transversales #06 | deux ou trois choses que je découvre

J’abordais sereine « ces questions me concernant » quand j’ai reçu un coup de poing dans l’estomac. De ceux qui font vaciller. Je ne parle pas de doute, je parle d’ébranlement, presque de K.O. Il faut que je me relève.

Tu écris, tu lis et puis tu tombes (comme ça par hasard) sur quelque chose de brut, de sincère, de jamais lu, jamais écrit. C’est pas ton style, c’est pas ce que tu as envie de dire, mais ça t’accroche, ça te sonne, ça t’amoche.

Des bilans, j’en fais de temps en temps. J’en suis où ? Pourquoi je continue ? Qu’est-ce que je cherche ? Je pratique donc je suis. Collectivement donc j’existe. Je gagne en maîtrise donc je continue. Longtemps, je n’ai pratiqué que pour cela : dire clairement, synthétiquement, habilement. Faire court, pertinent, performatif même. Est-ce cela écrire ?

Y voir plus clair, dire plus clair, ça a incontestablement des vertus. C’est froid, intellectuel, sec, distancié ; c’est aussi un jeu excitant. J’aide parfois des artistes ou des scientifiques à mettre de l’ordre dans ce qu’ils veulent dire et je prends un grand plaisir à rentrer dans la problématique d’une autre ou d’un autre. C’est une compétence comme on dit à Pole Emploi. Cette excitation n’a pas grand-chose à voir avec l’écriture ; ma tête sait faire ça avec mon histoire, mes savoirs et savoir-être (ces derniers pour le dire à l’auteur). Ce n’est pas cela écrire, je le sais.

Je n’aime pas les déballages, cette écriture impudique qui me laisse de marbre (et même un peu dégoûtée), pas de risque que j’y aille. J’attache du prix à la sincérité. Qu’est-ce que la sincérité en écriture ? Je relis Perec ; il se pose la même question. Oui, la sincérité ! Celle qui se reconnaît immédiatement, celle qui touche au cœur du lecteur. Comment l’atteint-on cette sincérité ? Est-ce une question de sujet ? Une question de forme, de style ? Je ne crois pas.

Ne pas courir derrière l’originalité (je n’y suis d’ailleurs jamais arrivée), ne pas risquer son intimité (ce n’est pas mon truc et mon histoire est plutôt banale), trouver cette adéquation pour dire l’individualité de son propre être au monde. Que faire ? Comment le faire ? Une histoire de fond ou de forme ? J’ai longtemps cru que c’était la forme qu’il fallait changer. Je n’y arrive pas. Mes tics d’écriture me poursuivent. J’essaie de les chasser (chasser les « mais » par exemple). Est cela que je dois changer ? Ne faut-il pas chercher ailleurs ?

Il y a quelque chose qui se joue entre une écriture en extériorité et une écriture en intériorité que je n’arrive pas à définir. Je sens bien la différence entre cette écriture de jeu (qui peut être habile et plaisante) et cette écriture de Je (qui ne sort pas), comme si je n’avais pas trouvé mon lieu. Le lieu où coïncide ce que je veux dire du monde et ce que je veux dire de mon intérieur, de ma perception du monde. Je le sens comme un lieu reposant, apaisant, simple où l’on a envie d’aller sans effort. Cela existe-t-il ?

Écrire n’est pas qu’un passe-temps, ce n’est pas non plus une violente nécessité intérieure (quand je n’écris pas, je photographie ou je lis) j’ai bien sûr quelques autres activités personnelles ou sociales, je me définis pourtant à travers ces pratiques : raconteuse d’histoires et faiseuse d’images. J’ai la chance et la malchance de ne pas avoir à en vivre. Je sais la difficulté de vivre de son art. J’aurais sans doute fait plus, osé plus si… je le regrette parfois, pas longtemps. Je ne dédaigne pas la reconnaissance d’une vente, d’un retour, d’une signature . J’en voudrais plus. J’ai déjà fait un pas (énorme pour moi à l’époque) en publiant ce que j’écris. Il faudrait aller plus loin. Comment trouver le courage ? Comment accepter les refus ?

J’ai promené le chien, mon mari a cessé de me questionner sur les papiers manquants pour la déclaration d’impôts, la trottinette électrique du petit-fils est encore en panne (malgré son rotor de 800 Watts et trois renvois au service parisien de maintenance), j’ai finalisé l’organisation de la fête des voisins et rempli mes tâches de secrétaire et présidente d’association, il a plu et le potager s’est arrosé tout seul, j’attends le livre d’Antonin Crenn tout en lisant le livre à succès d’un auteur estonien qu’un ami m’a recommandé (qui ne me plaît pas trop), j’ai observé un rouge-queue nourrissant son petit et l’incitant à voler, puis je les ai perdus de vue, ma fille m’a appelée de Montréal en allant au travail à pied à travers la montagne (il y fait un temps étrange, mais elle était en tee-shirt), ce soir nous regarderons la suite de la série israélienne (Netflix), le tabac-presse de Lissieu m’a fixé la date d’organisation de la signature de mon livre paru avant le confinement. Qu’ai-je besoin d’écrire ? Qu’ai-je besoin de me questionner sur où j’en suis ? Cela donne du sens à ce que je vis (ah, le sens la grande affaire !) et puis ça fait rester vivant comme la marche à pied (7 000 pas par jour).

C’est bien de commencer par un K.O. ça remet les choses en place. L’écriture m’apaise, voilà une certitude. Peut-être la seule ?

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

7 commentaires à propos de “transversales #06 | deux ou trois choses que je découvre”

  1. Merci Danièle c’est comme se plonger dans des eaux claires. Ça fait réfléchir. Merci. ( et bonne signature)

    • Merci Nathalie, j’aime bien cette idée de plonger dans les eaux claires, mais clair, trop clair, un besoin de comprendre , d’analyser qui m’éloigne du laisser -faire, lâcher prise (cf le commentaire que je viens de te faire grâce à ton texte qui me permet de la formuler)

      • j’ai fréquenté l’eau des marais (salants) avec ces grandes nappes rosées au levant. quand on marche dedans une terre douce et grise brouille l’eau . J’aime aussi celle des creux d’eau dans la roche, transparente mais glaciale . Claire, si claire . J’aimerais tant pouvoir m’y tremper et demeurer (mais j’ai froid ) il existe encore pas mal de possibilités de baignades ce qui est rassurant…

  2. Merci Danièle ,c’est clair, net et précis, comme K.O, un K.O mystérieux. C’est bien les mystères.

    • Trop clair, net, précis. je n’y peux rien, c’est peut-être cela qu’il faut que je travaille : me laisser envahir par du plus flou, des images moins précises, des mots plus mystérieux. Le K.O. que j’évoque, c’est un texte d’une participante auquel je ne comprends pas grand chose…et pourtant !

  3. Merci Danièle pour ce texte qui remet évidence. Toutes ces questions qu’il faut repousser chaque instant pour continuer à oser écrire, toi, tu les exposes clairement et sincèrement. Se plonger dans des eaux claires, Nathalie a raison. Et la passage au quotidien si attractif après les questions, humour et douceur de la transition comme remettre les pieds sur terre.

    • Merci Anne de ta lecture. Il y a tant à découvrir sur soi dans l’écriture. ce n’est pas la première fois que les ateliers nous proposent cette interrogation. J’y vais chaque fois… sans prendre le temps d’aller rechercher ce que j’ai écrit la fois précédente.