#Gestes&usages #01 | Post-it, bloc-notes et papier brouillon

Ils ne connaissaient pas les post-it. Eux ont été découverts par les générations d’après. Avec leur jaune ou leur rose fluorescents pour ne pas oublier. Avec le fluorescent on était sûr de ne pas oublier.

Et aussi, grâce à cette petite fonctionnalité qui doit nous simplifier indéniablement la vie : on peut coller le post-it où on veut. Cette mobilité accordée à un petit bout de papier est inédite. Le post-it dit une petite chose en mouvement qui ne restera pas. Il est vif et passager. C’est l’oiseau de nos pensées. 

Non, ils ne connaissaient pas les post-it. Lui, mon grand-père, conservait tous les papiers dont le verso était blanc, les coupait en deux au coupe papier. Puis les insérait dans un support à clip métallique qui servait de bloc-note rechargeable.

J’aimais en déchirer un en tirant d’un coup sur le rebord de métal et lire le recto. Cela pouvait être des chiffres de production en hectolitres ou des convocations, des lettres à en-tête « monsieur le Maire ».

Au recto de ce papier brouillon mon grand-père avait sa double vie, sa vie de cultivateur et sa vie municipale. Elle se déroulait en dehors de la maison. Et pour cette simple raison, en dehors de nous, les femmes, qui restions à l’intérieur. Trois femmes : ma grand-mère, mon arrière grand mère et moi qui venait passer les vacances d’été. Avec ma vitalité enfantine, je faisais bien un effet de post-it dans la maison. 

Ma grand-mère utilisait ce bloc-notes métallique essentiellement pour ses listes de courses, un rendez-vous ou un appel de la mairie dont il faudrait penser à prévenir mon grand-père. La seule lecture de ces papiers suffit à me remémorer combien la vie de mon grand-père était ouverte sur l’extérieur alors que ma grand-mère sortait essentiellement pour faire les courses. 

Dernier pronom possessif avant d’en finir, et tiens, je l’enlève : arrière grand-mère écrivait d’une écriture très appliquée dans une orthographe irréprochable. Elle n’écrivait pourtant guère plus qu’une carte postale dans l’année au moment des anniversaires. Elle était tout à fait indifférente au bloc notes et méprisait le post-it. Seuls comptaient, semble-t-il, les supports « légitimes » d’écriture. Écrire allait avec un objet et une occasion nobles. D’où son déni des bouts de papiers et petits supports passagers, qui plus est, fluorescents.

Texte écrit à partir de la proposition suivante d’après un texte d’ Annie Ernaux. J’admire beaucoup l’écriture d’Annie Ernaux. À part « la place » que j’ai lu tôt, j’ai lu son oeuvre tardivement deux ans avant qu’elle reçoive le prix Nobel. J’ai toujours été un peu gênée par cette idée de « honte ». Les façons de parler marquées par l’argot, les expressions populaires, Brassens, certains auteurs de polars, la parole des peuples dominés dans la littérature afro-américaine (Zora Neale Hurston), que montrent-ils de la vie des leurs ? Alors qu’on parle de transfuge de classe, bien sûr. Mais la honte évoquée en particulier vis-à-vis de l’usage du langage, je n’en fais pas un principe d’ordre général. L’expérience d’écriture dans cette élucidation à peine perceptible d’une vie, en revanche, quelle incise.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

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