TASSES

Carnet…
  1. 22 juillet, face à moi la tasse, je laisse mon stylo au profit de feutres pinceaux achetés récemment, tente de croquer l’objet, premier dessin, petite, d’un trait noir, je continue un peu plus grande, attrape le pinceau à eau, oser, lâcher prise, dessiner cette tasse bleu, réalisée par les mains agiles d’un potier, je l’observe, la scrute, vais je retrouver les mots de l’autre jour ? en partie sans doute, imprimer, enregistrer ailleurs, cette tasse m’en rappelle d’autres, d’ailleurs nous sommes le 25 et elle n’est plus là, lavée, rangée, une autre l’a remplacée plus petite, blanche en porcelaine, tasses à café ou à thé, tasse à thé pour le café, laquelle vais je choisir ?
  2. Des mots, des définitions à la manière de Francis Ponge : Tasse, entasse, des tas de tasses : récipient pour boire, muni d’une anse, en argot pissotière, amusant mais difficile à placer dans un texte d’autant que le sens premier ne renverrait pas à la tasse ! Terre, en terre, en deux mots ou en un seul, terre glaise, blanche, de sienne, la mienne, ce matin remplie de café est basique, utilitaire, différente des objets façonnés par les potiers qui eux aussi différencient l’utilitaire de la céramique, faire passer l’objet à l’oeuvre d’art, unique à chaque cuisson Façonne : qui est fait de la main de l’homme, pas naturel, pas simple. Oui, pas simple d’écrire, dans ce texte se mêle et s’emmêle les mots des jours passés et ceux d’aujourd’hui, inévitablement, chaque jour est différent et le PRÉSENT change dès qu’il a été vécu… Bloc, forme et transforme, porcelaine, raku : Abréviation du terme japonais raku-yaki, résultat d’une technique d’émaillage développée dans le Japon du XVI siècle. Il est lié essentiellement à la fabrication de bols pour la cérémonie du thé. Cuisson au four, cuisson biscuit, cuisson au gaz, sciure de bois, tonneau, fût… Terre, feu, eau, air les quatre éléments de la vie carnet : outil indispensable pour écrire
  3. Tasses, j’entasse des tas de tasses, souvent elles vont de pair, en terre, en porcelaine, en raku, de la poterie à la céramique, de l’objet utilitaire à l’objet d’art. Je me souviens d’une exposition à la maison de la céramique quelques jours avant Noël, les deux premières achetées, 70 francs à l’époque, une somme pour moi, objets les moins chers de l’exposition – je me souviens d’un tableau peint par un ami, tasse et soucoupe blanche au bord rouge des motifs chinois dessinés, l’idée un moment de collectionner des tasses chinées aux marchés aux puces, celles trouvées blanches au bord rouge des motifs chinois dessinés sur la face extérieure de la tasse et sur la soucoupe, je me souviens du service à thé de ma grand mère, tasses blanches au bord rouge… je me souviens de mon doigt qui effleurait les motifs en relief, de mon regard d’enfant fasciné par ces personnages d’un autre temps, la finesse de la porcelaine, tasse de mon enfance retrouvée sur la toile le temps d’un instant… collectionner : cumuler, empiler, gaspiller, presser, réunir, tasser…
  4. 29 juillet, quatrième jour, je me réveille, des tasses en tête, assise face à mon ordinateur, fausse manipulation, les textes écrits disparaissent, je cherche, recherche, sans succès, écrire c’est réécrire…retrouver l’essence, la quintessence, le sens de la disparition…tentative de reprise… Texte initial reconstitué en partie, l’essentiel a été retrouvé, de nouveaux mots se sont posés, le reste disparu, peu importe, sans doute peu d’importance…
  5. Tasser les souvenirs, les faire resurgir, depuis un moment, je pense à elle. Potière devenue céramiste grâce au Raku, elle avait vécu chez moi un temps, le temps de se former à la maison de la céramique à cette nouvelle technique qui allait donner à son métier,à sa vie, à son art une autre direction. Elle sentait bon le bois fumé quand elle rentrait le soir, elle me racontait ses pièces façonnées à la main, cette cuisson particulière, la température à neuf cents degrés et le choc thermique quand la cuisson était arrêtée d’un coup. Plus tard en partant pour retrouver sa terre d’adoption en Balagne, elle m’a laissée sa première pièce qui n’était pas une tasse, ni un bol, ni un récipient quelconque mais un pièce plate qui m’a servi de cendrier de nombreuses années, se fendant un jour mettant fin à son existence de cendrier. Des tasses, elle en a façonnée, blanches et noires, tournées au tour, cuit une première fois dans un four classique, émaillée en partie, chaque pièce attendait l’ultime cuisson dans le four à gaz. Aux bols blancs et noirs, d’inspiration japonaise ont suivi des bols bleus, cuivres, rouges et cuivres, argentés et les derniers fait avant la retraite d’un jaune chaleureux. Je me souviens de ces jours d’été sans vent, le vent, signe de danger, signe que tout pouvait s’enflammer d’un coup. Jour sans vent où elle avait posé chaque pièce tournée, préparée, émaillée en partie, dans son four à raku. Elle allumait le gaz, faisait monter la température à neuf cents, mille degrés, cela durait un temps. Le temps de se parer, se préparer, se protéger de la tête au pied, un foulard sur la tête, pas un cheveu ne dépassant, un masque à gaz sur le visage et des gants de pompiers pour protéger ses mains, elle était parée. Parée pour affronter le feu, la chaleur, les effluves de gaz. Four à gaz, four carré, tirer le couvercle, provoquer le choc thermique qui fait de chaque pièce une pièce unique. Craquelures, fentes, casse parfois, chaque pièce est prise individuellement, avec une pince, les tasses avec les gants et posées dans un fût, un tonneau, rempli de sciure de bois qui s’enflamme. Un couvercle est posé, étouffant le feu, la fumée s’échappe, l’enfumage a lieu, il noircira les parties non émaillées. Pause, le temps d’une nuit avant de découvrir chaque pièce de la nettoyer, la laver, la frotter, la faire briller. Les tasses blanches et noires, bleus, jaunes marquent des époques. La terre, le feu, l’air et l’eau, les éléments de la vie. Céramiste, fille dont le père juif avait échappé à la mort, la transformation de la matière faisait oeuvre, oeuvre de vie et de création.

A propos de Caroline Burgy

Lire, écrire, faire écrire, trois mots, marqueurs de ma vie, animatrice d'ateliers d'écriture, ils ont jalonné ma vie depuis quelques années, des rencontres avec quelques passeurs m’ont donné l’occasion de soutenir cette place avec les autres. Marguerite Duras écrivait "l'écriture c'est l'inconnu. Avant d'écrire on ne sait pas ce qu'on va écrire..." sans doute suis je portée par cette part d'inconnu à découvrir au fil du temps...

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