#P5 | démoulage

Une béance scintillante dilate l’atmosphère — la douleur lèche les secondes — la langue ne se reconnait plus — absolument tout est étranger.

© Lisa Diez, encre et crayon, 2020

Au loin une voix métallique rose et blanche annonce ce qui va suivre ; écartez-vous du quai s’il vous plaît. Les organes creusent des tranchées, coordonnent la mêlée, le temps remué s’épaissit déjà. Tout autour de vagues cortèges s’agglomèrent en mouches luisantes et molles, enveloppent un silence si bref qu’il n’existe plus. L’espace grumelle, on y est.

Les mots sont trop lents, tout cela va très vite.

La douleur se fait organe. Pendant que les mouches s’entredévorent dans un bruit de carcasse une foule tonique de patates pointe à l’Est — des patates, oui — projettent leurs nervures jusqu’au centre d’un globe inconnu de chair avide. A l’Ouest surgissent des substances lexicales enlisées en diverses boucles autonomes de questions et de révélations insensées hurlantes dont l’unique but est d’émousser le calvaire. Pourquoi aucune question au monde n’a de réponse ? La tuyauterie va péter.

Comment écrire depuis le dedans de la déflagration?

Les valves sautent les patates brûlent les racines furieuses avalent le sang fruit de la chair et soudain un torrent d’une étourdissante moiteur s’écoule en dedans dépose sur son sillon gluantes épaisses caillouteuses nuées de phonèmes qui se faufilent par une bouche ignorante comment je tourne je vais qui suivre je voudrais pourtant duerme duerme où est ma maison pourquoi ce h dans le dahlia qui a inventé le nom des choses

Découverte : avant les mots, il y avait déjà des mots. 

Combat de verbes et de couleurs, besoin de solitude et de vent, la chair dépasse l’entendement, près des bords d’autres mains contactent le velours d’une peau qui répond oui. Un oui grave, volumineux, oui. La place est prise, voilà, ça sort presque sans bruit, ça craque sans doute un peu, ça se déchire près des replis et dans des angles, tandis que le temps siffle à nouveau sur un champs de ruines où pointe déjà l’aube.

Codicille : en fomentant depuis lundi #P5 et #L5 sans avoir le temps d'écrire je constate avec ce texte que les deux consignes ont tricoté malgré moi. Voici l'entrée Artaud de ma sentimenthèque :
Antonin (Artaud) déplie le théâtre et son double pousse du fond très au fond d’un geste énorme réveille les pulsions souterraines qui jaillissent sans tendresse dans un brouhaha de racines (...)

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).

10 commentaires à propos de “#P5 | démoulage”

  1. … le temps remué s’épaissit déjà… tandis que le temps siffle à nouveau sur un champ de ruines où pointe déjà l’aube… J’aime beaucoup

  2. Je tombe dans un monde gluant qui craque de partout, un monde étranger. Curieuse sensation.

    • Merci Jean-Luc. Si ça te procure des sensations, c’est que ça opère… Et le sentiment d’étrangeté de cette séquence, en particulier pour un homme, me fait sourire. Je ne révèlerai pas le réel sous les mots, mais j’ai réussi un truc. Hé hé.

  3. Interne, viscéral, étrange. La douleur lèche les secondes. Et pourquoi ce h dans le dahlia ? Vraiment merci. J’aime beaucoup

    • Merci à vous… et encore je me suis réfrénée dans le jaillissement des questions en rafale qui traversent dans ces moments-là jusqu’à la suffocation.