#techniques #03 | deux mètres carrés de moi sur le corps

 © Se sentir vivant, Anne-Laure Lechat

Fermant d’abord. Les yeux. Dedans toi en suc, en acide, en tourbillon dans l’intestin. Sphincter frontière sans passeport. On passe en terre, deux grandes joues et trou face évacuations. On n’en voulait pas. Pas ce trou-là.

Ouvrant doigts-fleur sur poignet-tige. Les paumes de ma vie lignes croisées. Main de bébé loin loin. Dedans c’est moi, sans tu passé par ventre, passagère unique d’elle-même qui ne sait pas à quelle heure de la journée elle est entrée en gare. L’air a gonflé ses alvéoles son ventre pendant que ses yeux fixaient devant sans reconnaître rien de lit d’hôpital de drap de sang sans rien voir du désastre et du ciel du jour de février et si c’était la nuit elle ne sait pas. Il y a eu une odeur autour une odeur de peau qui collait à la bouche. Quelqu’un a dû poser une main sous ses fesses et l’autre derrière le dos lui poser des appuis pour l’élever à hauteur des yeux adultes. Puis la fait descendre et l’a collée comme une bouche sur le corps de sa mère. C’est là qu’elle a dû commencer à peser. Peser sur le ventre sur le sein de sa mère. Peser puis grandir et peser plus lourd. Et jamais elle n’a pu arrêter de peser. Elle a essayé de perdre ses contours enflés, de corriger les bordures, de coudre des bouts de peaux entre elles. Elle est restée avec un aimant dedans. Diamant-couteau.

Fermant ses lobes. Un jour la terre grasse de son crane a brûlé. C’était un. Sans dit. C’était dans les millions de filaments dans la forêt capillaire. Une neige est tombée, la couleur ravaudée. Les plants vivaient depuis dix-sept années en implantation compliquée double rotule à épis. Dehors d’énormes non chutaient en silence de la vie à la mort. « On tient une bactérie » dit la tempête à bosses. Une bactérie passait du grand saut dans le vide à cavité. Une carie crevait la performance buccale. Un sujet mâche plutôt qu’il n’avance. L’écorce qui entoure mon visage a craqué. Mon cortex a interdit la couleur. Les tuiles ont blanchi. On a coloré chacune de pigment artificiel, asséché la mare glauque logée dans la dent. Rien ne se devinait.

Ouvrant un passage, la visse s’enfonce dans l’os. La gencive est moi, elle épouse la dent importée. Si la peau se pose sans accroc mon sourire est sauvé. Dedans nous importons beaucoup de nasses de formes contre. C’est comme s’il fallait contourner trouver les itinéraires bis petites routes irrégulières mais passer. De la zone contournée vous ne savez pas grand-chose seulement ses lignes de contournement ces méandres à rejoindre un point A vers le B en plus de vies qu’il n’en faut. C’est un secret transcorporel en plusieurs vies encastrées les unes sur les autres. C’est une main qui ne toucherait jamais. 

Bouchant le nez, j’assoiffe mes vallées creuses. Corps trace. Odeur et cris. J’ai deux mètres carrés de moi sur le corps. Deux mètres carrés de peau qui m’entourent partout. Deux millions de pores qui font le tour de mon corps pour me protéger. Me vitaminer, me tempérer. M’équilibrer dans mes eaux. Me séparer de mes lymphes mes globules et mes vaisseaux. Deux millions de pores c’est la meilleure compagnie de mon squelette à os. Je ne suis jamais seule avec ma peau-cabane.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

2 commentaires à propos de “#techniques #03 | deux mètres carrés de moi sur le corps”

  1. Nolwenn, c’est vraiment un texte phénoménal… C’est hyper juste, émouvant, déroutant… Un peu surréaliste, ou plutôt transportant comme les déambulations d’Antonin Artaud
    J’ai aussi regardé ton blog, quels magnifiques voyages, franchement cela donne envie de se transporter à vos côtés, surtout sur l’Île de Groix…
    Un grand merci pour ces belles découvertes, et aussi pour ton si gentil commentaire pour « Sun walk »
    A très vite 🙂

    • Merci d’être passée lire Françoise. Je suis très touchée par ton retour.
      Oui ici dans ce cycle je m’exerce au “lâcher prise”, et les propositions d’écriture m’inspirent des formes expérimentales surprenantes.
      Les temps résidentiels d’écriture sont de beaux moments associés à la marche à pied (Gwenn et Juliette que tu connais ici ont participé l’an passé). Mes ateliers n’ont pas grand chose à voir avec mon écriture perso, mais j’ai beaucoup de plaisir à les proposer.
      Un prochain week-end probablement, après l’île de Groix, en septembre, côté méditerrannée (les accès sont prévus en train, ce sont des voyages passifs).
      A très vite et de tout coeur en écriture ! 🙂