le double voyage | Saisons

I
Au temps où il pleuvait encore, Toulouse, havre de mes errances, ô Toulouse chantée, ville rose faussement nommée dans l’hiver de mon passé, ton ciel noir violent s’abaissait se penchait déversait ses nuages glacés sur ton bitume vitrifié.
Au temps où il pleuvait encore, tes caniveaux gelaient, le linge aux balcons givrait dur solide pétrifié comme verre.
Au temps où il pleuvait encore, l’espérance d’un amour m’effleurait de sa caresse froide. Seule, seule rue Gambetta, seule rue Romiguières, seule rue Rémuzat — on logeait dans un petit hôtel, j’ai oublié son nom — seule rue Peyrolières. Rue Lakanal, l’école primaire stationnait à un bout, grise et inhospitalière.
Au temps où il pleuvait encore, j’avais perdu la marche, je glissais — fragile malaisance — sur le verglas des trottoirs des rues. J’avançais à genoux à tâtons, tenant les murs pour maîtres du chemin.
Au temps où il pleuvait encore, Cadix au ciel bleu vif, le soleil te frappait — brûlante grêle — ton air était doux comme un bonbon.
En ce temps, vêtement et pas légers à Valdevaqueros, je patinais sur ton sable, je patinais.

II
Au temps où il pleuvait encore, je m’en souviens, je plongeais dans la boue des marais qui bordaient les collines de Chicoutimi. Sous l’eau noire, le vert — trouble, compact — me pénétrait jusqu’au fond de l’âme. Lorsque j’en surgissais, des hallebardes de pluie me fendaient le crâne.
Au temps où il pleuvait encore, quelque chose d’ancien rapporté par les oiseaux nocturnes emplissait, débordait ma mémoire.
A Saint-Ambroise, à Larouche, je plongeais — lune blême — je plongeais. La mare du diable n’aurait pas su m’offrir une eau plus poisseuse plus sombre plus épaisse. Elle résistait à la poussée des jambes des bras, l’eau m’enlisait en elle.
A Laterrière, à Saint-Fulgence, nue sous la pluie de saison prégnante de jour comme de nuit, je craignais l’hiver, la glace qui couvrirait les terres et les marais. Je roidirais avec elle.
Je plongeais piaffais roucoulais glougloutais et l’ombre des collines se penchait, noir baiser sur les fonds écorchés par mes pieds par mes mains.
Je plongeais aux nuits blêmes. Les nocturnes oiseaux prétendaient que le vert était un receleur et qu’à Rivière-Eternité, quelque chose — de mon corps de mon âme — était enfoui dedans.