#techniques #06 | En place

Après le rectangle long du square où s’enracinent kiosque, rangées d’arbres, statue de l’Histoire inscrivant le centenaire, c’est l’esplanade, devant la mairie aux deux grandes ailes, façade et campanile frappés par le soleil revenant, celui de l’après-midi. Lentement circulent les silhouettes d’un rassemblement encore diffus. Tonnelles pliantes blanches encerclent la place. Les promeneurs du jour s’arrêtent devant les stands des spécialités locales, les librairies provisoires, les tentes où repose, répartie dans des bidons, la pâte des crêpes, près des billigs circulaires. Sur un podium, dressé devant l’aile gauche de la mairie, le matériel son est en cours d’installation : table du beat maker, micros pour la guitare à gauche, l’accordéon à droite et voix au centre. Personne ne prête vraiment attention aux réglages, à la balance. Premières douceurs du printemps, les marches de la mairie sont recouvertes par les corps assis qui prennent le soleil et bavardent pendant la pause. Les musiciens entrent en scène. S’avance l’homme mince, tout en noir. Il vérifie que les feuilles volantes sont à leur place sur la petite tablette devant lui. Battements électroniques, montée en puissance des instruments et soudain le chant jaillit. Extraits par lui de l’attente informelle, les corps quittent les marches ou les déambulations périphériques. Ils se rapprochent, s’agrègent comme pour des retrouvailles. Limaille aimantée. La voix du chanteur les soulève, les entraine, les transporte dans l’autre langue sur l’autre terre. L’esplanade martelée en rythme réverbère le son et les rayons d’un soleil soudain intense, une fois éloignée la menace du ciel lourd. Noyau avec nuage d’électrons. Les cercles se forment, se défont, chaînes et entrelacs se chargent de vie. Les mains se trouvent, les corps se soutiennent, se souviennent. Passe-pieds, trihori, branles asymétriques, tout revient à la surface et ça tourne. Au centre, trois petits enfants se faufilent. Une fois à l’intérieur d’une ronde, impertinents ils observent les danseurs de haut en bas, courent au beau milieu, bien entourés par la foule devenue rythme et, à leur tour, se mettent à tourner sur eux-mêmes, tournent ensemble, puis tombent. L’homme-chant immobile au-dessus de la mêlée virevoltante délivre les sons brefs du rebond, et se laisse envahir par sa disparue.       

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.