# 03 Techniques corps silence

/

Après le silence

Le silence, après sommeil probable, sensation de brutale bascule sur le côté sans l’avoir voulue, décidée, bruit de dérapage avant choc amorti dans le fossé, frottement comme de sable ou gravillons, silence ; ……… ; silence dans l’ahurissant constat, c’est arrivé, la voiture est dans le fossé, couchée, il va falloir sortir par une portière au-dessus, jamais vu, imaginé, se dégager de sacs, bagages, jusqu’aux faisans, cadeaux de lointains cousins, qui ont roulé sur la banquette ; dans l’instant vient une question, blessure, accidents des corps, mourir, peut-être, la famille au complet, personne n’a été éjecté de la petite voiture dont la capote heureusement fermée, le père, front ensanglanté, dit que c’est pas grave, fait asseoir la mère et les deux enfants sur le talus, il explique, un village proche, chercher du secours, téléphoner, ses cousins viendront les chercher, la mère rassure, interroge chacun, tu as mal ?, tu peux marcher ?, bouger les bras ?, tes genoux ont cogné sur le dossier ? les enfants répondent, heureux qu’on les questionne à propos de leur corps, c’est comme chez le docteur, demandent s’ils vont mourir, la mère dit que jamais de la vie, un accident, c’est un accident, comme il en arrive tant, ils en ont vu parfois, en rentrant de chez leur grand-mère, sur la nationale 19, que l’on dit dangereuse, police, lumières bleues, ambulances, ils ont eu de la chance, cessent de pleurer, déjà le père revient, ils se mettent en marche vers le village, au loin, ils voient quelques faibles lumières, le père porte le plus petit dans ses bras ; accueillis dans une maison inconnue, par une famille, visages doux, s’inquiètent des enfants, les leurs, en pyjamas, ne savent quelle distance adopter vis à vis des étrangers en souffrance, prennent place autour d’une table couverte de toile cirée, on leur propose un bol de lait, les parents boivent du café, discutent, oui il allait trop vite, il ne connaît pas cette route, beaucoup de virages, la voiture partie sans pouvoir réagir, l’ainé écoute les mots de la conduite, volant, pédales, freins, débrayage, il finit par s’endormir, la tête dans les bras posés sur la table, une sensation de fraîcheur monte contre ses joues. Le silence,  allongé, il ne dort pas, la pièce est fraîche, mais il n’est pas couvert, son corps se coule dans l’ombre, dans un cocon. Est-ce qu’il préfèrerait sortir, dans le jardin, se laisser envahir par la chaleur, le cœur soulevé, accroupi dans le soleil, construire une ville avec les graviers de la cour, beaucoup de ponts et de tunnels. Sa tête repose sur un coussin de velours brun à motifs géométriques, complexes, douceur, odeur vague de renfermé, de poussière, on n’ouvre cette pièce qu’en été, il ne dort pas, les livres s’entassent sur une table rectangulaire, de chêne très sombre, presque noir, un peu bancale, les murs du salon, panneaux vieux vert encadrés de boiseries peintes, teinte acajou, volets tirés côté rue, le silence parfois rompu, tremblement des vitres au passage d’un camion, le corps éveillé se tourne, s’étire, le crâne creuse le coussin de velours. Assis à la fourche principale, buis-cabane dépassant le toit de la remise, l’arbre formant un dôme de feuilles minuscules, dense, épais, la lumière de l’après-midi ne passe pas, il ne joue pas à cache-cache, il ne cherche pas à échapper au regard des parents, comme dans une chambre, indifférent à la présence du vieux chien couché en plein soleil, s’ébroue (le chien) dans la poussière, vient s’asseoir au pied de l’arbre, dans l’ombre fraîche, de temps à autre, lève les yeux, pousse un bref gémissement, seule rupture consentie au silence, appel à descendre bras et jambes, mettre en mouvement ce corps alangui, à lancer, relancer la balle rapportée sans fin. Couché sur le ventre, la plage est assommée par l’été, les vagues de chaleur montent des mollets jusqu’à la base du crâne où elles se dissolvent en filets capillaires, les vagues de l’océan roulent, tout proches, ni silence, ni fracas, un souffle, un halètement sans pause, la mer monte, rien ne l’arrête, le barrage de sable construit autour du château-fort est rongé par une onde coureuse, emporté par l’écume, rouleau jeté sur la forteresse, ses tours moignons, son donjon croupion.

Acouphènes, depuis combien de temps n’ai-je entendu le silence ?, mon corps sur ses aplombs, mon corps-action, prêt à ; mon corps inachevé, évoluant entre ses innombrables silences, vers la finitude qui sera la mort ; observer, éprouver, ressentir, la lente dégradation, ses rémissions, printemps, été, automne des ambigüités, hiver en lutte, corps à corps avec les éléments ; s’installer petit à petit dans l’échec des gestes familiers, devenus épreuves, économiser ce corps réticent à l’effort ; parfois rêver, penser yoga, souplesse retrouvée, marche calme vers un lac où se perdre sous l’eau verte, ressurgir, nager sur le dos à grands cercles des bras, brasser, brasser, brasser le flux ; ou véloce, courir les kilomètres faciles ou l’exigeant 400 m., si pur, parfait anneau, demander, exiger du corps l’effort si souvent répété, vers l’apothéose de la ligne magique ; stop, stop, arrêter ces fantasmagories, ces réminiscences, plus dur, le réveil, la bascule hors du sommeil, hors du silence, se rappeler ces micro-projets pensés dans l’hier, les premiers pas, « les premiers pas », vers le crayon, le cahier, le clavier docile.