Une trace parmi les autres

Un seul texte en plusieurs qu’on lirait sans reprendre son souffle et à toute vitesse. Il s’agirait ici de balayer l’enfance de toutes ses poussières, lever le moindre doute, le regarder voleter et s’enfuir à travers les fenêtres grandes ouvertes. Ce serait comme sauter d’une image à une autre. Ce serait attendre la fin du livre pour avoir un tableau. D’une lecture à  l’autre, on pourrait suivre plusieurs fils comme dans « les livres dont vous êtes le héros » qui auraient bercés son enfance. Jamais la même route pour atteindre un unique lieu, celui où tout s’éclaire. Il y aurait quand même un fil conducteur et c’est elle qui le tiendrait bien serré dans sa pogne. Peut-être qu’elle choisirait Ariane comme nom de plume juste pour le clin d’œil et sans le dire à personne.

 « Suis arrivée matin. Ai vagi pour la réveiller. Décollé mes paupières. Décollé trop vite même. N’ai pas fait l’unanimité seulement la moitié. Avais une fente et pas un robinet. Etais née fendue, quoi ! N’ai pas tété longtemps car mordu les crevasses et fait naître le sang. Ai reçu des soins fous et de l’angoisse pure. N’ai pas reçu les mots. Ai forgé mes outils. Et puis les ai perdus. Ai cherché, fouillé, creusé. Partout. Voulais les retrouver. Voulais encore voler. Voulais qu’elle s’envole. Devais montrer l’exemple et ensuite elle aussi. Voulais la sauver, étais obligée, quoi ! Puis ai abandonné et suis partie sans elle. Voulais pas m’écraser, voulais pas être pierre. Voulais vivre. Être libre. L’ai laissée loin derrière. Ai trimballé des cailloux pour construire un chemin. Un qui tienne la route. Suis montée très, très haut. Ai laissé les filets voleter tout en bas. Même pas peur, avais ! Avalais la route, engouffrais la vie.  Emportais tous les autres, tous ceux qui avaient besoin. Réparais, retissais et soignais. Rapetassais, comme on dit. Croquais à pleines dents le jus sucré du monde. Donnais tout, tout le temps. Ne prenais pas grand-chose. Ai fini par tomber. Par faire la culbute à travers des nuages qui ne me portaient plus. Me suis arrêtée. Ai pleuré des litres de rivière salée. Ai regardé en arrière. Ai vu ma prison apparaître. Suis entrée profond en elle. Ai exploré minutieusement. Ai distingué les pierres disjointes et les murs qui écroulent. Ne les avais jamais vus avant. Savais même pas qu’ils étaient là ! Ai pris mon courage à deux mains. Ce qui me restait de forces. Ai recommencé. Lentement. Ai déconstruit puis rebâti. Ai accepté la solitude. Ai enfin aimé le silence. Ai réussi à ne plus rire tout le temps. Etais quand même quelqu’un toute seule. Me suis étonnée et reposée. Me suis sentie rassurée que tout ne se repose pas sur moi. Me suis même sentie rassasiée. Pas longtemps. Ai mis de l’ordre dans le chaos, et retrouvé un équilibre. Ai cru que ça y était. Ai déposé l’armure, ai déposé l’épée, ai enfourché ma propre histoire. Ai avancé sereine. Me suis allégée. Ai pu être présente. Croyais avoir fait la paix. Croyais pour toujours baigner dans la lumière, à l’abri des remous. Avais fait ma partie, avais rempli ma part, quoi ! Me suis sentie forte de ma peur, enfin. Avais pu la regarder dans les yeux et la prendre avec moi. Avais donc gagné le combat décisif, non ? Ai arrêté les trop-pleins de questions. Ai vécu sans m’excuser. Ai bien aimé être. Pas longtemps. Ai dû reprendre les armes, n’y étais pourtant pour rien. Devais la sauver vraiment cette fois. Ne pouvais plus avancer ni en rire. Ai ressenti l’injustice. Ai su de suite. Ne pouvais pas être ailleurs de toute façon. Me suis inventée un rôle dans la tragédie grecque. Ai lu au compte-goutte « La Vie Mode d’Emploi ». Avais dû rater quelque chose ou sauter un chapitre. Avais encore espoir à l’époque. Ai assisté à tout jusqu’au fond des égouts. N’ai presque rien sauvé. Ai essayé de remonter. Crois que n’ai pas vraiment pu tout à fait. Continue à grimper. Parfois lâche la corde. Retombe lourdement. Essaye la douceur, le simple, le présent. L’aujourd’hui. Ai haché du basilic. Y ai rajouté de l’ail. Ai mélangé au parmesan, à l’huile d’olive et aux pignons. Puis ai mis tout ça en pots qui embaume l’espace. Ai fait sécher les tomates et puis les aubergines. Ai confit tout cela pour les soirées d’hiver. Ai écrit un peu, pas assez. Me suis dit en fait trop. Encore trop, quoi ! Me suis dit ai tout fait même étouffer vraiment. Suis jamais montée sur un cheval, pourtant. Ai jamais beaucoup voyagé sur mes pieds non plus. Suis pas rendue martyre ou alors pas encore. Ai pas changé le monde. Ai pas fait grand-chose finalement. »

Le chemin du grand-père paternel : pour la petite fille, il serait le point de départ. Bien malgré lui, car il serait déjà mort au moment où tout commencerait. Ce serait d’ailleurs à cause de cette disparition que tout serait devenu si compliqué avec le père.

Son nez touche à peine le bas de la vitre elle est enroulée sur le siège avant pourtant c’est interdit d’habitude le nez collé au carreau elle entraperçoit dans le reflet taciturne ses sourcils sombres qu’éclaire à peine la blancheur pâle de son front et les mimiques à travers des adultes détournés à moitié sous cette pluie battante ou sous ce crépuscule leurs bouches et leurs doigts qui s’agitent leurs bouches grandes ouvertes le papillon de leurs mains qui s’approche dangereusement du visage de l’autre elle retient son souffle ses oreilles lui sifflent si fort qu’elle n’entend rien du tout du ballet de ces gestes et son ventre tout en bas s’empêche de couiner son ventre prend toute la place il bat fort et la brûle son souffle sur la vitre anesthésie l’image elle chantonne en sourdine pour faire semblant d’être ailleurs dans un bateau en pleine tempête en route pour l’Amérique comme Sophie qui en a vu d’autres elle va bientôt tourner la page se retrouver dans un foyer doux et chaleureux à contempler paisible un paysage de montagnes à travers une grande porte-fenêtre en surplomb du plateau avec rien qui arrête le regard à se dire que la quiétude serait maintenant de trouver quelqu’un qui lui ressemble un alter égo plus besoin du combat pour se faire une place et ce regard limpide qui coulerait tout seul d’une vitre à une autre quand les battants seraient ouverts sur la terrasse explosée de soleil un ricochet de l’œil qui viendrait jusqu’à elle et qu’elle lui renverrait à la place de mots se fondre dans le vert des sommets tout au fond dans l’à-pic des rochers oui il serait bien temps maintenant de se vivre moins seule de retrouver cette fatigue joyeuse l’insouciance d’avant attendre vigilante sans quitter un instant le trou noir et rond en face de son lit un sommier de palettes à ras du sol et une méchante paillasse de conte de fée posée dessus que la chauve-souris entre et se pose comme tous les soirs au-dessus de sa tête accroché tête en bas à la voute de pierres parfois les nuits de pleine lune ou de voie lactée dense elle devine d’abord son ombre qui s’annonce avant de la voir affairée et anxieuse comme une petite bonne femme débordée par les tracas du quotidien rejoindre son endroit de sommeil même si c’est étrange qu’une chauve-souris dorme la nuit c’est peut-être la lueur de la bougie en-dessous qui la trompe mais même ensuite quand elle a fini de lire et qu’elle souffle la flamme la bestiole ne bouge pas ne lui fait jamais peur ne se prend pas dans ses cheveux comme dans ceux de Pierrette d’où elle ne peut plus la déloger elle aime bien ce trou rond sur le mur d’en face c’est comme si elle pouvait voir venir de loin du fond de l’utérus bien emmitouflée dans sa cahute elle a percé une autre fenêtre sur le mur de gauche là où se dessinait le contour d’une ancienne murée à quoi peut bien servir une fenêtre bâillonnée elle la ferme la nuit d’un grand panneau de bois en attendant d’avoir de vrais carreaux s’amuse le jour à regarder à travers le trou en imaginant bientôt le jardin de vivaces sèches et rudes qu’elle mettra à ses pieds les pierres qu’elle arrangera en rond et comment elle pourra planter de quoi se nourrir même si la terre est rare et peu profonde ici même s’ils lui disent que tout ça n’est qu’un rêve de gosse allumée mais elle n’a jamais aimé sentir la pièce derrière elle qui se reflète quand elle regarde dehors l’hiver à la nuit tombée et que l’on n’a pas encore fermé les volets le lustre rococo et les boules en verre vert pâle emprisonnées dans le filet de pêche suspendu au mur blanc le vieux buffet derrière qui prend toute la place et étouffe elle a l’impression qu’elle est en dehors du tableau à regarder l’image à contempler les drames et les secrets d’une tribu dont elle est l’étrangère le témoin sans parole ou le futur scribe contempler l’air de rien et de dos la répétition de leurs gestes dans la lumière étranglée et le formica bleu être capable de suspendre le temps de le faire revenir à l’envi et se sentir glacée victime d’injustice d’avoir tant de pouvoir chercher à rentrer dans l’image qui ne veut pas d’elle griffer mordre et pédaler contre la vitre pour effacer le cours des choses et créer la rupture dans ce prévisible qui ne l’accueille pas on ne lui a pas offert les mots pour comprendre les trames elle les a débusqué toute seule s’est fabriquée l’histoire et puis l’a raconté d’abord très fort et à tout le monde en essayant de convaincre de faire s’ouvrir leurs yeux combattre la morne succession des jours et puis s’est résolue à en garder le sens elle le suit à la trace il est dans ses prunelles couleur manoir hanté quand elle se détache de la pluie qui tombe dehors et de la dispute qui fait rage pour revenir dans son corps elle doit passer la vitre et se réintégrer elle n’est pas sûre alors de se reconnaître vraiment.

Le chemin de la famille maternelle : ce serait une famille qui expliquerait tout mais pas avec des mots. La petite fille baignerait dans leur intolérance. Ce serait une famille qui n’aimerait pas la différence, ne prendrait pas soin les uns des autres et dans laquelle les filles compteraient moins que les garçons pour des raisons obscures que la petite fille essaierait d’élucider et de comprendre en démontrant avec des actes (elle aurait compris depuis longtemps à force de repas du dimanche, que les mots conduisaient aux conflits et qu’ensuite la mère se retrouvait anéantie et sans défense –car là non plus, il n’aurait pas fallu compter sur le père- sous les reproches des siens) la stupidité de ses croyances. Dans cette famille, il n’y aurait que des militaires et des femmes au foyer. Les hommes combattraient, les femmes materneraient. Il n’y aurait pas d’autre choix. Il y aurait quand même une grande maison pour l’été que la fillette aimerait passionnément et qui la consolerait des brimades du quotidien.

elle restait immuable         c’était rassurant d’une année sur l’autre         les vacances en saut de puce         été comme hiver         on  ne pouvait pas la surprendre          même en arrivant à l’improviste c’était le cœur chaud          battant de la maison          avec sa cheminée         immense qui mangeait tout le fond               près de l’armoire aux apéritifs         la cuisine         accueillante         avec ses petits carreaux crème         puis bleu         puis rouge         son devant d’âtre noir         la table au milieu          la nappe désuète         les chaises en paille pour tous les cousins cousines oncles tantes grands-parents voisins occasionnels         des grandes occasions         juste derrière         le vieux bahut peut-être         centenaire allez savoir         sentait bon la cire         le vécu de cuisine         à côté la gazinière         mon premier coulis de tomates         odorant avec le romarin du jardin réduisait à petits bouillons                 je restais fascinée à le regarder faire         concentrer les saveurs et le sucre         au fond l’évier         puis les marches         elles donnaient sur la chambre des grands-parents         en contrebas         trois en bois         pas entretenu         qui sert juste à marcher dessus         le brouhaha des cuisines         la vapeur aux fenêtres         le rougeoiement des braises         les joues chaudes          qui brûlent la danse des flammes         la ouate          les pas des adultes enjambent et pestent         décolle-toi un peu         tu es encore là         tu n’as rien à faire d’autre          moi surprise d’être accusée         je regarde et garde tout         les pieds de la table en inox         ses chevilles fines et chaussées d’embouts noirs         les rainures des rallonges         invisibles du dessus         les conversations         grasses         les éclats de voix          rires          rage         les châteaux qui s’écroulent         crépitement des étincelles         la cocotte siffle         les patates sont cuites         la buée embue         les vitres          la porte entrouverte sur le couloir glacial          comme une autre cocotte la vapeur s’échappe         mais le froid va entrer on le referme vite les soirs de voie lactée et de grillons stridents         les soirs menaçants d’un orage d’été         tout le monde se souvient         même ceux qui n’y étaient pas surtout la grand-mère                         de garder les fenêtres closes          une boule de feu          est entrée il y a longtemps         avant de ressortir         par la large cheminée le courant d’air l’avait attirée         c’était la foudre grimée elle a traversé la tablée aux nombreux enfants          sans les toucher la cheminée était trop forte         la boule n’a pas pu résister à l’appel de son air du dehors         les serviettes de table n’ont pas brûlé une sacrée chance         une sacrée trouille mieux vaut la buée         elle rend moite et somnolent 

Le chemin du mensonge : la petite fille aurait tout imaginé. La mère ne lui aurait jamais demandé de la sauver, le père aurait fait comme il pouvait, la grand-mère aurait simplement été d’un autre âge, la mort du grand-père aurait tellement terrifié la petite qu’elle en aurait inventé sa vie entière, la famille maternelle aurait été la même que des centaines d’autres pour lesquelles il n’y aurait rien eu à dire de particulier, et la petite fille qui n’aurait toujours voulu en faire qu’à sa tête, aurait perdu énormément de temps à se trouver.  

Elle ne se rappelle pas du déménagement quand ils ouvrent la porte elle est frappée par l’odeur écœurante du sol gris synthétique il est moite et veiné de lignes rouges mais on ne peut le savoir que si on se déplace à ras du sol qu’on y fait rouler des voitures comme le petit frère par exemple il les aligne inlassablement le long des plinthes ça forme de grandes files le long de la coursive  jusqu’aux marches qui descendent au salon il y a une balustrade un immense bout de plastique transparent qui sent fort le chimique fondu comme le lino qui colle à ses pieds nus elle ne se souvient pas de la chambre des parents au fond du salon il y a une alcôve une découpe rectangulaire dans le mur indique que c’est une autre pièce et c’est sa chambre à elle on l’a séparée par des rideaux ou est-ce une cloison en accordéon amovible qui marque son territoire elle ne sait plus elle se souvient seulement des éclairs lumineux du poste de télévision le soir quand elle essayait de dormir de la tapisserie blanc cassé qu’elle déchirait tout doucement à moins que ce ne soit pas elle et qu’elle se soit dénoncée quand même quand il avait fallu trouver à expliquer ce petit bout de mur dégradé juste au-dessus de son oreiller au moment de repartir encore ailleurs elle se souvient aussi de l’injustice pas une vraie chambre pas comme le petit on mettait le linge à sécher dans la sienne et les jouets trop volumineux de l’autre la grosse voiture noire à pédales qu’ils se disputaient sans arrêt  ça l’encombrait qu’on lui encombre son espace peut-être que la chambre des parents était en haut pas loin de celle du petit frère pour pouvoir accourir la nuit s’il y avait un problème une fièvre pour pouvoir l’entendre appeler elle est assez grande pour monter l’escalier et aller les chercher il ne fait jamais tout à fait noir on dirait dans cet appartement c’est l’éclairage public dehors qui traverse les stores elle est assez grande et plus raisonnable c’est vrai mais ça dépend pour quoi il ne fait pas noir mais on est  enfermé tout en haut d’une tour en bas c’est dangereux on n’a pas le droit de descendre tout seul ni d’aller voir les voisins comme avant dans la rue et puis les voisins on ne les connaît pas il y a bien les grands-parents dans une autre tour pas loin mais c’est comme passer d’une boite à une autre parfois le dimanche ou bien quand le père tarde à rentrer le soir on part se promener au bord d’un petit lac entre les barres grises avec leurs centaines de petits carreaux noirs en enfilade leurs lunettes de soleil pour regarder l’air de rien et vous suivre des yeux il y a des allées et des arbres alignés comme les voitures du petit frère ils ne bronchent pas se contentent d’encadrer les chemins dignes et droits comme des soldats elle ne se souvient pas s’il y a des jeux dehors si elle peut courir et sauter ils prennent l’ascenseur pour remonter elle ne sait pas à quel étage à côté de l’entrée où on laisse les bottes il y a une cuisine minuscule on ne peut voir la mère que de dos en train de s’activer à décongeler la viande ou faire le lait caillé dans une grande bassine elle cuisine beaucoup la mère on lui parle depuis la porte pas la place pour deux elle ne se souvient pas de la forme ni de la couleur de l’évier juste le dos de la mère et sa voix qui répond lasse ou enjouée selon ce qu’elle raconte elle essaie de la faire rire souvent il lui semble qu’il fait plus clair après la télé est posée face à la grande table dans la salle à manger sur un tronc verni avec des moignons de branches c’est le père qui l’a fabriqué il l’a posé sur un socle tout verni lui aussi la télé par-dessus un cube gris qui montre les choses en noir et blanc des plantes qui sortent du ventre des héros et les leur arrachent ce président qui dit au revoir et laisse la caméra filmer son fauteuil vide cette soupe aux poireaux qu’elle n’arrivait pas à avaler les morceaux étaient découpés trop gros et ils étaient gluants ils remontaient dans sa gorge et retombaient dans son assiette elle ne faisait pas exprès mais ils ne voulaient pas la croire elle n’a aucun souvenir de la salle de bains ni des toilettes ne se rappelle plus comment ils ont quitté les lieux il y a eu un tremblement de terre a dit la mère elle s’est mise à chercher autre part c’était trois jours après être arrivé ça a secoué le canapé pendant le film du dimanche soir elle a cru que c’était le père qui faisait une blague il y avait la grand-mère qui rouspétait que ça lui faisait mal au cœur alors elle a commencé à regarder les petites annonces c’est ce qu’elle a raconté la mère toute surprise qu’elle ait continué à dormir pendant que ça remuait mais elle n’a rien senti ne se rappelle pas qu’ils sont partis si vite elle sait où ils sont allés mais ça s’arrête là.

Le chemin de la grand-mère paternelle: la grand-mère serait comme une histoire dans l’histoire. Un point de départ de la dramatique, une des explications au silence et le silence lui-même. La grand-mère serait à la fois un chemin chaud et tendre et une impitoyable adversaire. De celle que l’on ne peut combattre et qui vous désarme par sa méconnaissance d’être dans le roman. La grand-mère serait comme un paysage que l’on aurait décortiqué il y  a longtemps. Un décor peint auquel on ne pourrait plus rien changer. Une vieille paire de savates confortables qu’on réenfilerait de temps en temps et pour laquelle on ferait volontairement abstraction des trous qui gêneraient pourtant la marche. Et dont on se dirait, soupirant, en les déposant près du vieux poêle : « Comment avais-je pu oublier qu’elles me blessaient à ce point les pieds ? ». La grand-mère apparaitrait parfois pour émailler l’histoire de vignettes tragi-comiques, en illustratrice des différents chemins que choisiraient de suivre les personnages.

Elle aime être étalée de tout son long sur l’allée en béton granuleux qui descend du garage au portail, les bras flottent de chaque côté de son corps relâché, ses jambes sont juste assez attirées par la gravité pour donner l’impression d’une apesanteur bienheureuse et le soleil  la chauffe, par-dessus et par-dessous, tellement le mortier a ingurgité de chaleur pendant la journée, elle sent les aspérités du mélange sableux qui a servi à faire le ciment — un tiers de sable, un tiers de gravier, un tiers de poudre fine et crayeuse qui irrite les mains, des seaux et des seaux pleins d’eau trimballés à bout de bras, à la chaîne et jamais assez vite, l’eau jetée dans la bétonnière qui tourne, qui tourne et se renverse, vomit dans la gamate et retour à l’allée où le père verse dans un cadre de bois la purée grisâtre et la lisse mais pas assez pour faire disparaître la totalité des cailloux qui grumèlent comme dans la pâte à crêpe de grand-mère qui peste et secoue fort son fouet pour la rendre docile, regrette de ne pas avoir acheté la bonne marque de farine, celle qui est déjà tamisée, la mère fait toujours remarquer qu’elle la coupe à l’eau, la pâte à crêpe, alors qu’elle a les moyens, si c’est pas mesquin– lui sculpter doucement les fesses à de tout petits endroits et quand elle regardera tout à l’heure et même sans regarder d’ailleurs, juste en passant ses doigts dessus, elle pourra sentir le creux chaud et très certainement rouge, bombé dans l’autre sens, l’appui dans sa chair qu’aura gravé le caillou sur sa peau comme on raconte une histoire, une histoire de son corps qui reste là inerte, à sécher après le bain du dimanche et de ses longs cheveux qui s’étalent et absorbent la lumière et le chaud, fabriquent des reflets qu’elle amplifie ensuite en les brossant jusqu’à ce qu’ils brillent et tant pis pour les minuscules particules de poussière et de terre qui vont se prendre dedans alors qu’ils sont tout propres et tant pis aussi pour la grand-mère qui lèvera les yeux au ciel et pincera la bouche en la traitant de gitane parce que la grand-mère n’a aucune idée du plaisir qui l’inonde quand elle laisse son corps immobile s’imprégner de toute cette chaleur, le dos si confortablement soutenu par la pente en béton, c’est comme si elle s’envolait dans une capsule d’eau brûlante et quand elle rouvre les yeux elle baigne dans l’orange et les choses peinent à se remettre en place, ou peut-être qu’elle s’en doute, pour ça qu’elle prend cet air renfrogné et sévère et qu’elle lui tourne autour, on dirait une corneille, pareil quand elle l’accompagne jusqu’à l’école et qu’elle s’amuse à laisser traîner ses pieds sous le tapis de feuilles mortes, les feuilles de platanes qui sentent si bon, on les bouscule un peu et elles crissent sous les pas, ça vous envahit la tête et les oreilles de bruits de mâchoires qui mastiquent et croquent en rythme, le fossé suit le chemin jusqu’au bout et lorsqu’il est rempli jusqu’à la gueule de feuilles sèches et bien craquantes et que les pieds raclent le sol en cadence, c’est comme partir en voyage avant la langueur de la salle de classe, c’est comme s’entraîner soi-même dans une danse improvisée mais la grand-mère fulmine contre les choses cachées sous l’épaisseur des feuilles, les racines vicieuses, les insectes visqueux, les serpents et les crottes de chiens, tout ce poil à gratter qu’il faudra décoller du bas du pantalon, les sandales qui seront abîmées, salies, trempées et donneront du travail supplémentaire à la maison, elle n’entend pas la musique, la grand-mère, elle se méfie de ce qui meurt et elle ne danse pas et puis à la maison, le parquet est fait de petits carreaux composés de lamelles de bois toutes différentes, bien serrées les unes à côté des autres comme pour se tenir chaud ou se protéger, on ne sait pas bien : il y a du parquet dans la salle à manger, les chambres et le bureau du père qui fait tout pour que le sol reste lisse et sans histoire, et ce n’est pas simple cette histoire, ça ne se fait pas sans mal, la moindre goutte d’eau qui gicle d’un verre un peu trop brusquement posé sur la table, la transpiration d’un pied nu resté un peu trop longtemps appuyé au même endroit est susceptible de laisser des traces, on voit alors le père se précipiter vers le placard aux balais et se mettre à genoux pour frotter la marque jusqu’à la rendre pâle pour ensuite la recolorer amoureusement de la caresse de son chiffon en peau de chamois et d’un peu de cire et on n’y voit plus goutte, je vous passe le cortège de remarques acerbes et désespérées qui accompagnent ce moment et figent tout un monde autour de la table en attendant que le manège du père prenne fin, il retient sa respiration, le monde, il ne faudrait pas rajouter à la colère du père alors elle, qui danse et qui virevolte sans arrêt, je vous la passe aussi parce que les danseuses aux pieds nus pas question, va donc mettre des chaussons mais pas des chaussons de danse, hein, des pantoufles ou bien des patins qui glissent sur le sol silencieusement sans jamais l’abimer ni laisser trop d’empreintes, n’oublie pas que tu n’es que de passage ici, cette maison n’est pas la tienne et ce parquet et bien, il vaut plus cher que toi, tu peux sourire, ce n’est pas à toi non plus que revient ce dur labeur de réparer, nettoyer, effacer, remettre à zéro, page blanche, rien d’inscrit, rien qui se dégrade, … et rien qui vit non plus, souffle-t-elle en silence  dans sa colère à lui que les choses osent disparaître et que les gens osent mourir, tenir bon, tenir tête au temps en lessivant l’inaltérable parquet qui ne gardera aucun souvenir de son enfance à elle, karcherisé le plancher, les lamelles collées pour se tenir chaud ou se donner du courage ou peut-être faire front pour que rien ne pénètre à l’intérieur malgré les récurages obligatoires et l’amnésie imposée, pour qu’elles gardent une histoire , les lamelles, bien enfermée en dessous, inaccessible, hors d’atteinte de cette folie furieuse, peut-être qu’il faudrait aller voir, creuser l’air de rien, pense la danseuse, si je démontais les lattes sous mon lit, je trouverais une mémoire et je pourrais comprendre, et bien plus tard, arpenter des deux pieds nus le bitume des villes, fière d’être si bien chaussée de la crasse et du cal qu’ont fabriqués la route, examiner ses pieds tous les soirs pour y lire l’aventure de la journée, déloger ce débris infime d’un abribus planté dedans la corne et qu’elle n’a pas senti se nicher dans ses semelles de peau — elle les racle rêveusement quand elle est au repos, couche par couche, pour le plaisir de voir se détacher des petits morceaux de rien, de la poussière agglomérée qui colle et forme de tout petits paquets qui tombent sur le sol et le jonchent– ce chewing-gum vieillot et gluant qui transpirait sous le soleil de plomb qu’elle a évité de justesse et la satisfaction petit à petit, de sentir que son pas se délie et devient naturel alors que tout au début, marcher pieds nus sur le goudron chaud, les gravillons, les piquants impromptus des rebords de trottoir où survivent encore quelques herbes sèches, elle y allait précautionneusement, tâtant des orteils d’abord puis déposant la plante, soulagée de sentir une surface sans piège, elle s’enhardissait à poser le talon, elle sautillait un peu et elle mettait du temps à parvenir au but mais maintenant plus d’appréhension, plus besoin, ses chaussettes de chair emmanchées dans ses pieds, elle peut aller au bout du monde mais plus dans ce bistrot, la tenancière les regarde d’un sale œil, ces pieds qu’elle ne sent plus, elle, elle pense que ce qui compte, ce n’est pas l’apparence mais ce qu’on a à se dire et à partager et l’autre là, lassée de la voir passer tous les jours devant son rade même si elle aime bien discuter avec elle, même si elle la connaît, lui tend les chaussures qu’elle a trouvé dans une association d’aide aux plus démunis, ça fera plus propre tu comprends, il y a plein de jeunes ici, tu leur donnes le mauvais exemple, en tout cas, moi, je ne peux plus te laisser entrer ici avec tes pieds tout nus et la danseuse s’étonne de ce que l’on juge encore les gens à l’état de leurs pieds c’est quelque chose que la grand-mère aurait pu penser et même dire sans compter les sales maladies qu’elle pourrait attraper à force de se balader comme ça avec l’histoire de la ville collée sous ses talons, elle pense aux pieds de la grand-mère, en prison qui gonflent et qui s’effritent, l’hiver elle les met dans le four pour les réchauffer, l’été elle les pèle à mains nues et les pelures tombent sur son linoleum blanc cassé moite qui colle et sent le vieux, avec ses veines grises que l’on ne peut pas suivre longtemps du bout des doigts parce qu’il ne faut pas se traîner par terre c’est sale reste un peu tranquille tu me donnes le tournis.

Le chemin des autres, du monde, des amitiés : la petite fille se demanderait sans cesse comment elle avait fait pour naître là (et si vraiment c’était le cas…) mais elle ne trouverait pas d’explication même en fouillant minutieusement les tiroirs du bureau du père quand il avait le dos tourné. Peut-être qu’elle aurait de la chance, une curiosité ou une force insatiables qui l’aideraient à grandir quand même et à faire des rencontres importantes. Peut-être qu’à l’âge adulte, elle partirait se frotter au monde et respirer ailleurs. Peut-être qu’elle serait juste exceptionnellement obstinée ou complètement inconsciente. Il serait difficile de l’établir avec certitude. Peut-être que son habitude de suivre le hasard l’aurait conduite en des lieux où il était important qu’elle finisse par se retrouver.

TOULOUSE

Elle se réveille dans une flaque de soleil, la bouche pâteuse et les yeux collés. Lui dort encore sous cette couette dont la blancheur n’est plus qu’un souvenir lointain. La tapisserie rococo est déchirée par endroits. Elle passe en revue les croquis griffonnés accrochés à la hâte au-dessus du matelas, les essais de BD colorées, les tableaux noirs encrés qui lui trouent le cœur parfois quand elle imagine comment c’est à l’intérieur de lui. Son grand artiste, son maigre, sec et noueux amoureux aux yeux gris d’océan tourmenté. Ça lui fait chaud en bas du ventre. Elle aime être là, dans cet appartement, sur ce matelas par terre, envahi par les miettes et les brisures de tabac, entourée des disques et des bandes dessinées qui meublent l’espace exigu. Elle se sent unique, importante et aimée par ce sauvage que nul n’approche. Elle tente de se rendormir sans succès, résiste à son envie de courir aux toilettes, finit par avancer délicatement son bras hors du lit pour attraper un bouquin qui traîne en essayant de ne pas le réveiller. S’il est debout avant midi la journée sera gâchée. Il ne lui adressera pas la parole, dessinera le dos tourné et elle n’aura plus qu’à aller prendre son bus tristement sans les effusions du départ. C’est déjà arrivé quelques fois comme une douche froide. Une humiliation cuisante. Pour pas grand-chose : une rage de dents, un rire mal placé. Elle ne lui en veut jamais longtemps. Elle  sait comme il se sent fragile et mal aimé. Et elle ne veut que lui. Envers et contre tous. Ses parents et même la bande. Il remue un peu et son bras l’attire vers lui. Elle se blottit contre le paillasson de son torse étroit, dans son odeur d’homme. Il aime son corps à la folie et ça l’étonne. Ils n’ont pas encore fait l’amour pour de vrai. Elle n’a pas peur. Est même curieuse. Mais ils prennent leur temps. Il se sent une responsabilité à être le premier. Il se lève, enfile sa salopette en jean et ses docks, part chercher des croissants ou autre chose si elle veut, du salé ? Elle ne sait pas, c’est comme lui. Elle est gênée. N’ose pas lui avouer qu’elle a une faim de loup, elle préfère qu’il choisisse, elle est sûre, ainsi, de ne pas lui faire dépenser trop d’argent. Le RMI, ça ne va pas chercher bien loin. Elle sait qu’il ne fait en temps normal, qu’un seul repas par jour. Elle fait chauffer de l’eau, rince deux verres dénichés tant bien que mal dans le fatras de l’évier, verse la poudre de café et attend que le liquide soit à la bonne température. Elle guette avec attention le moment crucial : il faut que la crème en haut, prenne une couleur léopard. C’est ce qu’il lui a expliqué la première fois.  Quand il revient, il met un disque. Les Pixies. Ils se calent au coin du lit et prennent le petit-déjeuner. Il roule son premier joint, ne lui en propose pas, il sait qu’elle dira non, il est beaucoup trop tôt et elle doit rentrer en fin d’après-midi. Elle repense à la soirée d’hier. Il s’est plongé dans une BD. Elle le regarde lire à travers les volutes de fumée et savoure l’instant. Plus tard, ils sortent dans le jaune doré des érables qui commencent à vieillir. Ils se tiennent la main sans se parler beaucoup. Elle aime leur silence. Ils traversent la ville pour rejoindre l’arrêt où le bus la cueillera tout à l’heure, passent au-dessus du fleuve, longent les quais. Elle tire parfois sur son bras et ils s’enlacent, trouvent un coin de murette pour échanger des baisers passionnés qui lui font tourner la tête et chavirer le ventre. Son visage et ses joues sont rouges de caresses. Elle emporte cette rougeur avec elle, elle s’estompera ce soir quand elle sera  couchée. C’est comme prendre un petit bout de son amour et le garder au chaud contre soi. Au nez et à la barbe des autres qui l’attendent pour manger, voudront lui faire raconter son week-end mais la regarderont d’un œil soupçonneux si elle en parle avec trop d’enthousiasme. Il ne faudrait pas qu’elle rate son bac. Comme ils sont en avance, ils s’affalent sous l’abribus, touchent des morceaux de leurs peaux. Le temps s’étire, elle est déjà ailleurs, dans cet autobus gris, dans cette soirée morne, dans ce vide lancinant de quand il n’est pas là et qu’elle joue à être quelqu’un d’autre. Un dernier baiser sur le marchepied et il tourne les talons dans son pull trop grand. Ne se retourne pas. Jamais. Ils ne se sont pas dit quand ils se reverraient. Elle s’est habituée à le retrouver chaque fois au hasard. Il vient parfois la chercher à la sortie du lycée, comme s’il se rendait à l’évidence  de leur amour après des semaines sans vouloir lui donner le moindre signe de vie. Il sait toujours où la trouver. Le bus avale la nationale et la pose avant le village. Il y a encore le canal à longer sur deux bons kilomètres. Personne n’est venu la chercher.  Elle se résigne à se mettre en marche. Le père a fermé le portail, lui signifiant par là qu’ils sont déjà à table et qu’elle est en retard. Elle hésite à escalader et finit par sonner pour éviter une guerre de plus. Le spectacle de la vie familiale la glace au seuil de la cuisine. Elle a l’impression de pénétrer de force dans un décor où elle n’a rien à faire. La lumière blanche qui tombe du lustre est trop crue, la vapeur de la soupe la rend moite, en sueur. Elle doit cligner des yeux pour se faire à l’ambiance et regagner son corps.

BERLIN

Son lit est au milieu du salon. Pas de volets : de lourds rideaux. Ce matin : son premier matin. Carine et Dieter lui ont préparé un petit déjeuner traditionnel plein de fromages, avec de la charcuterie et même des patates au sirop de rutabaga. Elle a adoré cette sensation d’être ailleurs pour de vrai. Sur une étagère un peu cachée s’alignent les sculptures de Carine, uniquement des femmes au ventre rond. Elle et Dieter n’ont pas encore d’enfant. Elle se demande s’il en veut, imagine tout de suite que non et que les statuettes sont là pour ça, repense à leur mariage traditionnel et champêtre dans la petite chapelle de St Martin sur le Larzac. A la nervosité de Carine et à la tension de Dieter comme s’ils embarquaient de force dans un périple qui ne leur procurait aucun plaisir. Elle avait mis un bonnet de laine et un tee-shirt marin. Ça faisait contraste avec la robe blanche et le nœud papillon. Son déguisement à elle pour cacher l’émotion. Ils n’avaient pas été dupes, lui avaient écrit un joli petit mot en clin d’œil sur un faire-part avant de repartir. L’avaient invitée à leur rendre visite même s’ils la connaissaient peu. Quinze jours de partage à peine. Quinze jours dans ce lieu fou qu’elle habite, où elle travaille et vit comme jamais. Quinze jours en pleine saison, quand la ferme est bourrée de gens qu’il faut faire manger, écouter, accueillir un à un sans jamais faiblir. Il voulait se marier là, comme un hommage à sa jeunesse quand il était venu aider à reconstruire des bouts de murs. Il s’était replongé dans l’endroit comme s’il ne l’avait jamais quitté. Elle l’aime bien avec son rire tonitruant et sa malice attentive. Carine aussi, mais ce n’est pas pareil. Elle n’a pas ce vécu de l’accueil, cette intuition des autres. Avec elle, elle se retient un peu. Comme ils travaillent tous les deux, elle va devoir se débrouiller toute seule dans la ville, prendre le métro, ne pas se tromper de station, guetter la tour de la télévision : c’est le repère pour descendre. Elle n’a pas osé leur dire à quel point ça l’effraie. Pour eux, cela va de soi, se déplacer, demander son chemin si on se perd, être seul en ville. Pour elle, c’est comme la transgression d’un ordre établi, comme si on l’abandonnait, petite fille perdue dans un monde trop grand. Toujours cette méprise, ce corps d’adulte emprisonnant son cœur d’enfant comme avant son corps d’enfant contenait à grand peine des tourments plus qu’adultes. Elle commence par faire de petits tours dans Kreutzberg, le quartier turc, parvient à se commander un kébab, rentre le dévorer dans l’appartement, un peu honteuse de n’être pas allée plus loin. L’après-midi, elle se décide, prend le métro avec un plan, se laisse porter le long de la ligne, descend puis remonte, ne voit rien de ce qu’elle regarde, teste seulement sa capacité à être seule parmi la foule, son droit de circuler parmi les autres, joue avec un destin qui ne lui fera rien et retourne retrouver ses amis le soir, un peu plus assurée. Soirée poésie dans une cave enfumée. Dieter traduit les vers pour elle, ça parle de révolte, de vent, de liberté, de noirceur, de cassure et de sang. De vrais punks, des anciens de l’Est, qui crachent les mots, de la parole ouverte. Elle n’a jamais aimé la poésie, sauf celle qui ne rime à rien mais là, c’est beau. Ils tremblent tous d’enfin pouvoir se dire. Ils ont réquisitionné tout un pan de la ville, squatté des bâtiments pour en faire des ateliers d’artistes, un cinéma, il y a même un parc de jeu pour les gosses avec un vrai avion de guerre qui plante son nez dans le sable, une crèche autogérée. Elle en a plein les yeux de ces gens qui s’organisent ensemble pour faire vivre le quartier. Elle aime ça, l’intelligence collective, la porte ouverte à tout le monde, elle a trop crevé du contraire avant. Tout de suite, elle a envie qu’on l’adopte. De toutes ses forces. Ça lui faisait pareil, gamine, quand elle voyait partir un cirque. Ces gens tous ensemble qui vont quelque part, la tribu qui porte, protège et construit. Elle rêvait qu’elle se sauvait et allait vivre avec eux. Les poètes sont lucides, ils doutent du capitalisme, ne veulent pas être confisqués, assimilés bouche fermée à cet ordre nouveau, se battent avec les flics à la moindre occasion. Leur poésie est politique, c’est pour ça qu’elle la comprend. Sur le chemin du retour, ils passent devant une vitrine encore éclairée. Des gens sont plantés devant. C’est un appartement témoin. Quelqu’un vit là. On le paie pour ça. Pour que d’autres le voient et que ça fasse envie. Envie de cette cuisine intégrée ou de ce lit à baldaquin, de cette baignoire design. Il a le droit de tirer le grand rideau trois heures par jour, le reste c’est du spectacle permanent. Il n’y a pas assez de boulot pour tout le monde, il faut bien inventer des moyens de survivre. Elle pense à ce décalage immense entre sa vie et la leur, entre ses roches torturées et cette ville trépidante en train de digérer ou d’expulser sa mémoire, on ne sait pas très bien. Elle se souvient du mur qui s’écroule au journal télévisé, se dit que décidément rien n’est simple.

TOULOUSE

Elle s’est sentie soulagée de les retrouver tous indemnes. Les vieux copains, l’ancien amour, la famille aussi. Ils lui ont raconté le même jour et la même seconde. Ils étaient éparpillés mais ils ont tous entendu, vu ou senti quelque chose. Un court moment, elle les a sentis réunis par cet instant où ils ont cru tout perdre. Réunis en pensée et à leur insu, bien sûr. Comme si chacun écrivait à l’aveugle un bout de l’histoire d’un autre.  A une minute près, son petit frère était coupé en deux par les grandes vitres de son lycée. La mère a cru à une attaque terroriste dans l’Intermarché du village où elle était en train de faire les courses. La grand-mère s’est retrouvée en Algérie et son autre frère a laissé un long message sur le téléphone des parents. Il était au travail, il voyait le nuage qui avançait vers lui depuis les fenêtres de son bureau, expliquait qu’il ne savait pas ce qui arrivait. Elle imagine sans peine dans quelle Amérique récente il a dû se croire transporté. On compte les blessés et les blessures internes, les gouffres mémoriels se révèlent et crachent des souvenirs en rafale. La grand-mère pleure sans arrêt. Elle va pour la première fois de sa vie, consulter. On dit consulter mais on ne dit pas qui, comme si c’était inavouable. Pas le grand-père. Il ne consulte pas, lui, et ne montre rien. D’abord c’est un homme et il en a vu d’autres. Rien ne vaut le mutisme. Il regarde sa femme avec perplexité et un soupçon d’agacement. Les copains de Toulouse se sont réunis à Myris aux premières déflagrations. Sans réfléchir. Ils ont quitté leurs apparts des quatre coins de ville pour se précipiter au squat. Se sont comptés, touchés, ont poussés jusqu’à chez ceux qui n’étaient pas là, pour s’assurer qu’ils allaient bien. Les sirènes n’ont pas alerté la population, ni donné de marche à suivre. Pourtant, le site était classé Seveso. En cas d’attaque chimique, tout le monde serait mort à courir partout comme ça, dans tous les sens, au lieu de se confiner. Et ça transcende les classes, et ça réunit les gens. Dans le bus, on se parle, on échange, on commente, on cède sa place et on se tient les portes. Elle regrette soudain de n’être que de passage, se sent en manque de ce vécu commun. A presque l’impression qu’une révolution est en marche, enfin. Ça tiendra ou pas. Le temps que les assurances payent ou que les gens soient relogés. La solidarité  aussi a des frontières, ceux des tours à côté du site empoisonné n’ont eu droit qu’à des bâches. Ils ont pourtant patienté quelques jours, en admettant presque de passer les derniers. Ils sont restés entre les murs fissurés et les toits éventrés à faire des prières pour qu’il ne pleuve pas une fois qu’ils ont compris qu’ils ne bougeraient pas. A la maison les prières, parce que la mosquée a été soufflée. Ça n’émeut pas grand monde, quelques allumés de centres sociaux à peine, deux ou trois associations de quartier qui collectent des couvertures avec leurs cernes sous les yeux pendant que Total s’évertue à détecter une erreur humaine pour garder son argent. Elle qui n’avait rien vu de la chute des tours est abreuvée d’images. Les télévisions familiales vont bon train. Elle se sent un peu vide, maintenant, un peu amputée, un brin nauséeuse. Elle n’a jamais aimé ce faux phare rouge et blanc qui éructait sa bave épaisse et jaune. Ce n’est pas ça. Mais quand on passait devant, ça voulait dire qu’on arrivait chez les grands-parents. De la fenêtre de leur salon, pendant les mercredis pluvieux, elle l’apercevait au loin, s’amusait à lancer ses regards tout autour : des arbres, des tours, la rocade, des tours, une cour d’école, des tours et un terrain de boules. Et plus loin la campagne et sa maison à elle. Elle n’est pas sûre de savoir y retourner maintenant qu’un morceau du puzzle a disparu.

Le chemin du père : le père de la petite fille serait resté un enfant tout-puissant. Un qui tape des pieds et tout est dit. Un dont le mutisme en dirait long et dont toute la famille connaîtrait les codes et les exigences sans qu’il n’ait jamais eu à les énoncer clairement. Un qui serait resté loin de l’émotionnel et tout près du factice. Ou plutôt dont les émotions déborderaient sans qu’il n’arrive jamais à les reconnaître ni à leur donner un nom. La petite fille en farfouillant un jour dans une vieille armoire, aurait déniché les carnets de voyages de quand il était jeune. Elle aurait lu, motivée par curiosité de comprendre enfin ce qu’il avait dans le ventre puis aurait refermé le cahier avec un trou au cœur : « Barcelone, 18 juillet 1964. Le ciel est nuageux. Il fait trente-huit degrés. Un orage en fin d’après-midi. » . Le père de la petite fille aurait organisé sa vie pour la vivre tout seul même au milieu des siens. Sans que personne n’y trouve rien à redire. Ça, ce serait dans la surface des choses. Mais par-dessous, tout le monde se pousserait pour lui laisser de la place et on accepterait tacitement de respirer un peu moins pour ne pas risquer de le déranger. La petite fille aurait d’abord cherché la faille et le moyen qu’il s’intéresse enfin. Comme à son habitude, elle serait allée très loin. Aurait fini par comprendre que c’est à lui qu’il aurait fallu qu’il arrive quelque chose pour qu’il parvienne à changer. Elle aurait arrêté de compter sur lui, lui aurait imposé des limites qu’il n’aurait eu le droit de franchir sous aucun prétexte. N’aurait accepté aucun compromis, encore moins à la fin. Elle l’aurait tenue loin d’elle pour réussir à juguler sa propre colère. Il n’aurait pas fait le poids, autrement. Se serait sentie orpheline quand même.

Un texto du père puis plusieurs messages datant de hier soir qu’elle n’a pu écouter que ce matin devant l’école. A la maison, ça passe toujours aussi mal. Il est là. De passage. Elle est sur le trajet de sa randonnée. Il demande si elle peut venir le récupérer. Pour qu’ils passent la journée ensemble, si ça ne la dérange pas, et qu’elle le conduise ce soir jusqu’à sa prochaine étape. Toujours ce timbre de voix suppliant et emprunté qui ne lui laisse pas le choix. Elle peste juste pour elle et range au placard toute idée de répit, toute la fête qu’elle se faisait de disposer aujourd’hui d’un petit creux de temps infime dans lequel se lover. Les derniers jours n’ont pas été de tout repos. Ils se retrouvent sur le parking du supermarché. Il l’attend, seul, avec sa tenue de marcheur et son sac à dos comme on en voit des centaines par ici. Ses compagnons ont déjà pris la tangente. Comme toujours en l’apercevant, sa respiration se bloque et  son souffle en corde raide gicle jusqu’au sol tant qu’il y a de l’air dans ses bronches. C’est parti pour le marathon. Elle s’avance en souriant, il lui serre les deux bras comme s’il n’avait rien d’autre à quoi se raccrocher avant de tomber de la falaise. Ses larmes jaillissent, il ne peut pas parler. Ça commence fort, elle se dit, la journée va être longue. Elle se sent déjà en colère de ne jamais réussir à dire non. Qu’il la prévienne au dernier moment sans se soucier de savoir si elle n’a rien d’autre à faire qu’être disponible pour lui quand il se montre incapable de lui rendre la pareille. Et puis elle se calme. Le vieil espoir de l’exemple et de la répétition constante. A force, peut-être… Elle ne sait pas quoi dire, est gênée par son émotion soudaine. Elle le ramène chez elle, lui propose un café, une tisane, quelque chose. Il ne veut rien. Pour ne pas la déranger. Elle pense qu’il se punit, qu’il expie et qu’il veut qu’elle le voie. Il se déchausse. Ses pieds sont dans un état pitoyable. Ils suppurent, les ongles sont prêts à tomber. Il accepte enfin de les tremper dans une bassine pleine d’eau froide et de gros sel. Cette année, il n’y arrive pas. Son corps le lâche. Il est parti épuisé, ne tire aucun bénéfice de la marche, est tenté tous les jours d’abandonner et de rentrer retrouver la mère. Il est inquiet pour elle. Il est sûr qu’on ne la traite pas bien dans ce lieu où on l’a mise en attendant. Qu’elle s’ennuie sans lui. Il ne sait pas comment il va faire  au retour pour continuer, il sent qu’il n’a plus la force. On y était ce week-end, elle dit, et j’y ai passé une semaine entière au début du mois, les frangins se relaient pour lui rendre visite presque tous les jours, elle va plutôt bien, on a fait des tas de pique-nique dans le parc. Le père n’arrive pas à refermer la bouche, la surprise lui agrandit les yeux, je ne savais pas que vous feriez ça, il dit enfin. Elle, dans un soupir un peu las : tu nous prends pour qui ? Elle ne lui dit rien du reste. De ce temps volé avec la mère sans lui qui s’agite, s’affole et décide de tout à sa place, des heures paisibles à lui faire la lecture sous les buis et des menus qu’elle lui a concocté avec sérieux chaque jour, en respectant à la lettre le moindre de ses désirs, ces fous rires incontrôlables qui les ont prises, cette bulle de temps qu’elle a savouré parce qu’elle savait qu’il n’y en aurait probablement plus d’autres. Elle ne dit rien non plus des discussions graves, de la fatigue des soirs quand il fallait la laisser à la merci de la nuit. Elle ne veut pas partager ça avec lui, il le lui volerait, en ferait un tout autre récit. A la place, elle prépare un repas. C’est sa manière à elle de lui montrer qu’elle l’accueille. Il ne mange presque rien hormis un œuf dur et une tranche de jambon qu’il a sortie de son sac. Elle lui propose de l’argile pour étaler sur ses plaies. Il proteste que rien ne le soulage, c’est toujours pire après mais il essaie quand même. Le miracle opère, cela lui fait du bien. Elle est tentée de croire que c’est parce que ça vient d’elle. Il se transforme sous ses yeux en tout petit garçon. Elle fait comme d’habitude : elle accueille et elle porte. Elle assiste impuissante, au spectacle de cet homme qui  lui raconte des choses qu’elle n’a pas à connaître, pas quand on est sa fille. Alors, elle se décale, elle sait très bien faire ça. Il lui arrive même de penser qu’elle a été construite pour ces moments, à dessein. Parce qu’il était écrit quelque part dans une boucle du temps qu’elle aurait à les vivre et qu’il fallait qu’elle s’y prépare. Elle l’écoute en essayant de ne rien y voir de personnel, elle sait que cela reviendra l’abîmer plus tard, quand il sera parti. La journée passe lentement dans les jérémiades du père qu’elle apaise comme elle peut. Elle propose des solutions pour la suite avec la mère. Elle ne dit pas qu’il y a déjà longtemps qu’elles en parlent toutes les deux. Mais c’est comme le reste : il n’y a rien à faire, juste laisser pourrir. A la fin, il est mieux, il a vidé son sac. Elle n’en sent pas encore le poids. Ils vont aller chercher la petite à l’école et elles l’accompagneront ensuite jusqu’au gîte. Elle sera contente de voir son grand-père. Il n’y avait pas pensé. Elle prépare pour les lui offrir, quelques tomates du jardin. Il les prend en s’excusant, il a peur que ça la dérange, encore. Elle se retient pour ne pas hausser les épaules. La petite est ravie de la surprise et babille à qui mieux mieux mais l’orage sur le front du père ne s’allège pas pour autant. Il s’inquiète quand elle prend la route des crêtes qui grimpe le long du Causse. Elle lui montre les paysages magnifiques mais tout ce qu’il remarque c’est qu’il n’y a pas assez de place pour que deux voitures se croisent. Elle ressent du plaisir à l’idée qu’il est obligé de se laisser conduire. Ils arrivent à bon port, il retrouve ses camarades, elle discute un peu pendant que la petite joue avec une portée de hérissons dénichée sous les iris. Le soir tombe. Elle commence à sentir sa tête qui s’alourdit. Elle se hâte de prendre congé comme on quitte un parent éloigné que l’on ne recroisera pas de sitôt.

Le chemin de la mère : la petite fille serait née pour enlever la mère à son triste destin. Réparer des générations d’injustices (ou peut-être l’injustice d’une seule génération après l’arrière grand-mère peau- de- vache qui avait tellement serré la vis à ses garçons qu’ils se vengeaient sur leurs filles ?). Mais faisons comme si l’ampleur de la tâche était démesurée. La petite fille aurait l’intime conviction que cette histoire ne datait pas d’hier et que sa naissance à elle (on allait voir ce qu’on allait voir !) allait tout changer bien sûr, CQFD. Quand bien même aurait-elle voulu s’occuper d’autre chose qu’elle n’en aurait pas eu le loisir. La mère lui aurait susurré doucement aux oreilles ce que c’était d’être une femme si fragile, faible, malheureuse et sacrifiée. On pourrait même imaginer qu’elle n’aurait eu nul besoin de le lui susurrer tant elle lui en aurait montré d’exemples au fil des jours. La petite fille se serait embarquée sans broncher dans la mission : vivre plus fort, absorber les ondes de choc, la protéger, lui montrer qu’il y avait une possibilité quelque part de s’en sortir autrement qu’en s’astreignant à pâlir, disparaître, et mourir. Elle aurait espéré qu’une fois libérée, la mère aurait pu s’occuper d’elle et lui montrer ce que c’était d’être une femme. Elle aurait sûrement moins tâtonné. Pendant qu’elle aurait fait son devoir et serait allée au bout de sa mission, elle n’aurait pas eu beaucoup de temps pour cultiver sa propre part d’enfance. Ou alors à l’intérieur, en volant des images et le temps de les faire exister autrement, en accumulant des forces pour l’assaut final, celui qui viendrait des années après lui démontrer qu’il y a, après tout, d’innombrables manières de finir un chemin.

Flasque et défraichie, distendue, distordue, imprimé noir délavé sur du tissu lâche et pâle, une odeur fleurie imprégnée, sueur douce et acidulée, une odeur derrière l’odeur, un socle connu et arpenté qui convoque, courte trop courte qui remonte, par hasard là trouvée, cachée au fond de l’armoire et découverte, intruse de mes nuits qui s’invite, à peine un œil en passant du coin de la bouche, résister pour ne pas y plonger le nez et replonger, s’étonner que l’odeur persiste même derrière la lavande et le cade, fine toute fine à transpirer la transparence, l’effacement progressif de la chair, couleur chair, oui, c’est ça la couleur : de la chair qui s’efface et annonce la couleur, empreinte à l’envers, contours d’une plus qu’ombre maintenant, spectre blanchi plié, dissimulé aux fins fonds, usée, fatiguée, tellement qu’elle disparaît, mouvements de la chemise sur corps en gestes infimes , remontée malgré elle sous les aisselles par le frottement du drap sur le coton trop fragile, tirer vers le plus bas sans déchirer la toile.

Flasque (presque une flaque) et défraichie, distendue, distordue, un linceul, un ectoplasme, un fantôme, imprimé noir délavé sur du tissu lâche et pâle, consistance où ça ?, une odeur fleurie imprégnée, sueur douce et acidulée, une odeur derrière l’odeur, un socle connu et arpenté qui convoque, bascule en arrière, courte trop courte qui remonte, jambes comme des bâtonnets d’esquimaux dévoilées, blafardes et frêles, un vague chiffon, rien à faire dans mes affaires cette chemise de nuit par hasard là trouvée, cachée au fond de l’armoire et découverte,  intruse de mes nuits qui s’invite, à peine un œil en passant du coin de la bouche, résister pour ne pas y plonger le nez et replonger, ne pas savoir pourquoi autant besoin de, pas si… quand même !, s’étonner que l’odeur persiste même derrière la lavande et le cade, fine toute fine à transpirer la transparence, l’effacement progressif de la chair, couleur chair, oui, c’est ça la couleur : de la chair qui s’efface et annonce la couleur, empreinte à l’envers, contours d’une plus qu’ombre maintenant, spectre blanchi plié, dissimulé aux fins fonds, usée, fatiguée, tellement qu’elle disparaît, mouvements de la chemise sur (son) corps en gestes infimes , remontée malgré elle sous les aisselles par le frottement du drap sur le coton trop fragile, tirer vers le plus bas sans déchirer la toile, garder secrète cette nudité décharnée. Ou alors  Sortir de la nuit. Chemise = chemise en carton, rabats, de couleurs criardes pétantes et joyeuses, enfermer la paperasse (suite logique après le reste), trier, ranger, classer, mettre de l’ordre, dans l’armoire thème après thème, couches après couches, les unes sur les autres, entassement du rigide, densification, lasagnes, montagnes de papiers sages et inertes, domptés. Besoin que la chemise de nuit se travestisse en jours, en vie qui reste, en couleurs qui reviennent exultent et triomphent, besoin de mettre en cases, en tas, en pile, refermer l’armoire, l’oublier au fond. Enfermer la chemise de nuit dans la chemise en carton et en conserver l’odeur.  Inspiration-souvenir. Retenir sa respiration, fermer les yeux, retenir encore l’image. Expiration du parfum dans un souffle de brume souple et diaphane, fragile et vacillante, blanche si blanche dans mes nuits.

 Ne pas pouvoir nommer, tourner autour : n’écrire ni la chemise de nuit, ni la mère, reconstruire simplement. Ce qui est moche aussi. Ce qui est cru et qu’on ne peut plus regarder en face, les anecdotes de chairs flasques, l’effacement progressif, l’étirement des plaintes et des jours fades, la distorsion des gestes, l’absorption des affronts qui creusent et ravinent à l’intérieur, un avant-goût de l’absence, passage du solide au gazeux invisible et qui prend tant de place. Et puis l’odeur qui reste envers et contre tout. Elle vient après l’image de ce fantôme qui a fini de s’éteindre, elle tire loin en arrière sur quelques sourires, elle convoque l’enfance. Je me laisse surprendre par la chair qui s’invite. Partie trop vite dans le sensuel, jamais concrète, ni concise. L’objet tout seul ne compte pas, seul m’importe ce qu’il m’apporte. Cette chemise de nuit, finalement, je pourrais tout aussi bien la remplacer par… par quoi d’autre, d’ailleurs à part mes propres souvenirs ? Alors, elle contient tout ce qu’il me reste, tout ce que je reconstruis patiemment, sautant d’un point de vue à un autre, ne trouvant jamais définitivement celui qui clôturera l’histoire, pas fini d’explorer les fibres et envie pourtant d’en sortir, tentation d’enfermer tout ça dans des boites aux étiquettes bien proprettes, aux contenus définitifs… un autre paire de manches, que cette chemise-là…

Besoin de fuir les images, je me suis éjectée de l’écriture où plutôt elle m’éjecte de là. Vidée et flasque l’envie d’écrire, comme une érection qui retombe face au manque de sensualité de cette chemise de nuit pourtant si pleine de sens tous plus vertigineux les uns que les autres. Mais plus rien. La panne. A quoi bon tout ça ? Être une écrivaine, quelle blague ! Des écrits vains à peine, perdus dans la masse. Des jours et des jours sans  l’écriture. Marre de geindre en cachette, planquée derrière les mots en enfilade. Peur d’avoir brûlé étapes et cartouches à force de tordre les secrets du tissu entre mes doigts qui savent par avance où ça va me mener. Ils trahissent ma tête, ils empêchent les mots de couler librement. Pauvre et vide. Plus rien qui sort de l’essorage, à part la rage. Aucun essor. Y retourner pourtant.

De ce bout d’étoffe diaphane, jaillissent en fragments lumineux les souvenirs et les douleurs. Un fil tiré comme un passage entre l’absence et ce demain qui tarde si fort à grandir. Il fait trop nuit et les odeurs.

Le chemin des à-côtés : il y aurait quelquefois des bulles de douceur, des rires et du plaisir. Ce chemin-là ne parviendrait pas vraiment à s’imposer, à prendre le dessus sur les autres mais il resterait une possible consolation, un souffle, un répit dans la lecture. Ce serait comme un chemin de traverse que l’on pourrait emprunter quand on en aurait besoin. Un chemin secret où la petite fille aurait rangé, empilé, accumulé comme dans les livres de Claude Ponti, des pages secrètes, des fourre-tout, des poires pour la soif. Quelque chose qui conserverait de l’espoir dans une bouteille en verre poli à découvrir sous les amas, le bric à brac , les hypothèses.

la machine à lever te retourne CYCLE un tour en arrière à la périphérie CYCLE le tambour de la machine à laver si longue du lavomatique tes yeux exorbités qui s’embarquent dans la course du linge sidérés saturés en  pause double salto faire retomber brusquement le souffle et l’aplatir avant le départ CYCLE urgent le retour vers les sources du cercle pointilleux CYCLE les humeurs qui s’égouttent au fil du goutte à goutte lentement se tarissent se dessèchent et s’arident CYCLE toujours ça s’étiole et ça meurt ne plus jamais revenir CYCLE perdus à jamais le goût et l’appétit perdus pour longtemps l’envie et l’allant CYCLE la folie furieuse qui revient bouillonner tourbillonner les sens réabsorber du monde CYCLE les tracas les emmerdes le piétinement continu des autres sur nos ombres CYCLE de nos hanches qui s’offrent  de nos flancs qui se prêtent de nos cerveaux qui s’apaisent CYCLE le manège à sensations chercher fouiner dans tous les coins les recoins renifler les replis extraire les substances souffler dedans les regonfler CYCLE ne plus y croire vraiment c’est parti on ne sait où est ce que ça valait vraiment le coup CYCLE se renfrogner se rencogner s’enfreindre et se trahir CYCLE le mépris et l’errance le rassemblement des morceaux léchages des plaies intenses sutures singulières CYCLE la poussière qui recouvre même les élans les plus féroces t’as beau souffler dessus elle reste CYCLE les spirales qui emportent un poil plus loin cheveu après cheveu CYCLE l’ailleurs qui revient nous faire croire à l’inconnu CYCLE le gouffre qui s’ouvre à explorer un infini palpitant devant nos pieds novices devant nos yeux crédules CYCLE rebondissant de plus en plus vite de moins en moins loin on voit la trace au sol de la chute attendue qui ne fait plus surprise CYCLE le ramassage épars la traque des fragments les recollages en règle CYCLE décollage imminent du rêve à ras de sol CYCLE le détail éventré qui coule et dont on se repaît qu’on repasse à foison qu’on lisse avec nos doigts sous toutes les coutures CYCLE les confitures des jardins prolifères CYCLE les années tous ces mois à gravir jusqu’au sommet d’été pour redescendre ensuite aux tréfonds de l’hiver CYCLE les fatigues et nos pieds qui se trainent CYCLE ce qui palpite s’agite et s’assagit CYCLE la colère qui gronde dévaste et creuse les sillons de l’abandon promis CYCLE les paysages à modeler les contours ronds à dessiner CYCLE les arêtes et les failles l’épuisement et les crachats CYCLE le désespoir et les griffures lacération de l’âme impure CYCLE aller toucher la lune adorer le soleil CYCLE se rebrûler les ailes reperdre la mémoire CYCLE se lever doucement gémissant pas trop fort juste un peu en soi-même CYCLE la dignité les murs que l’on fabrique pour s’écouter pleurer CYCLE toutes les histoires belles tragi-comiques cruelles envolées passionnantes merveilleuses et charmeuses contes de fées contes à vomir et faits divers CYCLE la peinture qui s’écaille la réalité crue qui prend ses aises CYCLE la violence un sourire une baffe un soupir un pardon des regrets et des larmes CYCLE les uns les deux les trois et les inaccessibles CYCLE les courts les longs les maîtrisés les sinueux CYCLE de nos circonférences et de nos à côtés CYCLE le sang CYCLE les frissons CYCLE les œufs et les déjections sales des corps qui se déversent CYCLE le berceau et la tombe mais pas CYCLE l’entre-deux ou plutôt CYCLES mini-CYCLES dans le grand CYCLE la draisienne qui avance ça tourne pas vraiment rond mais ça persiste on fonce dans le tas sans respecter le CYCLE qui résiste la loi du CYCLE qui veut que tout s’enroule se rencontre et s’en mêle on taille dans le vif on explose le CYCLE avec nos pieds d’humains et nos visions si lentes qui regardent le sol ou le bout de nos nez CYCLE et rétrospective petit bond en arrière vers le point du départ CYCLE faire le bilan ramasser les indices remuer la marmite espérer un miracle CYCLE repartir d’un bon pied et pas toujours le même CYCLE vouloir rester couchée se vautrer dans du rien et voir tourner les mouches mais CYCLE quand la machine à lever te retourne

Le chemin du livre qui n’existera jamais : en même temps que l’on suivrait tous les chemins, on se retrouverait face au découragement de la narratrice qui, à force de vouloir tout embrasser, finirait par se rendre à l’évidence : l’ampleur de la mission égalant celle de la petite fille voulant sauver sa mère, il se pourrait bien qu’elle ne parvienne jamais à écrire complètement ni définitivement cette histoire. On assisterait alors à l’écriture de chemins dans les chemins après avoir assisté au dépiautage de chacun qui aurait conduit à d’autres et ainsi de suite jusqu’à la perte complète du sens commun ou l’apparition d’une folie furieuse : comment un livre raconterait l’histoire d’un livre qui ne s’écrirait pas tout en en écrivant plein d’autres.

D’abord on n’en distingue que la poésie. On se dit il est fait tout exprès pour nos yeux puisque seul le point de vue culminant des fenêtres du deuxième étage permet de contempler ce toit de tuiles rouges. On se dit que c’est comme un cadeau que la ville nous fait, ce petit bout de toit, en face, en contrebas de la fenêtre, que personne d’autre ne voit. Un territoire vierge, inconnu, des promesses d’explorations délicieuses, furtives et confidentielles dans ce monde en vis-à-vis. On en ricane sous cape. Il saute un peu au visage avec ses tuiles rouges qui contrastent avec la grisaille banale des lauzes alourdissant les toits d’ici. Quelques merles, en prime, y furètent, l’air de rien. C’est leur terrain de jeu, l’échappatoire après les piaillements des nids voisins, un petit bond, un sautillement pour se dégourdir les pattes hors des nichées qui crient, des femelles qui trillent. Quelques zigzags dans la vieille mousse entre copains, quelques frayeurs quand le voisin s’élance et chasse un importun, peut-être ancien rival de couvée. On assiste à des spectacles permanents, des tracas d’oiseaux en continu, on imagine la vie du quartier dans le tilleul au fond. C’est le Marcovaldo du volatile. En y regardant d’un peu plus près, souvent quand le soir tombe et que les merles ont regagné sagement leurs pénates, la poésie s’éloigne un peu. Les ombres rêches des ilots de mousse sombre qui ont colonisé les tuiles ont l’air un peu moins accueillantes. De longs poils terminés par des spores qui ressemblent à des yeux leur sortent des narines. On se demande alors qui observe l’autre. Bien malin qui pourrait répondre. On se sent un petit peu moins privilégié à jouer les guetteurs. Partout, de petits morceaux d’argile rougeâtres témoignent de la dégradation du toit, les tuiles s’encastrent parfois si mal qu’on pourrait penser qu’une âme malveillante les a simplement jetées à la volée sans se préoccuper de l’étanchéité. Il y a même un creux qui se dessine dans le soleil couchant, menace certaine d’un écroulement prochain vers l’intérieur du bâtiment, sur la tête des gens qui y travaillent. Mais sûrement, la charpente s’effondrera la nuit, durant un gros orage, épargnant des vies humaines, il ne faut pas voir tout en noir. Quand le regard se fixe enfin sur la gouttière rouillée qui souligne la fin du toit, c’en est définitivement fini de la poésie. Ce pauvre manche blanchâtre piqueté d’ocre qui le ronge pend lamentablement sur ses derniers centimètres comme un bras cassé qu’on aurait trop tardé à replâtrer et n’aurait d’autre solution que de se soutenir lui-même. Une vaste désolation juste sous nos fenêtres. Ne manquent que les chauves-souris qui soudain se lancent dans une sarabande macabre, rase-mottes et piqués pour tenter de happer le peu de moucherons épargnés par les merles voraces. On finit par ne plus vouloir  regarder ce paysage en miniature. Du moins, pendant les heures difficiles.

Je me laisse surprendre par la chair qui s’invite. La réalité crue ne se laisse pas voir, seulement des fragments aux bords effilochés. Au loin, une montagne évidente posée là dans une brume légère. Un sommet que les yeux embrasent de loin, une image, un paysage. Les jambes se résignent et arpentent jusqu’à s’approcher, grimpent jusqu’à la cime dans l’illusion renouvelée qu’elles vont posséder le massif. Qu’il suffira que les mains tâtent, que les doigts agrippent sans le lâcher cet amas de poussière éphémère. Et il sera modelé enfin, dans une empreinte plus humaine. Compréhensible et acceptable. Immuable et stable. Dompté. Je dégringole. Encore.

Notes de bas de pages :

  1. Allusion au livre « Les Malheurs de Sophie », écrit par la comtesse de Ségur au 18ème siècle, à mi-chemin entre mémoires et traité de pédagogie inversée à la lecture duquel, les enfants décryptent sans que rien ne soit dit vraiment, ce qu’il y a d’injuste à être trop petit dans un monde d’adultes.
  2. Le village de Tournefeuille dont on ne tourne pas la page aussi facilement. L’impasse existe encore, seul a changé le paysage alentours. Îlot en friche entouré d’un urbain sans complexe. Cf. bien d’autres textes.
  3. Pays de Sault, pas un pays mais un plateau entre trois paysages, coincé au pied des Pyrénées, bordé par les cathares et plus loin le Capcir. Rappelle un sauvetage (se reporter aussi à la Salvetat du Larzac ou sur Agout). On ne sait pas vraiment s’il s’agit d’être sauvé ou bien de fuir.
  4. Ce qu’on appelle des cazelles : petites constructions de pierres minuscules en voûte destinées à abriter les gardiens de troupeaux. D’anciennes traces de conduits de cheminée prouvent que l’on pouvait y faire du feu pour se chauffer ou cuisiner, se préserver des animaux sauvages peut-être. 
  5. Extrait de la quatrième de couverture d’« Histoire de la chauve-souris », Pierrette Fleutiaux, 1975 : « S’il vous vient un jour une sombre créature ailée dans les cheveux, vous pouvez crier «Débarrassez-moi de cette chauve-souris!» ou au contraire «Rendez-moi ma chauve-souris!». Mais peut-être ne savez-vous pas crier et en ce cas, bon gré mal gré, vous ne dites rien et observez ce qui se passe.
    C’est alors toute une histoire, surtout si vous êtes une très jeune fille, peu habituée à ce qui tournoie et louvoie dans le monde…
    Et il faudra bien, il faudra bien cohabiter avec la chose, qui ne vous lâche plus, et certains vous auront en horreur à cause d’elle, et certains vous adoreront à cause d’elle… »
  6. Les boules en verre servaient de flotteurs aux filets de pêche. Elles étaient entourées de cordages qui les préservaient des chocs lorsque les marins jetaient ou relevaient les casiers dans l’océan. Il était de ce fait impossible que deux flotteurs soient en contact une fois dans l’eau. Il ne se produisait donc aucun choc susceptible de briser ce verre au demeurant très épais.
  7. Castelnavet : village du Gers qui sonne comme une plaisanterie. En réalité, le nom de Castelnavet (Castèthnavèth en gascon) signifierait « Château Neuf » et pas du tout un légume.
  8. Dans les années soixante et soixante-dix, le mobilier en formica a connu un engouement terrible dans les foyers. Inventé aux Etats-Unis au début du XXème siècle, ce matériau est utilisé au départ comme isolant électrique à la place du mica. Il arrive en France en même temps que le nylon et le chewing-gum. Le plastique stratifié formica est un assemblage de feuilles en papier kraft imprégné de résine de synthèse et soumis à un traitement chimique. On se servait ensuite de ces grandes feuilles pour réaliser des placages sur des meubles ou des objets. A Quillan, dans la Haute-Vallée de l’Aude, au début des années 2000, la fermeture de l’usine « Formica » qui employait 149 salariés depuis les années 50 a été un coup dur pour l’économie locale. Quatre ans auparavant, non loin de là, à Limoux, les usines Myris –chaussures- avaient également fermé leurs portes laissant sur le carreau de nombreuses ouvrières. Ces dernières ont d’ailleurs publié un recueil de témoignages à partir d’un atelier d’écriture organisé dans le cadre de leur reconversion professionnelle.
  9. Le quartier du Mirail, Toulouse, d’abord conçu pour être une ville nouvelle, destinée à accueillir les classes moyennes. L’essor de l’aéronautique nécessitait de trouver des solutions de logement pour les salariés du bassin d’emploi. Les travaux ont été effectués par tranches. Le quartier de La Reynerie, disposant de son propre lac artificiel, date du début des années soixante-dix. Au fil des années et au gré des divergences politiques, ce qui devait être un projet valorisant la mixité sociale et rejetant toute idée de ghetto, s’est finalement transformé en quartier défavorisé habité par les bénéficiaires du regroupement familial et des familles de rapatriés d’Algérie.
  10. Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française de 1974 à 1981.
  11. Le canal du Midi, pensé par Pierre-Paul Riquet et célébré longtemps par des tombereaux de collégiens riverains, relie l’océan Atlantique à la mer Méditerranée.
  12. Le plateau du Larzac a été un haut lieu de lutte de 1971 à 1981. Les paysans menacés d’expropriation par le projet d’agrandissement du camp militaire ont refusé de céder et ont reçu le soutien massif de personnes issues de diverses organisations militantes, politiques, de groupuscules engagés. En 1981, François Mitterand annule le projet d’extension. La lutte du Larzac, qui s’est toujours caractérisée par l’action non-violente, reste un modèle exemplaire d’intelligence collective dans la construction des actions et l’égalité de  tous les acteurs dans les prises de décisions. Aujourd’hui, les terres sont sous la responsabilité du Ministère de l’Agriculture et sont gérées par la SCTL (Société Civile des Terres du Larzac) qui les attribue selon les projets, à des personnes désireuses de s’installer sur des activités agricoles et d’accueil, sous la forme de baux emphytéotiques. 
  13. Le 21 septembre 2001, à Toulouse, quelques jours après les attentats du World Trade Center, une explosion dans l’usine AZF cause la mort de trente et une personnes et en blesse quelques milliers, certaines irrémédiablement. Le souffle est tellement violent qu’il s’entend à 80 kilomètres à la ronde et provoque des dégâts matériel si importants que de nombreuses personnes devront être évacuées de leur domicile pour être relogées en urgence parfois pour de longs mois. Le groupe Total,  propriétaire du site finira par être condamné à indemniser les victimes à l’issue d’un procès qui aura duré 12 ans.
  14. Au début des années 2000, un collectif d’artistes décide de squatter l’ancienne préfecture de Toulouse. Ils installent des ateliers et expérimentent l’autogestion d’un lieu qui devient rapidement un endroit incontournable de mélange de pratiques culturelles et de résidences artistiques. C’est un lieu d’échange et de mixité sociale au plein cœur d’un des quartiers les plus bourgeois du centre ville. Le projet du collectif Mix’Art Mirys a pour vocation de persuader le pouvoir politique de trouver une solution de logement pérenne pour ces artistes exclus des lieux de créations subventionnés. Un lieu pour créer, expérimenter et diffuser une autre culture.

A propos de Stéphanie Rieu

J'ai 44 ans et à ma grande stupéfaction, je vis en Lozère depuis maintenant quinze ans. J'ai souvent pris des trains en marche pour le plaisir de l'aventure ce qui m'a permis de pratiquer différents métiers tout aussi passionnants les uns que les autres et toujours en lien avec l'humain. Il y a quelques années, je me suis formée à la biographie familiale avant de réaliser que c'était sur ma propre matière que j'avais envie de travailler. J'ai donc intégré "Les Ateliers du Déluge", où, avec d'autres compagnes d'écriture, nous formons un ensemble insolite, disparate, joyeux et déluré, ne reculant devant aucun défi, ni prise de risque (y compris celui de s'inscrire sur les ateliers en ligne du Tiers-Livre !). Aujourd'hui, j'essaie de prêter une oreille attentive à ce qui m'anime : écrire, cuisiner, lire, accueillir, jardiner afin d'oser aller à ma rencontre. Malgré les efforts incessants que je déploie pour essayer de réfléchir sérieusement à mon avenir, je ne sais toujours pas ce que je voudrais faire quand je serai grande.

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