#1 Sols

Sol 1 parquet lino

Je suis le diagramme qui enregistre le tracé des orteils, le ressort des coussinets, je sers de terreaux aux talons, je me laisse balayer par les pointes des pieds, on me brosse, droite, on me brosse  gauche, je suis écrasé par la paume des mains, je me laisse parcourir par les doigts araignées,  je renvoie tous les bonds ! Sur mon sable de lino, on  me peigne, je reçois des étoiles de mer qui se collent  à moi et même à marée basse, je respire, on s’appuie  sur moi avec une infinie douceur, j’expire,  on me marche dessus, j’inspire, on me frappe, je suis  le métronome de leurs pieds, j’expire, je  garde les traces de tous les combats, j’accueille la mollesse des chairs,  les os du squelette aux noms  grecs , ischions,  iliaques, sacrum, coccyx,  omoplate, trochanter,  je retrouve des diagonales perdues, je participe aux torsions, je suis la table d’opération des corps qui murmurent, je compose et décompose des cercles aux diamètres variables, j’accumule les lignes comme autant de brindilles d’un nid toujours déplacé, je trace des dessins concentriques et de grandes échappées, je suis le papier diagramme qui enregistre le passage des corps, le terreau des talons, la racine des sauts, ils puisent  et m’épuisent, j’inspire et j’expire, sur mon lino, je vis.

Sol 2  carrelage

Soit un carré de 15 centimètres de côté, de 5 à 10 millimètres d’épaisseur, des carrelages récupérés chez un carreleur, des carreaux, dont le seul élément commun, est d’être dépareillé et de ciment,  sachant que ce sont des fins de chantier, insuffisants pour constituer le dessin d’origine,  fragments appartenant à des histoires distinctes,  déterminez une trame pour fabriquer un sol commun : avec astuce les poser  à plat, monter sur un escabeau pour avoir une vue du ciel, oublier l’ensemble pour retenir un élément  comme le myope se détache de la forme pour ne voir plus que la couleur, alors  les bleu  cobalt, Prusse,  céruléen d’un côté, les terres de sienne, safran, ocre, brûlées de l’autre, les verts Véronèse, olive pour apaiser, les rouges garance, Cardinal pour trancher et  toujours le Joker du carré blanc; une autre possibilité qui n’exclut pas la première consiste à s’attarder au dessin géométrique et varier losanges, feuilles vagues ; surtout prendre garde à l’ivresse des couleurs et des formes qui fait oublier les règles de base,  ne pas se précipiter à coller et assembler  le dessin,  ravis du rubik’s cube composé car sinon le sol tangue, tout est de guingois et le doigt inquisiteur frappe ; défaire, décoller ce que l’on a collé avec application, en ne disposant plus que d’un temps très limité avant que la reprise ne soit possible, décoller jusqu’au petit matin pour reprendre le lendemain dans les règles de l’art, ragréer le sol avec une couche de ciment, et recommencer ce qui vous a tant coûté.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.