#photofictions #01 | scènes coupées au montage

Vendredi 9 juillet:  le port est encore endormi. Il est bien au rendez-vous. Personne a l’horizon. Je m’approche. Me présente. Le type est sympa sans plus. Pas vraiment loquace. M’autorise sans même lever la tête de ses casiers à « toutes les photos qu’il me plaira de faire ». Je m’éloigne un peu. Je le veux au naturel. Précaution inutile, il m’a déjà oublié. Un original de plus. Pas ça qui va remplir le tiroir caisse. Les mouettes arrivent en tâches blanches, appâtés par l’odeur des viscères qu’il jette par poignées entières par dessus bord. Je jubile. Le cliché parfait: tirage format carré 30 sur 30 comme à mon habitude. Bouffée d’enthousiasme: un format paysage insisterait sur la sensation de solitude. M’autoriserai peut-être une petite originalité. Déciderai au labo. Nouvelle bouffée d’adrénaline: l’aube est de mon côté. Juste un soupçon de rose et quelques nuages laineux qui paressent à l’horizon. A moi de jouer. J’ouvre le sac a dos posé à mes pieds. Gestes rapides, silencieux, automatiques. Plutôt mon Reflex Canon, meilleur rendu étant donné le peu de luminosité. Un clic: le cache saute. Poche avant. Droit à l’objectif. Celui que j’ai acheté spécialement pour l’occasion… Palpée, fouillée, retournée: poche avant désespérément vide. Objectif oublié. J’en pleurerais. 

Samedi 10 juillet: matériel vérifié. Trois fois. Finalement décidé d’emporter mes trois objectifs et mon pied. Sait on jamais. Lourd. Encombrant. Tant pis pour moi. Que ça me serve de leçon. Conditions climatiques identiques. Comme un brouhaha quand j’approche le port. Des touristes. Agglutinés au chaland. Vont tomber à l’eau. Pas une grande perte. Tous en marinière. Un petit chauve fait un selfie devant les poissons morts. Comment n’y ai je pas pensé: samedi jour du marché. Quoi de plus authentique et sain que son filet de lieu noir acheté le matin même au port?Album souvenir de vacances au bord de l’océan. Rangé au fond du placard avec la marinière. Demi tour. Aussi sec.

Dimanche 11 juillet: jour du seigneur. Lui aussi se repose. Frustration. Ennui mortel. Pour occuper le temps ai fait quelques clichés de mouette. Au numérique. Visionnage le soir même devant un verre de cidre. Nul. Ni fait ni à faire. Cadrage. Lumière. Rendu. Pas un pour rattraper l’autre. Zéro. Fichier supprimé. Clic. Direct dans la poubelle. Remettez moi donc un autre verre de cidre. 

Lundi 12 juillet: eu la bonne idée avant de me coucher de consulter les horaires des marées. Pas de bol. Lundi 20 juillet. Sainte Rita. Patronne des causes perdues. Marée basse a 7h42. Il ne viendra pas. Du moins pas à l’aube. Je reste au lit. Sainte Rita priez pour moi. 

Mardi 13 juillet: c’est aujourd’hui ou jamais. Demain fête nationale. A vos poste de télévision. Tout le monde devant le défilé. Ou pas. Ça commence mal: il bruine. Personne. Seulement lui. Il me regarde bizarrement. Faut dire: vu mon accoutrement. En plus des objectif et du pied: mon immense parapluie. Trop peur de mouiller le matériel. Déjà que l’humidité… je fais mon cadrage au centimètre. Je compte les secondes. Quand va t’il se décider à ressortir de la cabine? Enfin le voilà ! Alors le miracle: l’éclaircie inattendue, inespérée. Encore plus beau que je ne l’imaginais. Couleur lavées par l’averse. Pour un peu j’irais l’embrasser. Croisé son regard: pas du même avis. Je lui achète un homard bleu. Pour la peine. Quatre vingt euros… ajouté à l’objectif acheté pour l’occasion. Demain mon banquier m’appelle…m’en fiche. Rien n’est trop beau. Par chèque ça ira? Il se détend un peu. Alors vous l’avez attrapée votre photo?

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

10 commentaires à propos de “#photofictions #01 | scènes coupées au montage”

  1. Bonjour Géraldine
    Avec moi, ça a très bien marché… j’y ai cru de bout en bout !
    Bravo et un grand merci.

  2. Un peu Tintin, la photogtaphe, une Tintin du début des aventures avant les grandes péripéties qui l’attendent et qu’elle va… déclencher ! j’y ai cru ! et le passage sur Sainte Rita, ultra drôle,