Rien

Pierre ramassée dans le lit de Loire, fleuve mal navigable. Prend toujours sa source au Mont Gerbier de Jonc. Une face mate, rugueuse au toucher. L’autre luisante comme limace après la pluie. Sentir les stries. Suivre des yeux veinures rougeâtres. Phallus ou visage dans la main se dresse. Coulée blanche sur bord gauche, profil érodé. Globe oculaire côté droit. Parmi les stries traces d’impacts pour ce biface paléolithique et cunéiforme.

Corps en chien de fusil perdre conscience. Maman entendre. Maman manque titre le carnet. Au jardin limace laisse une trace. Roses fleurissent avec leurs épines. Bruit de pas dans la voix, plume glisse. La vague nous emporte au large, t’enroule dans le sable. Tu te seras redressée mais une autre te rabat. Une autre te prend dans le ressac et l’écume rompt la suite des instants. Défilent les images, elles pétillent. Jeune nageur sauverait ta sandale.
Dans la pénombre, sur cahier d’écolière, une main lente. Ferme sur son cheval le prince m’enlèvera. Effacer des mots sur la page, effacer d’autres mots. D’autres encore les biffer.
Avant mourir, maman dirait j’ai attendu. Maman dirait je t’ai attendue. La couverture a des trous, la mer est instable. Brouillées les cartes, elle dort la petite morte. Nourrice nous coiffe. Le fiancé porte costume et chaussures vernies. Vautours au loin. Maman glissa la pierre dans sa poche et sombra. Ne pas se baigner si l’on vient de manger.
Au centre du jardin, l’acacia. Son feuillage. La main de maman me tenait. Elle me tenait. Ma maman tenait à moi, essuyait mes yeux mes joues. La couverture a des trous, la mer est instable. Embryon de maison ce carnet, manque maman. Le lire, corps lové dans le lit. Mots & phrases biffés les lire. Maman, petite ronde. Maman me fait pleurer. D’être en vie.
Sur la mer, Jonas avalé. Coiffée d’un béret, j’ai 5 ans. L’arrache cet animal. Il atterrit dans la rigole. Tout au bout, la maison. Sa glycine. Maman, robe noire. Tablier blanc pour le service. Maman raconte des histoires.
Mantille blanche pour l’office, chanter l’action de grâces. On fera la queue chez le pâtissier. Poulet rôti dans le four, pap montera de la cave bouteille de graves. Autour de la viande, couronne de riz. Ecce corpus meum a dit le prêtre. Et pap emmène ses chiens, boira un verre avec le cousin après la battue. Bouteille sur la table, mouches tournoient. Il y en a de collées sur le papier pendu.
Mémoire se bloque là. Petite morte occupe place de choix. Garçon manqué marche sur des œufs. No maya di ka di va di jalla, o ka ko namo zavagoulaki gipatak. Elle ne s’est pas reconnue puis elle a souri. Elle a lu les lettres comme mouches sur le lait. Sous le regard de l’ange, plume a tracé les lettres. Elle a trouvé ce qu’on lui cachait. Elle est allée de l’avant, a fait des faux pas, a touché au but, a raté la marche.
Elle court pieds nus, le sable pique la peau. Elle se jette à l’eau, son cœur plus vite bat. Une lame a fendu la queue de la sirène. Noma kola davadja, noma yado é noka lova, di kapa di gouna. Elle a répété son rôle, appris la partition. Elle a fait la planche, s’est mise aux langues. Elle s’est mise aux langues mortes, elles ouvrent l’esprit. S’est mise aux langues vivantes. Elle est devenue tonique, s’est laissée aller, a eu des réactions. Le martinet perdit ses lanières. Les règles varient d’une langue à l’autre, la syntaxe aussi. Signe mou, imperfectif, voix moyenne. On lui dictait les règles d’un savoir-faire. Elle avait enfilé des gants blancs, joint les mains après génuflexion. Elle avait confessé des fautes. Elle jouerait de la trompette, danserait au rythme du tam-tam. Elle aurait 20 ans, elle dormirait sous les toits, aurait froid, se musclerait les mollets, resterait tonique en décembre. Dans l’océan sortirait de l’œuf, entendrait des voix, vomirait, s’allongerait. Elle s’allongerait longtemps. Elle écrirait ses rêves, lirait dans ses rêves, les bifferait, dirait adieu à la constipation, travaillerait à plein-temps, préférerait la course à la marche, préférerait la boxe à la danse, deviendrait combative, passerait les épreuves. Voix d’enfant garderait, prendrait l’avion, apprendrait la flûte, attendrait la lune, écrirait à la plume, écrirait sous la dictée à l’encre violette.
À sa table face à l’océan, fenêtre fait une fente, étouffe les cris. Main dessine nature morte. Ciel limpide main dans la lumière. Chat sur une dalle. La brume parfois recouvre tout. Sur le bord de la fenêtre un livre ouvert.. Inachevées les toiles montrent leur châssis, dans la poussière. Elle entre dans l’atelier. Femme nue, homme en costume. Jardin que découpe une porte-fenêtre. Joueuse de flûte au loin, sa veste en lapin.

Je m’appelle Joanna, j’ai 16 ans. Mon père m’a violée sous le regard de maman. J’ai des vertiges depuis, je transpire.
J’ai 16 ans et demi, je m’appelle Joanna. Je suis sûre d’être d’eux. L’un et l’autre vont ensemble. Il voudrait m’épouser, j’ai répondu non. Que dirait papa, la tête qu’il ferait. Comme lui enfoncer un couteau dans le dos ou lui cisailler les oreilles. Ne pas m’en prendre à mon géniteur.
Maman vierge quand papa l’a eue, papa m’instruit. Les orties me piquent. J’ignorais que les orties piquassent. Leurs démangeaisons me poussent vers maman. Elle me frictionne, je n’ai plus mal. Souvent maman me passe un savon. La vulve a l’honneur de ses attentions, quand ça démange.
J’ai perdu la vue à 17 ans. Ils parlèrent de vengeance. Depuis, je sens comme un animal. Je ressens aussi. D’un mâle à l’autre, la taille varie. Certains vantent les dimensions de leur membre. Ça passe pas dans ma tête, tout bloqué, ça noue le ventre, forêt vierge. No maya di ka di va di jalla, o ka ko namo zavagoulaki, gipatak allo nomado. Noma kola davadja noma yado, é noka lova di kapa di gouna, kapala galo. La peur remonte à la nuit des temps. On me rémunère selon mes services. Je raccompagne le client s’il est pris de panique.
Je m’appelle Joanna, j’ai 18 ans. Il y a retraite à la maison-mère. Je voudrais parfaire mon expérience avec le Père. Il m’accorde des entretiens. J’écoute, il argumente . Certains ont la vocation. Je me réserve une poire pour la soif. Il en est qui mûrissent en décembre, d’autres deviennent blettes.
Je m’appelle Joanna, j’ai 19 ans. Papa décline. On risque de l’inhumer aux premiers froids. Si j’épousais le Grec, papa n’en saurait rien. Je peux hâter sa fin, glissant dans son potage un poison. Au point où en est le vieux. Maman gardera le silence. Pas du genre à lever un lièvre.
Je m’appelle Joanna, j’ai 19 ans et demi. Meurtre sans remords, j’ai hâté le processus. Maman me reprocherait de ressembler à mon géniteur, elle finirait par s’en accommoder. Nous vécûmes paisiblement. Elle épluchait les légumes, je faisais les confitures. Nul mâle à la maison, pour rompre l’harmonie.
Je m’appelle Jeanne, je suis veuve. Ma fille n’habite plus avec moi. Elle me laisse des journées entières, je l’attends sans la voir venir. Son père, j’en rêve. Elle parle de lui au présent, de moi au passé. Joa fut une enfant docile. J’aimais qu’elle m’obéisse. Il y avait le fouet quand elle se cabrait, c’était rare. Elle respirait la santé. Nous faisions des marches en montagne, les chiens nous accompagnaient. Mon époux chassait. Il emmenait Joa. Nous mangions volontiers du gibier. Jean avait l’art d’accommoder la viande. L’entourage prenait exemple sur nous. J’ai tué ma mère un 9 juillet, jour anniversaire de Joa. L’accident cérébral, même le médecin y a cru. Il a établi le certificat puis il deviendrait mon amant. Jean était toujours en déplacement. Je rêvais de devenir aviatrice, mes parents s’y opposaient. J’ai épousé mon cousin. Je soupçonne Joanna d’avoir disparu. J’ai cru mourir, elle ne l’a pas su.
Je m’appelle Jeanne, fille d’Anna. La prunelle de ses yeux, son sauf-conduit, sa connivence et son pur-sang ou sa céleste grâce. Sa pantoufle, sa biennale et son carnaval. Nous avons joué comme des furies.

Se baisser pour passer, se redresser. Silence feutré. Respiration lente. Sur la gauche, un labyrinthe. Parois grises. Feutrine-matrice. Descendre. Fauteuil haut, ouvrir la bouche.
Sur les bords de la rivière, le vieux avait emmené l’enfant. Le soleil brillait. Sur la photo, bouteille de vin. Je reconnais le verre. T’a tourné la tête. Sans connaissance, on t’emportait. Tu entendrais des voix à travers la cloison. No maya di ka di va di jalla, o ka ko namo zavagoulaki gipatak. Fini de chanter.

Je m’appelle Jean, j’ai passé l’arme à gauche. Ma fille s’est éprise, je n’y peux rien.

A propos de Marie Sagaie-Douve

Voir Le Chasseur abstrait