. C’est la forme évasée, longue, couvrante que l’on voit en arrivant. On hume de loin le parfum de résine et de sève que disperse le froufrou balançant son air de vacances, de douceur parfumée. Sans oiseaux mais dans ce parc d’une de nos locations, des écureuils qui m’apparaissaient alors le comble des aventuriers, grimpant si-haut, jusqu’aux cimes dodelinantes. Pin, sonore aussi, ses aiguilles craquant à chaque pas qui faisait lever le museau fébrile du chien (qui sait si ce n’était pas l’annonce d’une promenade). Par grande marée, les arbres s’agitaient de soubresauts dans un ciel pommelé virant invariablement à l’anthracite ces jours-là.

Il fallait prendre la voiture ou marcher longuement, chargé de nos affaires de plages, de nos victuailles pour atteindre la limite, ce bout du monde comme une terre promise. On y accédait par des sentiers étroits à travers le sable. Là, c’était dunes venteuses en butée, crissant sous les pieds, végétaux qui piquent, jusqu’à apercevoir, enfin, l’océan.
La première chose c’était se changer sous la cape en tissu éponge que, je crois, ma mère avait confectionnée, sorte de cabine textile, portative qui nous cachait aux yeux des autres. Nous sortions les accessoires de plastique et je construisais le premier château de sable de la saison. Plus tard, j’échafaudais avec un enthousiasme rapidement déçu des piscines que l’on tentait vainement de remplir d’eau mais que le sable absorbait aussitôt. C’était un ogre infini, il semblait que jamais il n’en eût assez. Il buvait tout ce que l’on apportait dans des seaux et un minuscule arrosoir. Il ne restait à la fin que quelques centimètres de liquide trouble, boueux, qui ne pouvait avoir de baïne que le nom.

La baignade c’était le grand frisson. Faire semblant qu’il y avait des requins ou éviter des méduses véritables quand elle ne s’échouaient pas par bancs entiers sur la grève. Surtout, j’attendais les très grandes vagues, les très hautes de plusieurs mètres, qui nous engloutissaient. Là était la petite frayeur contre laquelle nous opposions un vrai courage, dans la sensation de survivre à un événement considérable. Je me laissais engloutir, refouler, je faisais tonneaux sous la surface, tourneboulée, et finalement échouée. J’en ressortais échevelée, et crachant l’océan comme un phoque, par la bouche et les narines. L’océan creusait en moi un sentiment d’aventure et un appétit solide. Le midi c’était dévoration. Puis, nous nous laissions bercer par le murmure des vagues, entre effluves d’algues, de sel, de crème solaire, fleur de tiaré ou coco écœurant, luisant sur la peau. L’eau laissait des traces blanches, longilignes sur les maillots après séchage.

Chaque jour la même journée, chaque année pendant dix ans le même voyage. Un jour, mon père a acheté ce voilier dont la coque en remorque nous servait de fourre-tout pour le mois lors du trajet. A l’arrivée, on déchargeait, mon père allait ensuite amarrer au port. Parfois, et sans doute bien plus tard, le bateau restait sur sa remorque et on le sortait à l’occasion. On roulait alors jusqu’au parking d’une plage au plus proche de l’océan, équipé d’une descente aménagée tout exprès. On le descendait et on le poussait sur le sable, à trois ou quatre. Mon père apprêtait, ceux qui allaient embarquer s’équipaient. Nous enfilions gilet de sauvetage, chaussions nos lunettes de soleil, nous vissions une casquette sur la tête. Nous poussions alors le bateau à l’eau et montions rapidement à bord. On s’en allait à la rame, puis mon père déployait les voiles, actionnait le moteur pour gagner le large. Là seuls le gouvernail et le vent dirigeaient les opérations. Nous fendions les flots, les vagues aérosols nous éclaboussaient, nous léchions les gouttelettes sur nos peaux salées. Nous étions des capitaines au long cours ou des corsaires jusqu’à ce que mon père nous rabroue parce que nous n’étions pas attentifs aux conseils de navigation ou que nous ne faisions pas les bons gestes, que nous n’étions pas assez rapides pour effectuer les manoeuvres. Brusquement redevenus mousses, corvéables, renfrognés, râleurs, rameurs à la fin, nous accostions avec soulagement, pressés de regagner nos pénates approximatives de contrebande.

A propos de Perle Vallens

Au cœur d’une Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie (https://perlevallens.photo). La poésie se tisse de mots et d’images, les uns nourrissant les autres. Ecrire c’est explorer l’intime et le monde, porter sa voix pour toucher. Publie récits, nouvelles et poésie en revues littéraires et ouvrages collectifs. Lauréate du Prix de la Nouvelle Erotique 2021 (au diable vauvert) et autrice d'un livre de photographie sur l'enfance, Que jeunesse se passe (éd J.Flament), d'un recueil de prose poétique aux éditions Tarmac, ceux qui m'aiment. Touche à tout, pratique encore le caviardage, le cut up (image et/ou son), met en voix (sur soundcloud Perle Vallens ou podcasts poétiques), crée des vidéo-poèmes et montages photo-vidéo (chaîne youtube Perle Vallens)...