… qui…

Celle qui parle, se tait longtemps et pose son regard sur l’horizon, qui monte en voiture, roule, roule, a parcouru bien des lointains, qui revient toujours, toujours d’un ailleurs, qui disparaît, s’éclipse, dont on entend encore le rire, perçoit le parfum frais, estival ; qui revient trop tard, peut-être, un jour autre, quand les mûres ont fui les ronces, les verts sont chargés de pluie, les blés coupés. Celle qui fait rougir « le vieux gars » planté droit dans ses bottes en caoutchouc à côté du soc accroché au tracteur, la mère sur le pas de la porte ; qui suit sa maisonnée, détaille le menu du déjeuner juste après le passage du marchand de truites et emporte dans son sillage petits et grands. Il y a les bois, les feuilles claires des frênes, ces éclats argentés des peupliers sous l’aurore et cette odeur de terre grasse à cœur de la forêt. Celle qui reste assise sur une chaise de paille, entre la fenêtre et la table dans la pièce claire, pose un regard doux sur ce petit monde hétéroclite, venu fleurir un jour du calendrier, qui doit sourire bien souvent, a su encaisser dans son corps clair et rond les ires brusques d’un mari parfois ours, qui faisait des raviolis avec les restes de daube, qui fut cigarière vers Saint-Roch ou le Port alors que la ville se faisait ouvrière, qui avait eu un potager, qui avait eu à souffrir la faim, qui restait sage, discrète, la mise simple, avec toujours une discrète encolure bordée d’un col blanc, les cheveux toujours bien coiffés avec une légère raie sur le côté droit. De la fenêtre, un mur écru ou la corniche d’un toit de tuiles, taches lumineuses et voix lointaines montant de la rue; le souvenir d’une large avenue bordée de platanes et la fraîcheur, sombre, du marché couvert. Celle qui avait encore de longs cheveux blonds-roux et jouait du piano, qui avait connu les opéras, qui avait vu un empereur entrer dans sa ville, dont un seul fils survécu, dont la vie fut nomade et la famille jamais aussi loin qu’on l’eut cru et qui, dans mille silences, su enraciner la vie, perpétuer les arts, la fantaisie, qui su garder ce regard, cette curiosité, cette non peur même quand son fils fut sur un torpilleur. Après les murs de brique rouge, les rues étroites, la brume, les parfums des contreforts montagneux, il y a eu la mer, son immensité, son bleu infini d’azur et ses murmures. Celle qui écoutait les leçons de musique de son mari ou de son beau-père, sans doute participait au vernissage des violons qui allait sortir de la boutique et vit les premiers violoncelles peu à peu prendre courbure sous le ciseau des luthiers, alors que l’instrument devenait roi à la cour d’Este. Celle qui faisait le pain. Celles qui faisaient le lien. Celles qui cousaient assises dans le contrefort de la fenêtre. Celles qui furent lavandières. Celles aussi qui traversaient les montagnes, qui regardaient les étoiles, qui veillaient sur la nuit, rassuraient, écoutaient les cœurs. Assises à la fenêtre à lire quelques mots dans le livre. Furent rebelles sans autre mot qu’une prière douce au dieu d’oubli d’amour. La pleine accueillit ces mots du silence, ou la grève d’un fjord, ou le rocher granitique au cœur d’une forêt. Nul ne sait leurs vagabondages. Il reste dans leur cheveux ce mélange doux et âpre, comme un ciel sous les étoiles. Celle qui, pudique, regarde.

Un commentaire à propos de “… qui…”

  1. Rétroliens : silencieuses – d'autres pas…