L’installation

L’entrée est encombrée de chaussures, en tas, jetées les unes sur les autres, dans tous les sens, et qu’il faut enjamber pour pénétrer dans le sas. De la neige, de la boue et de l’eau. La neige qui fond malgré le froid forme des flaques. Ils sont tous dans la cuisine pour le petit déjeuner. Une fois la porte du sas d’entrée passée, il fait plus chaud, mais ça sent la fumée, ça crépite dans le foyer. Ils sont une dizaine à table autour de Guy. Tous la tête dans leur bol ou sur l’écran de leur portable et qu’ils ne lèvent pas quand Martha et Sébastien entrent. Tous assis en équilibre sur leur siège, à cheval sur le banc pour certains, une jambe repliée sous les fesses pour celui qui s’est installé dans l’unique fauteuil avachi, se balançant sur leurs chaises pour les autres. Les paquets de céréales, le pain coupé en tranches, le lait, le beurre, les confitures, tout est sur la table.
– On s’installe, les gamins avaient faim. Prenez un bol. Il reste du café ?
Les gamins sont des ados, bien plantés, harassés, affamés, peut-être intimidés, mais pas petits du tout. Bien plus grands que ce qu’elle avait imaginé en les voyant rejoindre le gîte dans la neige avec leurs bagages. Leur taille, c’est ce qui frappe Martha quand Guy leur demande de se présenter. Des gaillards !
Ryan, la nonchalance incarnée, l’œil terne, immense, Guillaume, William, Florian, Ugo c’est celui qui est dans le fauteuil (quand il déplie ses jambes et sort ses pieds… c’est au moins du 45)… Martha ne retient pas les noms, mais voit que certains ont des barbes naissantes. Et puis il y a des filles, moins impressionnantes, Luna et Noélie. Luna a des tatouages dans le cou qui dépassent de son pull, des cheveux relevés, un piercing à la lèvre et des ongles peints en noir. Noélie est plus souriante, blonde et frisée. Elle se serre contre Lenny, un métis à l’air très doux et aux cheveux bruns bouclés.
– Vous ferez connaissance, on reste toute la semaine.
– Vous rangez la table et vous mettez vos affaires dans les dortoirs.
Les « gamins » n’ont rien entendu avec leurs écouteurs ou peut-être que si. Lenny se lève et commence à ranger avec Noélie, Ugo s’étire bruyamment, les autres prennent leurs sacs, Ryan, tout à coup réveillé, bouscule les autres pour choisir son lit. Des bruits sourds de bousculade et de sacs qu’on jette, ça s’apostrophe, ça rigole puis ça se calme. Martha se demande si elle entend mal ce qui se dit ou bien si c’est un langage nouveau qu’elle ne comprend pas. Luna traîne pour finir son bol. Guy a l’habitude et trouve que ça se passe plutôt bien. « Ils se sont tous déchaussés pour ne pas inonder la cuisine. Ils ont leurs habitudes, on a déjà passé des vacances ici ; ils n’ont qu’une envie c’est d’aller dans la neige, mais je veux qu’ils s’installent avant ».
Sébastien évoque le sapin que Gérard lui a donné le droit de couper « pour les gamins du gîte, un pas trop grand ». Martha se dit qu’elle les laissera faire. Elle ne se sent vraiment pas d’accompagner ces colosses en marchant dans 50 cm de neige jusqu’aux plantations. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas été confrontée à des ados ? Et dire qu’elle avait envisagé de leur proposer un atelier d’écriture à ces forces de la nature, tout en muscle et si grands ! Il lui faudra déjà survivre à la soirée de Noël pour laquelle l’invitation de Guy est déjà acceptée. On verra après. Demain est un autre jour.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

2 commentaires à propos de “L’installation”

  1. les camps d’ados, une belle foule, des constantes et les variangtes du temps, ce premier contact où l’on pense Ca va pas le faire, y’en a trop, sont trop grands et puis…les jours passent,
    Bonne semaine avec eux ! aha, je suis sûre que vous les aimez déjà plus après ces 3 journées où vous les avez coincés ici, guettant nos réactions.
    PS / Dimanche après-midi poésie avec les élèves maçons de Judith Viard, y serez-vous ? (c’est à 17h au Périscope rue Delandine / entrée gratuite et bar sur place)