transversales #04 | cela commence comme ça

Guerre 14-18 dans le Nord de la France, un homme raconte sa peur – Pas la peur héroïque du soldat, ni la grande peur historique, non, la sienne, la vraie, la faille réelle, devant l’horreur et l’inhumanité.

Cela commence comme ça,

A l’aube, sur le champ de bataille, un homme, encore jeune, tête brune, cheveux courts, à l’allure longiligne et aux traits fins, se lève. Ses camarades dorment encore. De son pas léger, il traverse les corps qui rêvent, grimpe sur la tranchée, et marche. Il est là tête nue, sans armes, corps et âme livrés, il attend. Pas un bruit, pas un son.  » Il doit pourtant bien y avoir un autre que moi, éveillé, à l’affût, qui guette l’ennemi. Il doit pourtant bien y avoir un fusil ou un regard dressé dans ma direction « , pense t’il. Mais le silence perdure. Il ne bouge pas. Il entrevoit à l’horizon les toutes premières infimes lueurs du jour poindre. Il écoute le vent dans ses oreilles et serait presque heureux au milieu de ce nulle part s’il ne sentait pas quelque chose d’imperceptible mais de présent, monter en lui. Petit à petit, silencieusement et sans crier gare, os après os, vertèbre après vertèbre, tout son corps se raidit et se tend. Ses articulations se crispent. Son coeur se rétrécit et chacun de ses battements lui cogne la poitrine violemment. Il se sent envahi, ligaturé comme noué ou attaché à une corde invisible. Broyé de l’intérieur. Son sang se fige et ses veines semblent se teinter de noires. Aucune pensée raisonnable ne traverse son esprit. Il tente de bouger ses jambes mais elles restent là engoncées, de plomb et immobiles dans la terre boueuse. Il aimerait appeler mais sa gorge serrée l’empêche d’émettre la moindre parcelle de voix. Il sait, il le sent, il l’a déjà ressenti , il sait que cela commence comme ça. Semblable à l’enfant qu’il était dans l’obscurité, à l’homme qui ne veut pas mourir avant d’avoir vécu.

IL A PEUR

Il a peur. Il est tétanisé. Il la connait et la reconnait.Il regarde le ciel encore nuit et deux larmes coulent le long de son visage.  » J’ai peur  » se dit-il tout bas. Il aimerait hurler, réveiller ses frères et leur avouer son envie de fuir, son désir d’être ailleurs. Mais il a honte, aussi.

Ill serre les dents, les poings, ferme les yeux et s’apprête à faire demi-tour quand brusquement, une main se pose sur son épaule.

Face à la société violente et égoïste qui l’entoure, une femme nous partage ses pensées et ses désirs de devenir un arbre. Vivre à l’heure de l’arbre, faire l’amour avec l’arbre, la mort des arbres. Avec douceur, force et puissance dans chacune de ses paroles, elle nous questionne sur notre propre vision de l’être et notre relation au monde.

Cela commence comme ça.

« Je veux devenir un arbre » – crie t-elle. « Oui bon en attendant fais tes devoirs », « range ta chambre » lui répond-on. « Je veux devenir un arbre, vous ne comprenez rien ! ».  » Mais ce n’est pas possible, elle est vraiment casse-pied cette gosse, tu n’es pas un arbre, tu ne peux pas devenir un arbre et puis qu’est ce qui t’a mis cette idée dans la tête ? Nous sommes des humains, des humains, tu entends ? »  » Je m’en fiche, je veux être un arbre et j’en serai un ». La claque qui suit achève de la ramener dans sa chambre mais pas de la faire taire. L’enfant bouillonne intérieurement. Elle sait au fond d’elle-même, qu’elle n’est pas venue sur terre pour vivre comme tout le monde. Elle sait qu’elle a un destin plus grand qu’elle. Elle sait qu’elle doit lutter pour ne pas être enfouie dans cette société matérialiste et étriquée. Elle le sent depuis toute petite que quelque chose l’appelle. Mais en attendant, elle doit grandir, aller à l’école puis au lycée. « Mais comment ça tu n’as pas de bonnes notes ? Tu as vu ton bulletin ? Comment vas tu faire pour avoir ton bac ? Mais qu’est ce que l’on a fait à Dieu pour mériter une fille pareille ? ». Ce n’est pas la porte de la chambre qu’elle claque cette fois-ci mais celle de la maison. Elle court. Les larmes montent vite et fortes. Elle court et va se réfugier dans la forêt. Elle court et crie sa douleur, sa colère. Sa voix d’adolescente se répercute sur les troncs, s’envole parmi les feuilles, dans les branches et va se perdre au milieu des nuages. « Mais pourquoi ? » hurle t-elle. « Pourquoi ? ». Comment est-ce possible que la vie continue ainsi pour elle ? Pourquoi est-elle toujours parmi les humains ? Elle a le sentiment que ce qui la poussait petite est en train de disparaitre. La force qu’elle ressentait semble s’affaiblir au fur et à mesure des années. Elle a la sensation d’avancer dans un monde aux hautes portes qui ne s’ouvrent jamais. « Pourquoi ?  » balance t’elle à la cime des arbres, attendant, espérant une réponse, un signe, quelque chose qui lui montrerait le chemin, son chemin. Elle hait ses parents, elle hait sa vie. Elle court pour oublier ce qu’elle est. Elle court et tombe sur le sentier. Elle court et tombe en larmes, exténuée. Elle s’allonge sur le dos, écarte les bras et contemple le ciel si loin. Elle sent la terre ferme et les racines sous ses os. Elle sent les odeurs de la forêt et une sensation d’apaisement l’envahir. Elle ferme les yeux. Elle respire. Elle glisse doucement ses doigts sous les feuilles, les enfonce délicatement dans le sol, elle appuie tout son corps comme si elle cherchait à être engloutie. Une brise se met doucement à souffler sur son visage et efface ses larmes. Elle ne s’endort pas. Elle est bien là, comme absorbée par la terre. « Eh mais c’est Esther ! Eh Esther, qu’est ce que tu fous là ? Pourquoi tu es allongée, tu vas bien ? « . Brusquement, Esther ouvre les yeux et se redresse. Une bande de filles et de garçons de son lycée la dévisage, éberlués. Elle les connait mais ne les fréquente qu’à peine. « Tu es tombée ? » « Oui, c’est ça, je suis tombée ». Un des garçons lui tend la main. Elle hésite mais l’attrape. Debout, ils la jugent. Elle doit avoir l’air débile pleine de terre et de feuilles dans les cheveux. « Bon ben faut qu’on y aille, tu veux venir avec nous ? » lui demande le garçon qui l’a aidé. « Euh non ça va aller, de toute façon il faut que je rentre chez moi ». « Tu es sûr ? » insiste t-il. « Oui, oui, merci. » Ils partent, elle les entend parler et rire fort. Des bribes se font entendre « Elle est bizarre quand même ! »  » Mais non, elle était tombée ! »  » Ah oui, tu y crois toi à son histoire ?  » Elle est tout le temps, toute seule  » « Oh toi tu l’aimes bien dis donc ! ». Elle ne les entend plus mais les voit faire semblant de se chahuter. Sûrement à cause de moi ne peut-elle s’empêcher de penser. Elle jette un coup d’oeil sur son allure. Oh non, ce n’est pas possible, dés demain, elle va devenir la risée du lycée.

Une femme fait son entrée au Panthéon pour la sixième fois dans l’Histoire.

Cela commence comme ça.

ça y est ! Enfin ! Elle est choisie –

C’est elle, cette année qui va faire son entrée au Panthéon.

Elle n’y a jamais mis les pieds, ni les mains, ni le bout de son nez.

Le Panthéon, la vache !

Le Panthéon qui a accueilli en son sein les Dieux, les grands hommes et les grandes femmes de ce monde et aujourd’hui, elle.

Et elle s’est dit qu’elle n’allait pas attendre le jour de la cérémonie officielle pour aller y voir de plus près. C’est pourquoi ce jour-là, elle est là, plantée, toute menue, devant la porte de l’entrée qu’elle tente de pousser de ses deux mains mais rien n’y fait. Celle-ci est si lourde qu’elle ne bouge pas d’un centimètre.  » Ben mince alors ! « . Elle ne va pas quand même être arrêtée par une porte aussi prestigieuse soit-elle et d’autant plus qu’elle a bien mérité d’y rentrer. Elle jette un bref coup d’oeil autour d’elle, quelques touristes admirent l’extérieur, d’autres sont attablés aux terrasses des cafés, descendant vers le jardin du Luxembourg et personne ne semble la regarder ou faire attention à elle. De nouveau, elle pousse de ses deux mains, pose son buste, puis son corps arc-bouté mais pas l’ombre d’un mouvement. Pas le moindre cliquetis ou bruit sourd qui pourrait évoquer un filet d’air provoquant une ouverture. Seule la lourde masse qui s’impose entre elle et le monument.

Serait-ce un signe ? Ne serait-elle pas vraiment légitime ?

Et si on s’était trompé de nom, si on avait confondu avec quelqu’un d’autre ?

Elle se disait bien que c’était étrange toute cette histoire car elle était toujours vivante !

Mais enfin, on ne peut quand même pas se tromper sur une affaire aussi importante, non ?

Elle reste là les deux pieds en suspens ne sachant quoi faire.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

2 commentaires à propos de “transversales #04 | cela commence comme ça”

  1. homme| adolescente| femme| tu t’approches au plus près de chacun.e, tu nous permets de les rencontrer, de frôler leur solitude| sensible| merci