vers un écrire/film #07 | Sauf

Quelque chose court dans le toit, j’ouvre les yeux. Une auto démarre, la pluie sur le velux, faible, ta respiration, je me tourne, le cœur qui bat. La pendule, en bas. À la maison. Je suis à la maison. Le volume s’en reconstitue dans le noir, en constellation de touches sonores, de profondeurs distinctes, couches ou densités du silence auxquelles je me suis fait, nuit après nuit, chacune se détachant, qui, à qui veut la voir, dessinent une maison, bruits à moi. À l’abri donc, je suis, sauf, à la maison comme en dehors de tout. Réfugié — réveillé — dans le moindre bruit reconnaissable, insulaire, non-invasif soupçon du bon fonctionnement, lent écoulement de la fin de la nuit, je le devine aux autos, à l’auto rare, première, deuxième, sauf. Que. Quelque chose a couru dans le toit. Rien. Depuis rien. Une auto seule, démarre, fort, deuxième, troisième, ronfle, faible, la pluie sur le velux. La continuité du grésillement doux de la pluie de la nuit sur le velux, ta respiration. Régulière, tempérée, dans l’oreille droite, tu dors, j’ai. Deux souffles, le cœur qui bat, je me tourne, dirige mon attention du côté où censément se trouve le velux dans le noir sans ligne, où la pluie s’entend. L’oreille est dans l’oreiller, les yeux ouverts s’appliquent au noir, des yeux que le noir presse entre les tempes où le sang bat, tout, bas. Toi, la pendule, moi — une auto — le cœur, le sang — une auto — la pluie. La caresse murmurée de la pluie. Et juste sous la pluie qui ne mouille pas de ton côté, côté passager, priorité à droite, une auto repart au stop en bas, ta respiration d’enfant, je m’en assure. Rassure. Deux souffles donc — le tien, je dois tendre l’oreille, je suis tout empli du mien. Ampli. Je suis tendu vers le tien. Pulsations, l’oreille contre l’oreiller, intensité, de l’électricité court dans le noir, dans la chambre saturée, deux souffles, l’oreille, l’autre, tendue, aiguë, un sifflement de fonctionnement continu de cerveau dans le noir, activité cérébrale, attention, réveil sous tension, basse, la chambre est ce poste, guetteur, de transformation. Le silence tout bruit de frottements, chahuté sous la couette main sur la cuisse, bras contre drap, cartilage de l’oreille. De l’air dans les narines, dans un sens et dans l’autre. De ton côté, de l’autre, je me retourne jusqu’au bord du lit, ce faisant les produis, les frottements de toutes parts mais encore. Penser aussi fait du bruit. Penser fait le plus de bruit. J’ai commencé sans y penser. Dans un rêve je pensais. La séquence se répète où je me tourne. Si je pouvais seulement demeurer à l’écoute, à sa surface. Si je pouvais me tenir à l’abri de replonger — ne me tentent ni le sommeil ni les jours. Je m’extrairais de mes frottements pour devenir antenne. Entendre nettement. M’abstraire de la dissolution cotonneuse de mon cerveau dans l’oreiller, son effervescence ou dispersibilité dans le noir. Je le fais, soulève ma tête, ce serait drôle à voir, rien que ma tête. Je m’élève au-dessus de la pression, occipitale, temporale, de l’oreiller. Je tente. Je tends vers le toit le cou, dans le volume sonore, le cristallin de l’écoute, antenne, je m’aiguise, tends à ma surface, épidermique, nerfs tendus à en sonner en suspension dans l’éveil, la tension dans le cou monte, je monte, sonde le toit, cela courait là — je visite en pensée anfractuosités, entrées possibles, passages, points de pénétration, d’infiltration. La chaise du voisin racle, il est son heure, sa porte, sa portière claquent. Son auto démarre, marche arrière. Rien. Depuis rien. Noir comble. Sifflement passe pour silence. Aiguilles cervicales. Une narine aussi siffle. À moi. À gauche. Tension cervicale parasite le noir bourdonne dans les combles, on dirait partout, emplit tout. On entend que lui. Cela me parcourt dans un farfouillis de pattes, combien, un fouissement de corps, de quel poids se sent le bruit sur moi, peser s’envoler fuir creuser, juste au-dessus de ma tête la bête débouche dans la chambre, tombe dans le lit sous la couette la peur, ne trouve pas la sortie là entre nos pieds, ou dans nos jambes — quelque chose manque, qui cloche. Je me suis détaché. Je me tiens à présent au-dessus de toi dans le noir, je me demande. Ouvre ma bouche pour t’entendre. Rien ne respire. Rien ne respire plus le repos dans notre chambre, dans cette posture. Y es-tu ? Où ton souffle ? S’est-il fait guetteur comme le mien, mis en sourdine ? As-tu entendu toi aussi dans le toit courir, ou m’as-tu entendu moi — c’est moi ou ça court dans le toit ? Le silence. L’immobilité est totale. T’a-t-il ouvert les yeux le bruit de courir, je veux dire, pénétrer ? Ta bouche ce faisant dans le noir s’est-elle ouverte comme la mienne est, tout bruissement de l’air dans mes narines contourné, réprimé ? M’écoutes-tu t’écouter ? Garderons-nous le silence ? Cependant que nos salives s’accumulent dans le béant de nos bouches, de nous deux qui, d’abord, déglutira, ravalera — trahira son éveil et son guet ? Nous ne respirons presque plus, presque plus personne entre nous pour respirer, s’avouer l’un à l’autre notre présence. Qui de nous deux prendra la parole, interrogeant, crevant le bombement noir de silence pour le dire — ce que c’est ?

De la recherche de bruits pour un film au film (ou drame ?) de la recherche d’un bruit

8 commentaires à propos de “vers un écrire/film #07 | Sauf”

  1. J’aime beaucoup ce « va et vient » des bruits de la pluie/de l’auto/du corps comme trois instances dans un jeu de ping-pong.

  2. beau et sensible « Le volume s’en reconstitue dans le noir, en constellation de touches sonores, de profondeurs distinctes, couches ou densités du silence auxquelles je me suis fait, nuit après nuit, chacune se détachant, qui, à qui veut la voir, dessinent une maison, bruits à moi. » dont tout découle

  3. Superbe. Le bruit des hésitations, des questions, de l’insomnie. Le bruit des pensées qui cavalcadent dans des allers-retours incessants. Je trouve ça très réussi. Merci.

  4. on est pris dans la répétition de certains mots, chaque bruit s’installe dans son importance, se répète, la pluie sur le Velux prend parfois le dessus
    surtout, on ne s’attend pas à cette fin de drame… dispute, incompréhension, la nuit difficile, interminable, où tous les sens sont tendus vers l’autre qui ne bouge pas
    vraiment réussi
    (mais il va me falloir que je le lise une deuxième fois…)

  5. Merci Françoise
    (oui, j’ai conscience que ce texte demande beaucoup, trop peut-être, à qui veut bien se prêter à sa lecture. C’est une difficulté constante pour moi que de parvenir à donner, libérer l’accès)