Métamorphose

1.

Le jardin. Du brouillard on n’y voit rien. Ça pleut. On voit mon reflet contre la vitre, qui regarde, la buée déformante en gouttes grosses, du souffle, les bulles dans le verre comme billes de pluie. La fin d’après midi. Herbe vert sombre. On voit rien de plus.

(Plus tard.)

Bol de thé chaud porté dans nos mains. Seule. Le carreau chancelant, le carreau en brique vieille qui résonne à terre, toujours glacé, que le thé tache, que le thé tache. On aime le carreau de brique vieille, froid comme sa peau de ma grand-mère, froid et ridé, avec ses mains maigres, et ses os. Son sourire. On rit. Vitre couverte de la pluie. Vitre couverte de la nuit qui vient. La peau épaisse de buée, de la chaleur du rire et du thé. Une tache verte.

(Plus tard.)

Nuit. On a chaud du thé qu’on a bu. Le son proche, proche, de l’aiguille vibrante, lourde, de l’horloge ancienne. Ça t’endort. On rêve. On rêve on heurte aux carreaux gros des fenêtres. Le jardin roule dans le rêve et la nuit, le jardin… une coque sourde, une aiguille qui vibre vibre un corps qui roule et tombe, et s’endort.

(Plus tard.)

Deux chouettes. Yeux immenses, un jardin-yeux, une maison-yeux, l’absorption de tout dans ces grands yeux de lune.

(Plus tard.)

L’odeur sauvage des faunes à perte de nuit.

2.

(Plus tard. La même heure, la même heure exacte…)

Jardin. Le bruit de la pluie le bruit des herbes dures qui percent chaque goutte grosse de la pluie. Le bruit des herbes qui percent le brouillard gros, des pointes des herbes-lances, hautes, des herbes-fer de lance. Brouillard éventré du dessous, on voit, une masse épaisse on voit, on voit le gris on voit le bruit on voit nos oreilles sourdes, percées, on voit rien.

(Plus tard)

Dans les mains le bol, du thé brûlant. On ne voit rien. On a fermé les yeux on veut… on ne veut rien. On a fermé les yeux on marche. On entend le coup des pluies éclatées, on entend le coups des pieds qui heurtent, à la terre froide, la brique, à chaque pas le coup tasse les os tasse, les os. On entend les gouttes du thé brûlant, heurter, éclater à la brique froide. Deux gouttes. Le coup. La brique perce chaque goutte du thé brûlant, j’entends la brutalité extrême, j’entends la douleur extrême du thé, de la brûlure, qui éclate.

(Plus tard)

Nuit. On est dans la brume saoule du thé qui a été éclaté. La grande pièce à l’horloge est saoule de cette brume éclatée. Le carreau, de la fenêtre, est noyé. On entend le bruit comme un crépitement comme des longues aiguilles, comme la longue retombée de longues aiguilles, de chaque minuscule particule étoilée de l’éclatement du thé, qui retombe encore et qui éclate, brûlante, encore, dans la brume de thé…

(Plus tard)

Goulots énormes hantés de brume, béants; la vieille pièce entière une cheminée immense, une gueule d’une cheminée immense… C’est l’absorption de tout dans ce ventre brûlant.

(Plus tard.)

Plus rien. L’absence, plus rien que l’absence monstrueuse des brouillards éventrés.