#photofictions #07 | Histoire de grandes femmes

La fiction, c’est quand on invente parce qu’on n’y était pas. J’aime bien inventer le scénario.il y a du prémonitoire dans les photos, elles ne sont pas que les traces d’instants passés, elles parlent du futur quand bien même on ne sait pas le lire.

Deux femmes de l’agence Magnum sur le plateau de tournage (ils sont neuf en tout à tour de rôle), les femmes sont rares, bien plus rares encore que maintenant. L’une, c’est presque une amie, une fille de Rabin d’émigrés russes qui avait commencé des études de médecine avant de venir à la photo. Vous vous connaissez depuis longtemps malgré votre différence d’âge (tu as 33 ans, elle en a 48 et pourrait presque être une mère qui t’aurait eue très jeune) parce que vous avez fait vos débuts ensemble, partagé l’inexpérience, les doutes, les hésitations, la difficulté d’être femme dans un monde d’hommes, la difficulté d’être femme tout court. L’autre a ton âge, un genre de beauté altière qui n’est pas le tien, elle parle huit langues, fille de scientifiques protestants elle a survécu en Allemagne et en Autriche nazies, elle va te piquer ton mari.

L’une fait de toi des photos tendres et lumineuses, joueuses ou tristes; l’autre saisit tes côtés les plus vénéneux, allumés, provocateurs jusqu’au risque de censure. Comment ne te rends-tu compte de rien ? Pourquoi laisses-tu faire ? Crois-tu que ton image l’emportera toujours sur le réel, ce qui est en train de se passer et que tu ne veux pas voir ? Cette tête bien faite et solide contre ton corps désirable. Peut-être que tu t’en moques, que de toute façon tu ne crois pas aux histoires d’amour et que la tienne est déjà terminée depuis longtemps. Et peut-être même qu’il n’en vaut pas la peine, ce troisième mari qui est comme tous les autres un briseur de rêves.

Tu ne parles pas à Inge, mais que te dit Eve ? Toutes deux sont très professionnelles, empathiques chacune à leur manière, Inge fascinée par ta séduction, Eve protectrice de ta fragilité, elles ne se parlent pas. Toi tu te caches, tu n’écoutes rien ni personne. Pourquoi restes-tu seule face à l’objectif, pourquoi ne fais-tu confiance à personne ? Mon Dieu que c’est triste. Moi ça me rend triste, cette histoire de femmes entre elles sous le regard des hommes. Inge épousera ton mari et en aura deux enfants. Toi, tu n’as plus que deux ans à vivre et les images de toi seront mondialement célèbres pour des années encore. Eve et Inge te survivront longtemps, feront toutes les deux de vraies carrières de photographes reconnues, montreront le monde. Seront-elles plus heureuses ou plus chanceuses que toi ?

Juste des destins de femmes qui veulent exercer un métier, avec ou sans enfant, avec ou sans mari. Parce que raconter l’histoire des grandes femmes est aussi utile que narrer celle des grands hommes.

Ce texte est inspiré de la lecture de Musée Marylin d'Anne Savelli dont la plus grande force à mon avis est de faire une place aux photographes qui ont immortalisé Marylin, une histoire derrière lobjectif autant que devant. Eve Arnold et Inge Moraht sont les rares femmes qui ont photographié Marylin.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

6 commentaires à propos de “#photofictions #07 | Histoire de grandes femmes”

  1. j’abonde au fond (mais ta première phrase m’a fait tiquer – on cherche toujours les contre-exemples pour ce genre d’affirmation, comme tu sais – on fait mentir les miroirs… – par exemple, sur ma troisième image (pardon de tout ramener à moi) j’y étais mais j’ai tout inventé : est-ce fiction ?) dans le livre d’Anne Savelli (nom de code MM) (état civil NJB – belle chanson de Serge Gainsbourg (alias Lucien Ginsburg) chantée (?) par Jane Birkin) (les patronymes, les pseudonymes, les homonymes sont déjà des fictions) j’ai adoré (vraiment) les 30 dernières pages – pour Marilyn, je ne sais pas pour les enfants par exemple – c’est un mystère – mais finalement bravo à toi

  2. Ah mais oui quel plaisir que Musée Marilyn. Je l’ai lu juste après Blonde de Oates et me suis régalée. Je me suis procurée le livre d’Eve Arnold (il est beau) parce que les femmes capturent différemment. Reste aussi le docu: Devenir Marilyn qui a priori est chouette sur Arte! 🙂

    • J’avais lu Blonde il y a longtemps et j’ai vu le très bon documentaire d’Arte, j’ai beaucoup aimé Musée Marylin mais je ne connais pas le livre d’Eve Arnold. Il faut que j’y aille voir. Une belle découverte que tous ces photographes et j’espère bien aller voir l’exposition de Berlin. A suivre, je raconterai.

  3. oh oui, quelle force,et toutes ces histoires si présentes en arrière-plan…et bien sûr que ça pourrait commencer directement par « Deux femmes sur le plateau de tournage », tout de suite on y est… et c’est fort !
    merci Danièle

    • Merci Françoise. Je poste aujourd’hui un lien (tout personnel) entre le livre d’Anne Savelli et celui de philippe Sands « Retour à Lemberg ». Il y a des livres qui excite l’imagination du lecteur bien au-delà de ce qui est écrit.