#enfances #05 | les sens en éveil

Marcher pieds nus dans l’herbe fraîche mouillée de la rosée du matin

Admirer les fleurs jaunes d’un forsythia qui éclosent chaque année au même coin de la rue et annoncent le printemps en ville

Sentir l’orage qui menace, pèse sur la ville, éclate en force, les façades blanchies par les éclairs renvoient les bruits du tonnerre, on danse sous la pluie qui inonde les rues, lave la poussière, nettoie l’air chargé d’odeurs et de sueurs. Sous le ciel redevenu bleu, la ville sent la fraîcheur, comme après une bonne lessive

Humer l’odeur et le goût de la carotte tirée de la terre noire du jardin de curé, parmi les soucis et les dauphinelles, puis lavée au puits à levier grinçant, plus tard, jamais une carotte n’aura été aussi savoureuse que le souvenir

Affronter la fraîcheur de l’automne, brume, bise froide, pluie et bruine, sortir dans la forêt mouillée, marcher dans les chemins inondés de feuilles qui tombent tout doucement, planant, virevoltant, feuilles de toutes les couleurs ensoleillées, jaunes, rouges, ocres, feuilles qui en séchant bruissent sous les pas, chuchotent, chantent tout bas

Se réjouir de la neige qui tombe en gros flocons tout doux, blanchit la rue, habille les arbres et les fleurs, étouffe les sons de la ville, les enfants emmitouflés, chaussés de bottes fourrées, sautillent en riant, tirent la luge dans les rues désertes, au loin, le tram intrépide grince et tintinnabule

Déguster la « Chantilly », cette crème blanche aérienne, battue vigoureusement au fouet et appelée « Schlagobers », justement crème battue, qui faisait partie de tous les petits déjeuners du dimanche et de toutes les fêtes, sur les gâteaux, sur le chocolat chaud, en dôme blanc sur le café noir et fondant tout doucement sur la langue enchantant les papilles

Entendre une messe de minuit dans une église baroque chargée d’or, de marbre et de lumières, au son puissant de l’orgue dominé par les chants d’une chorale magistrale, et ressentir des frissons et des papillons dans le ventre

Poser un doigt sur la touche de piano qui réveille un son clair limpide transparent aérien, les doigts se délient, apprennent, les mains acquièrent de la puissance, de l’agilité, et l’âme découvre Beethoven…

S’émerveiller de pouvoir déchiffrer comme une grande les lettres au-dessus des devantures, apprises patiemment au fur et à mesure dans la rue avant d’occuper les bancs d’école

Se plonger dans un livre et ne plus le lâcher jusqu’à la fin et au-delà, partir en voyage, accompagner le héros dans ses aventures, dans le désert de Libye, aux pays des Skipetares ou chez les Apaches de l’Arizona et rêver d’ailleurs

Promener le nez en l’air, avec ou sans but, traverser la ville, sentir sa vie, son âme, admirer les parcs, les palais, les allées, entrer dans des musées, monter sur les collines et regarder le panorama qui marquera le souvenir, toutes ces maisons, églises, châteaux effleurés par le ruban scintillant du fleuve

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

2 commentaires à propos de “#enfances #05 | les sens en éveil”

  1. Merci, Perle, pour cet accompagnement. Je pense que tous et toutes nos nous sommes régalés à plonger dans ces souvenirs de bonheur, et les textes sont tous très attachants. Il y a des thèmes moins faciles…