P#6 : Brouillon de vie

Samedi 7 Août — Chez Meral jusqu’au repas du soir au Parc de la Mosquée. Le maître mot est le partage, de la nourriture et de la parole — nous nous retrouvons pour manger le kahvalti équivalent oriental d’un super petit déjeuner. Lorsqu’on a fini, les membres de la famille se séparent selon leur fonction. Les femmes les plus âgées rangent et nettoient la cuisine/les plus jeunes s’occupent d’endormir les tout petits/les hommes se déplacent au balcon pour fumer et discuter de l’avancée des travaux et des différentes affaires familiales. Certaines personnes n’ont pas de fonction, se déplacent de la table au canapé, mais restent assises je me lève pour aller lire un peu cachée dans une chambre, peut-être que je me cache, oui, il y a quelque chose de déplacé à lire pendant que les autres travaillent. Les hommes partent en ville pour leurs affaires, la cuisine est à nouveau disponible pour les nouvelles préparations et on peut soulager les jeunes filles qui décidément ne savent pas encore y faire avec les enfants, elles les ont énervés, alors les femmes s’y mettent en les berçant et lorsqu’ils dorment enfin nous prenons un café au salon. Elles n’ont pas un instant cessé de parler. Mon mari m’emmène en voiture au Parc me dépose avec les plus grands enfants et la voiture repart, nous nous retrouvons pour le pique-nique du soir tous les mêmes, sauf les maris des sœurs qui changent,/après le coucher du soleil une promenade nous amène à raccompagner une des sœurs qui habite de ce côté avec homme et enfants/puis c’est le retour à la maison avec l’auto, mais cette fois il est trop tard pour faire un aller-retour et nous rentrons à 9 dans le plus grand calme.

Vendredi 6 Août – Le voyage en avion et le repas du soir chez Meral. Une impression de stress de tristesse, de manque d’air, je ne suis jamais prête à temps, j’ai pris trop d’affaires pour les enfants et rien de bien pour moi. Mehmet s’est couché très tard, mais il a fini ce qu’il devait faire et ce matin rien ne paraît le déranger, il part en vacances, se déplace comme sur un tapis volant. J ef fais n’importe quoi, mais en toute conscience. Je devrais mettre la maison en ordre comme toutes les femmes qui se respectent avant de partir, nettoyer la maison pour si jamais, mettre les choses en ordre — pour au cas où. Au lieu de ça je prépare des sandwichs. Nous partons à l’aéroport, l’enregistrement des bagages se fait rapidement, vérification des tests PCR et attente en salle d’embarquement — le vol prend une heure de retard au décollage, une restauration nous est servie à bord, quand je disais que les sandwichs étaient superflus. L’arrivée en Turquie est maintenant connue et précise — nous prenons le taxi pour Dudullu où nous sommes attendus pour dîner. Les revoir après un an ça fait plaisir — et découvrir le petit arrivé dans l’année.

Jeudi 5 Août – Le test PCR et les valises. Ce matin Mehmet s’est levé à l’aube — il accompagnait un ami à l’aéroport, je plie les affaires fraichement séchées pour remplir la valise et pendant que les enfants jouent je range un peu la maison. L’homme revient et nous partons nous faire tester. Nous avons une propension à être flous lui et moi, sans rien vérifier nous partons à l’aventure. Il nous emmène à l’endroit où il aurait dû aller hier après-midi, il n’y a presque personne et pour cause les tests sans rendez-vous ne commencent qu’à 14 h tous les jours sauf les jeudis. Bien sûr, il est déçu quand même : quand il a téléphoné mardi ils ont répondu que oui les PCR sans rendez-vous tous les jours sauf le jeudi et lui avait prévu de se déplacer avec les enfants le mercredi après-midi alors c’était parfait n’est-ce pas ? Seulement nous sommes jeudi matin, nous partons pour le boulevard Voltaire. Tout se passe bien, la jeune femme de permanence sous la tente est très douce et conciliante même si elle commence à s’agacer des stylos qui disparaissent. J’opine du chef, pour remplir les formulaires c’est vrai que c’est indispensable et les gens n’en ont jamais sur eux… deviser sur l’état du monde le sens du bien commun et l’évolution humaine qui va dans le mur à l’aune de stylos billes dérobés, n’est-ce pas justement un début de rédemption. Nous déjeunons en ville, c’est déjà les vacances, nous rentrons, je fais quelques courses, puis le dîner en écoutant la radio. J’espère secrètement ne pas partir demain, soit que je sois positive, soit que les résultats n’arrivent pas à temps. J’éprouve comme à chaque fois que je dois partir longtemps la sensation désagréable que je ne reviendrai pas, que c’est la dernière fois que je suis là, que je fais ceci ou cela et j’ai toujours envie d’aller me coucher, me rouler en boule sous les couvertures, ne plus bouger, les laisser partir et puis j’ai tellement de choses à faire, je serai enfin au calme je cesserai de remettre. Après le dîner une fatigue plus mentale que physique s’abat sur moi, je ne finis pas de préparer les affaires, j’étends la dernière machine (mes robes seront-elles sèches demain ?), je vais me coucher on verra demain

Mercredi 4 Août — L’aller-retour en Normandie ; le passeport et la voiture. L’enfant puiné vient me réveiller — « Maman, t’as dit que tu devais partir tôt, lève-toi » bien sûr je le remercie dans un langage connu de moi seule cependant que je vérifie il est 6 h 20 et j’avais mis le réveil pour 7 h 30, alors je le conspue dans un langage connu de lui aussi, cependant je décide de m’en irriter plus tard et je me rendors. 7 h 30 je me lève je bois un grand café, allume l’ordi, relis et recopie P#5, publie et ferme tout, le programme est tout autre, je dois rendre la voiture que ma mère m’a gentiment prêtée pour partir en vacances et récupérer le passeport du fils ainé, effectuer un test, car nous partons en Turquie. C’est décidé, Mehmet à acheté les billets hier, j’ai dit que c’était un peu court, mais il a sa logique cet homme : « Tu vois je suis très fatigué et la Turquie c’est très fatiguant, alors on par maintenant et je me reposerai dans les 5 jours qui me reste au retour comme ça je serai bien pour reprendre le travail ». Bon, je prends un autre grand café, une douche et les papiers de la voiture. Je pars, légère vêtue, mais avec un gros sac de livres et de cahiers parce que bien sûr le retour en train j’aurai du temps pour lire, écrire, réfléchir… Je commence par m’arrêter à la station essence, je fais les opérations répertoriées pour faire le plein comme ils disent, mais quand je saisis le pistolet remarque trop tard qu’il n’est relié à la pompe par aucun tuyau ! Je déplace la voiture après avoir vérifié quand même et je refais à l’identique la série d’opérations afin d’obtenir le liquide nécessaire avec une certaine appréhension tout en cherchant la symbolique et pourquoi c’est tombé sur moi. Suis-je la seule à m’être rendue risible à la caméra, pourquoi n’y a-t-il pas de pancarte pour prévenir le désagrément ? Ou alors ça vient juste de se produire avant que j’arrive et comme tout le monde paie en carte bleue peut-être qu’ils ne savent pas encore qu’on a subtilisé le tuyau de la pompe 8 ? Encore que si on réfléchit 2 minutes… on ne s’empare pas d’un tuyau comme ça, non, je crois qu’ils savent ce qui est arrivé à la pompe n° 8, mais qu’ils ne jugent pas utile de nous informer, nous sommes pourtant directement concernés, c’est un monde tout de même, le temps qu’on perd à cause de ceux qui ne font pas leur travail, ça lui coutait quoi au gonze de fixer une petite affiche : pas celle-là ! et pis c’est tout, c’est quand même pas difficile après faut dire si ça se trouve c’est pas le mec de d’habitude si ça se trouve c’est un intérimaire et il ne peut pas quitter son poste — bon qu’est-ce que je fais ? je rentre et je leur dis qu’il manque un tuyau à la pompe 8 ou pas ? Le réservoir est rempli à ras bord et ma tête est farcie. Je regarde autour de moi : depuis combien de temps suis-je coincée sur ce malheureux pistolet ? Bouchon/clapet/portière/contact/je pars, j’ai de la route moi, il faut que j’arrive avant midi. Sortir du périphérique, passer sous les avions et s’engager sur l’autoroute. J’étais à l’heure chez ma mère et au rendez-vous à la mairie — le passeport du fils en poche je suis retournée chercher la mère, nous sommes parties à la gare d’Abbeville et j’ai pris le train dans l’autre sens. J’ai lu c’était bien, je suis rentrée chez moi rien n’avait bougé.

Mardi 3 Août — Quitter le Morvan et rouler jusqu’à Paris. Le réveil a sonné et sans me rendormir je suis restée au lit je ne sais pas ce qui m’attire le plus dans cette ambiance ? La nature, la grande maison, la vie de cette femme qui me reçoit tout cela contribue à m’appesantir dans une délectation paresseuse ; le temps d’y songer, je me lève je prends une douche très agréable pas si longue, mais suffisante pour ne pas être honteuse. La table du petit déjeuner est dressée et tout me plaît les confitures maison la formes des bols la couleur des assiettes toutes les deux nous parlons beaucoup longtemps impossible de rester elle tient tout de même à me faire visiter le jardin et les allées et jusqu’à la barrière derrière. Je reprends la route avec les enfants nous déjeunons dans un restaurant assez médiocre qui plaisait aux enfants, mais pas longtemps et puis je roule jusqu’à Paris

Lundi 2 Août — Quitter le lac de Serre-Ponçon et se débarrasser de ce qui ne nous appartient pas. S’extirper de la caravane et venir se faire un café. Nous avions décidé de partir assez tôt, mais tout porte à croire qu’elle ne peut pas ce matin. Il y a quelque chose d’un peu désespéré à faire trainer le départ — encore un petit café — elle prend une clope et elle s’y mettra. Je suis prête, je tourne en rond, la vaisselle, le balai, les valises près de la voiture. Réunir les poubelles verres et les poubelles cartons distribuer les aliments périssables aux voisines qui restent et dire au revoir à tous les uns après les autres — redire l’itinéraire, reparler de la chaleur et assurer de ses sentiments les meilleurs et souhaiter partir, mais attendre que l’autre l’ait décidé et partir enfin, prendre la route mettre une heure pour traverser Gap une heure pendant laquelle elle me certifie connaitre pour l’avoir déjà emprunté un itinéraire bis évitant l’entonnoir sans le prendre jamais parce qu’elle ne le trouve pas et qu’elle n’ose pas s’aventurer de peur de perdre du temps je perds patience ne pouvoir rien faire, il s’agit de rentrer en soi le plus possible petit est très exigent d’autant que sa grand-mère conduit et ne peux rien pour lui, je calme les deux miens et leur intime un sommeil lourd et réparateur jusqu’à la pause déjeuner, les lacets de magne l’atterrante des freinages et des accélérations ont raison des petits estomacs des petits passagers — la pause déjeuner est tendue pouvoir se séparer ici tout de suite sans vacheries, mais on ne peut pas en est à la mure sans voiture… C’est avec la voiture de Marie-Annick que nous sommes descendues tous les 5 au lac de Serre-Ponçon et nous devons la lui ramener pour reprendre celle de ma mère et tchao chacune sa destinée ensuivent nos itinéraires distincts respectifs. Elle et son petit-fils à Chambéry et les garçons et moi à Paris avec une station sur la route de St François d’Assise dans le Morvan.

Dimanche 1 Août — Encore un peu les vacances avec sensation de finitude. Dernier jour de vacances — j’en profite café repos lecture photographie baignade préparation de tzatziki pour le repas de midi. Voilà déjà plusieurs jours que les enfants jouent au lac avec la planche à voile sans voile ils ont des velléités de départ de défi. Cet après-midi, elle les prend au mot, je prends le canoë avec Jackie et son fils et les enfants nous suivent en planche tous les deux à califourchon avec une pagaie ils ont décidé qu’à l’aller ce serait le grand qui ramerait et que le retour serait pris en charge par le petit. Ils n’avaient pas imaginé la difficulté, s’épuisent assez vite cependant que nous sommes assez loin du bord, ils chavirent régulièrement leurs forces s’amenuisent et l’excitation des premières minutes s’étiole. Ils alternent la rame et bientôt ne s’amusent plus du tout nous gagnons le rivage un peu plus loin, ils ne veulent plus continuer et pourtant il faudra bien rentrer. Ils proposent de marcher en suivant la cote, mais que faire de la planche ? Je propose un changement d’équipe Jackie prendrait le canoë et le plus grand tiendrait son petit-fils tandis que je ramènerai la planche avec le plus jeune. Jackie refuse, elle assène la fameuse et détestable phrase du parent démissionnaire « tu l’as voulu, tu l’as eu ! vous ramenez la planche, seuls débrouillez-vous et je ne trouve rien à lui objecter. Alors nous reprenons nos embarcations comme à l’aller, le courant les aide, ils se défendent plutôt bien et le défi commence vraiment à ce moment-là ; je ne peux pas les aider, je leur redis ma confiance, cela doit rester une balade, rein ne presse nous faisons doucement et lorsqu’enfin nous rentrons, ils sont épuisés, mais contents d’avoir fait de leur mieux. Nous sortons ensemble grandis et sans fâcherie de cette expérience nous en reparlerons à Paris.

A propos de Bénédicte Lesenne

Des planches de la boite noire à la rue, des coussins de la bibli à la halle du marché, elle lit et dit.