transversales#02-compressions

Une jolie veuve de capitaine élève seule et très correctement ses enfants, dont un fils, qui devient jeune homme et part pour l’université. On bascule d’une chambre à l’autre, chambre de la mère avec vue sur mer, chambre du fils, avec vue sur les livres, les voiles et la mère.

Une ville assiégée par la maladie des hommes. L’amitié est une baignade qui délasse de la folie. Le double raté de l’écrivain s’échine sur le dos d’une jument pour toujours.

Un homme au chômage a mis tout son argent dans une boîte de jazz. Il a du mal à finir les fins des mois. Son chat le guide à travers la ville et l’homme en découvre les ressorts romanesques. Il n’a qu’à vivre ces aventures pour devenir un personnage et sortir de cette impression fallacieuse que sa vie ne menait à rien.

Ils se révélèrent dans le hasard des signes. Il fixa le plus légèrement possible ce qu’elle laissait au vent, aux carrefours, aux fontaines. Il se fit bouche de ses yeux et sa parole fut douée de seconde vue.

C’est l’histoire d’une femme qui accepte de tuer la mère pour ne pas être tuée. C’est l’histoire d’une femme hors mère. C’est l’histoire de cette femme qui s’engendre elle-même.  

Un homme cherche en vain à se faire des amis. Son espoir est aussi grand que sa chambre est étroite. C’est pourtant entre ces quatre murs qu’il doit vivre. C’est l’histoire d’un homme qui rêve de sortir de lui-même.

Une mère a honte d’écrire à son fils devenu président. C’est l’histoire d’un fils qui a cherché à effacer sa mère comme une tache de naissance. La honte est ce qui leur reste en commun alors que tout désormais, les sépare.

Une balustrade sciée provoque la mort de la mère supérieure et fait basculer le destin de la jeune narratrice. Elle n’aura de cesse, à partir de cette chute désirée, de pratiquer l’art de la joie, de se donner corps et âme à la passion de vivre, d’approfondir sa liberté.

Un jeune homme qui pourrait être tout aussi bien être vieux ou entre deux âge ou sans, rencontre successivement plusieurs personnes susceptibles, selon son vœu le plus cher, de devenir ses amis. Finalement, il se rend compte que sa quête est sans objet dans ce monde. Ou bien l’objet de la quête est trop grand, ou bien le monde est trop petit. Il existe tout de même une chance : qu’un lecteur prête son amitié à cet homme, le temps de lire son histoire. Mais alors, il n’en saurait rien, puisque vivant seulement dans une dimension littéraire. Ce qui fait que  la solitude est bien le sujet de ce livre.

Je pense souvent à ce livre comme à une énigme. J’ai des opinions sur lui que je soupçonne toujours d’être fausses. Je me fais des films. Mes analyses, poussées à bout, ne tiennent pas la route. Je reste à jamais déroutée. Et c’est peut-être pour cela que je le relis sans cesse.

Une mère écrit à son fils. Elle ne l’a pas vu depuis des années. On suppose que cette lettre est la dernière d’une longue liste et que toutes sont restées sans réponses. On suppose des lettres et en face, un silence écrasant. On suppose aussi, on en est de plus en plus sûr à mesure que la lettre nous est dévoilée, que le fils a changé de classe sociale, et que pour ces raisons, entre autres, il a rompu avec sa mère. Que le silence s’est creusé à mesure que le fils a gravi les échelons de la société, jusqu’à atteindre le sommet.

Elle est femme. Il est homme. Elle est aussi poisson. Il est aussi chevalier. Elle décide de tomber dans ses filets. Il accepte de mordre à l’hameçon. Elle sait qu’il finira par la tromper. Elle est avertie. Mais elle incarne l’amour éternel. Il finit par ne plus supporter tant d’idéalisme. Il la trompe, c’est humain. Elle doit le tuer. Son cœur se brise en même temps que sa mémoire.

Une saltimbanque devenue brigande est soumise à un interrogatoire. Elle connaît des vociférations transmises de façon matrilinéaire. Le cœur du livre renferme lesdites vociférations, qui sont alors transmises au lecteur. La troisième partie, sans ponctuation, est le récit à la troisième personne des voyages multidimensionnels d’une entité nommée Mô-Mô, qui transite par des corps humains, entre autres espèces, et dont il efface l’esprit en s’y logeant. Je suis l’hôte d’une voix qui est l’hôte d’un personnage qui est l’hôte de plusieurs autres.

2 commentaires à propos de “transversales#02-compressions”

  1. Même si, ici, nous ne sommes pas encore dans #transversales #3, ce passage dit très bien quelle fut et est encore ma lecture de La maison des feuilles :
    « Je pense souvent à ce livre comme à une énigme. J’ai des opinions sur lui que je soupçonne toujours d’être fausses. Je me fais des films. Mes analyses, poussées à bout, ne tiennent pas la route. Je reste à jamais déroutée. Et c’est peut-être pour cela que je le relis sans cesse.« 
    Sacrée coïncidence.
    Merci !

    • merci g@rp, la maison des feuilles est en bonne place dans ma bibliothèque, livre dans lequel je suis moi aussi tombée et perdue, hâte de poursuivre ces transversales…