#enfances #02 | Japanese Whispers

Je n’attends pas que l’auto ait passé la grille. Je ne m’assure pas à travers mon rideau que l’auto est engagée sur la route. Dès le démarrage sous ma fenêtre de l’auto de ma mère conduisant ma sœur pour la reprise de l’école à 13h30 je quitte ma chambre, j’entre dans la chambre de ma sœur, me dirige au fond de la chambre où j’empoigne droit en face de la porte, à droite de la table de nuit les deux boutons de la trappe intégrée à la cloison que je tire à moi, en faisant claquer de part et d’autre les deux aimants et basculer le poids sur ma poitrine avant de la soulever en m’aidant de mon genou droit faisant levier, la déporter sur la droite et mes orteils tendus, enfin la déposer en appui contre le classeurle classeur à double rideau déroulant de lamelles bois — l’excitant fracas que c’est comme d’un coup de tonnerre mobilier d’en laisser de toute sa hauteur, sans le retenir, retomber et s’enrouler un et même, sans rien ménager, pouces et index tournant là-haut les clés en même temps dans les serrures, les deux ! — classeur à rideaux derrière lesquels en divers contenants et liasses au format grosso modo A4 s’entassent des années de documents administratifs, factures, bons de garantie et autres modes d’emploi et fiches de paie de mes parents ainsi que toutes les cartes routières, sans dire rien des cartes postales reçues été après été depuis les vacances des uns et des autres — le classeur qui a juste là, sur ma droite, trouvé sa place entre la cloison récemment montée et le coffrage en frisette des conduits de cheminée. Le classeur que cette fois j’ignore, laisse derrière moi, mon bras, immédiatement suivi d’une torsion de mon tronc, les jambes fléchies, dos voûté, s’avançant alors dans la pénombre où je pénètre en entier prenant garde à ma tête et ne rien éventrer sous mes pieds tandis que mes doigts sans une hésitation atteignent l’interrupteur du néon qui s’y trouve dissimulé comme par une corniche sous la panne ventrière que j’ai connu apparente et font la lumière un brin palpitante sur une composition de cartons de toutes les tailles imprimés ou non, sacs poubelles et sacs en papier également rebondis, bagages divers d’un autre temps, ou non, pièces de petit mobilier et accessoires hors gabarit — soit rien qui ne serait rébarbatif et décourageant, si je me trouvais pour la première fois au plein milieu — sans hésitation parce que cette configuration, ce rapport de la poutre et du néon est identique, symétriquement et si j’excepte la cloison d’apparition récente, à celle de ma chambre au-dessus de mon lit — ceci parce que les plans d’origine des deux chambres se font pendants, la même panne, sous le même pan du toit, courant, traversante, depuis la tête de mon lit jusqu’au fond de ce débarras qui occupe dorénavant le fond de la chambre de ma sœur, en masquant la soupente.

Au fond de la chambre de ma sœur — entre le pied de son lit et le mien le conduit — dans leurs ombres que le plein midi du jour voile, et mange, se retirant peu à peu de la chambre de ma sœur et baignant plus complètement la mienne — la fenêtre de ma chambre donnant vers l’ouest, en façade — sur la route — tandis que la sienne s’ouvre dans le pignon est sur les champs — le garage à caravane — le conduit de l’air pulsé — sauf que quand ma tête — sur mon lit — est, également, à l’ouest, la sienne —  la tête du lit de ma sœur — dorénavant — est au sud — de l’installation d’air pulsé que mon père a raccordée à l’insert qu’il a posé dans le foyer de la cheminée trônant dans le salon — salon dans lequel est montée une table en kit ronde — La Redoute — autour de laquelle nous — deux parents deux enfants — un garçon une fille — prenons nos repas devant la télé — couleur — et le feu derrière la vitre — installation de chauffage au bois qui vient en complément — ou remplacement, selon les pièces — d’une chaudière au fioul — qui était là quand nous sommes arrivés — conduits d’air réchauffé mû par un ventilateur montant jusque dans nos chambres à l’étage — la mienne au-dessus de la salle à manger — même surface — la chambre de ma sœur — anciennement chambre de mes parents — au-dessus du salon et de l’actuelle chambre de mes parents — propulsant — insinuant — les parfums résineux un peu piquants de feu de bois qui cèdent, à l’intersaison — dans un égal ronflement et un égal souffle, continus — la place aux émanations sensibles bien qu’indirectes du fioul — au fond de la chambre de ma sœur — au fond de la mienne — son lit — le mien — sauf que la chambre où dort ma sœur n’est — dorénavant — plus aussi profonde que la mienne — et comme communiquant sous nos lits ou — à faible distance du pied de son lit comme du mien — la largeur d’une descente de lit — à hauteur de cadre de nos lits la bouche — une de chaque côté — dans laquelle le rayonnement du jour qui, insensiblement — maintenant — se retire de la chambre de ma sœur en inondant bientôt la mienne, vient, comme sous nos lits, se perdre — se noyer — bouche — de soufflage — une de chaque côté — à laquelle les conduits rigides d’acier galvanisé larges d’une tête — d’enfant — de l’air pulsé, passés plusieurs coudes — les uns dans les autres emboîtés — aboutissent en un ultime T comme, de ma chambre à la chambre de ma sœur, établissant une communication — barre sommitale du T et dernier segment de conduit entre sa bouche et la mienne — par où elles se font face — bouches ou grilles à volets mobiles qui laissent voir — entrevoir — à condition de nous y coller — ce que nous faisons, nous faisions enfants — plus enfants encore que nous ne sommes — à genoux, coudes au sol sur la moquette rase — vert sapin de mon côté, d’un rouge pourpre du sien — Tapisom — les râpant, brûlant pour peu que nos articulations s’y frottent, y laissant de nos traces blanches — volets dont les lames malaisément —  en cliquetant, en couinant — se ferment et s’ouvrent à l’aide d’une tirette latérale tenue entre les bouts du pouce et de l’index — faisant apparaître, pour se faire rire — ou peur, à travers les deux grilles et le mètre noir de conduit qui nous sépare, avec des hululements jouant de la résonance — de la profondeur — métallique de l’installation — comme si nous en étions les fantômes — chacune à un bout, encadrées, ma figure — la tête de ma sœur — apparitions dérisoires — puériles — rire de nous voir l’une l’autre comme des lutins des zones d’ombre de la maison surgis — rire de nous surprendre — et de nous savoir chacun de son côté — chacun dans sa chambre — dans la même ridicule posture faces aux cloisons — symétrie dont les surfaces habitables de nos chambres se font l’exact écho — la chambre de ma sœur étant rognée latéralement, face à sa fenêtre, par une enfilade de placards et penderies intégrées, tandis que la mienne l’est dans les mêmes disposition et proportions par la cage d’escalier — à la réserve près qu’au fond de la chambre de ma sœur une cloison — à la tête du lit de ma sœur — qui est le lit de la chambre à coucher de mes parents — la seconde — la chambre — ensemble lit, armoire et tables de nuit — qu’à l’étage mes parents ont désertée, depuis qu’une hernie discale retint mon père de monter l’escalier — s’installant alors dans la petite chambre du bas derrière le salon — dans leur premier mobilier — une cloison en carreaux de plâtre —ma sœur ayant depuis quitté sa chambrette de l’autre côté de la salle de jeux orientée au nord, difficile à chauffer — son mobilier de style bateau aux poignées de laiton encastrées et aux angles renforcés de même  — pour être installée dans la grande chambre —  une cloison par mon père ayant été montée — la tête à balustres du lit 160 haut et vernis sombre venant dorénavant se caler contre — tronquant la chambre — juste derrière la tête de ma sœur quand elle lit, au sommet du crâne de ma sœur quand elle dort — en dissimulant le fond en soupente — qu’elle soustrait à la lumière du jour — le transformant en débarras.

Laisser à travers la maison, derrière moi, tout, la trappe, ce débarras, la chambre de ma sœur, la mienne, sans égard pour les échanges d’air avec le volume sous comble non chauffé de la salle de jeux, ouvert, laisser (je laisse) le néon au-dessus de l’encombrement des cartons — de l’ouverture, du dénichage de ce carton — allumé et prendre, entre la porte ouverte de la chambre de ma sœur et la mienne, plaquée de frisette comme elles et l’ensemble de la salle de jeux, en face de la grande glace à colonnes (dans mon dos — je prends) posée sur le rebord de la cheminée la porte de l’escalier, le descendre (je dévale) l’objet du délit glissé sous le bras, traverser la salle à manger dans la maison vide à l’arrière de laquelle (j’y suis) rejoindre le coin du salon où trône le meuble hifi — bahut étroit et haut en chêne mouluré duquel (je tourne) tourner dans l’entrée de serrure à têtes de coq en laiton la clé de la porte du haut ouvre (j’appuie sur le bouton) sur l’étagement des trois éléments de la chaîne à façade d’alu brossé, appuyer sur le bouton Power émet un plop (je me hérisse) ou blurp (la molette du volume n’a pas — !! — la fois précédente été baissée à fond) comme d’une oreille débouchée en ravalant (j’avale — attrape l’impatience sur le dessus) dans les enceintes suspendues au plafond dans les deux coins, chaîne et télé, de part (Left) et (Right) d’autre de (pose le pot avec soucoupe et napperon à côté du disque sur la table ronde dépliée devant) la fenêtre qui (je soulève le couvercle du bahut), par-delà les rideaux à embrasses et pompons (en bloque le compas en position ouverte), donne sur la rangée des peupliers qui (soulève le couvercle de plastique fumé) borde l’allée qui de la grille mène en faux-plat (fais glisser le disque hors de sa pochette) à la descente de sous-sol et au garage à caravane à l’arrière du salon — fenêtre en dessous de laquelle par la bouche extérieure cadenassée prise dans la maçonnerie s’effectue le remplissage de la cuve à fioul occupant au sous-sol — dans la chaufferie où, pendus, les draps de nos lits sèchent — l’emplacement correspondant à celui du buffet — style basque — dans la salle à manger — disque soustrait au carton qui se trouve en ce moment juste au-dessus de ma tête — coin d’où (posé le disque sur le plateau et le bras de la tête de lecture sur le disque la rotation déclenchée), fesse posée sur l’accoudoir de la banquette en cuir et épaulé au corps du bahut, peuvent (miracle, mirador) depuis cette fenêtre latérale, mais encore en façade (tout yeux, tout ouïe) par une des deux portes-fenêtres de la salle à manger, être surveillées la circulation de la route à travers la haie et la grille au bout de l’allée — ainsi guettés (j’ai dix minutes — Just One Kiss et puis The Upstairs Room — devant moi) et anticipés la survenue ; le ralentissement (clignotants gauches) ; le retour de l’auto de ma mère — l’enchaînement à rebours enfin de l’ensemble des mouvements, gestes, actions qui m’ont conduit là.

Formuler sa phrase comme on tire un tiroir. Une rallonge. (Les vers d’un nez.) Les tirets ouvrent les tiroirs.
Phrase à tiroirs ou rallonges. Comme on tire des lignes. Un plan.


Rien de sentimental. Ou de poétique. Nulle évanescence. Nulle part le charme du souvenir. — De l’affairé. Rien qui prenne son temps. Rien qui se goûte. Qui se complaise. — Du surmené. De l’industrieux — du laborieux. Du préoccupé. Du précipité. (Panique.) Du factuel. Du descriptif. (J’éprouve un ennui insurmontable à décrire cela, écrit, à la Malone, Pedro Tarel.) De la rage. De l’enferrement dans l’ennui.

Les circonstances l’emportent sur les sensations. Les noient. La reconstitution perd la sensation. Textes-chapes.

Le matériau est ingrat. — Ne serait-ce pas patauger dans le roman familial ?

Peut-il se concevoir quelque chose qu’on lise sans plaisir ? dans le déplaisir ? la répugnance ? à reculons ? — à moins d’aimer déterrer ? Apercevoir la possibilité de travailler de — ou dans — l’illisible.

… Jusqu’à ce que, de tiret en tiret, de par les recoupements des subordonnées, dans le travers du texte le plan de la maison se dessine. En impasse.