#été2023 #06 | faute le temps

il y a cet écrivain avec des gosses très jeune il n’écrit que des choses courtes faute de temps l’argent c’est ce temps volé à l’écriture ce qu’il aurait fait si… va savoir… lui avait travaillé la nuit dans un cercle poches cousues et l’argent en piles de jetons sur les tables : rouge noir passent — en effigie l’argent ; leurs visages électriques assis autour de la table leurs mains serres : faites vos jeux fixant la boule au risque de la perdre et lui debout poches cousues à croquer mentalement (à l’œil) ce que l’argent lui volait par le regard résister engranger (contre) ; il rentre c’est l’aube croise les gosses cartable au dos : c’est de l’argent ça les gosses bouches ouvertes et chaussures cartable compris s’endort dans l’odeur et le rêve de térébenthine d’émulsion à l’œuf; entre onze et seize heures être enfin lui-même ce truc poussé dans la solitude de l’enfance les livres ou la peinture (la bourse ou la vie) il avait choisit la peinture et peindre sur bois des moyens formats animaux fabuleux architectures et corps sur bois pour le goût des retables ces heures volées à : « rien ne va plus »— ce qu’il aurait fait va savoir si…  alors il prend un autre boulot ça grandit les gosses les chaussures bouches ouvertes une opportunité on lui dit terminée la vie en décalé il découd ses poches —et trois en plus de gosses pas tenable — commercial dans le médical crampes d’estomac et constipation purges en tous genres une vraie filière l’estomac c’est de l’argent mais l’intestin surtout l’intestin c’est une manne : quand tu es dans la merde autant faire de l’or (c’est vrai qu’il n’aimait pas son père un violoniste qui pariait sur les chevaux et pingre mais quelle oreille ) dans le médical tu montes vite en pot-de-vin et dessous de table cadeaux compris il banquette prend de l’estomac… il en prend dans le larfeuille en argot de boucher un mot qu’il employait souvent aussi il finissaist ses nuits aux Halles pour une pièce de bœuf au cul d’un camion comme un Rembrandt saisi sur le vif et la lumière en pluie d’or (Bethsabée Oh ma Bethsabée) la peinture s’éloigne des heures de plus en plus rabougries — ses heures creuses quand le plein c’était faire de l’argent — ces quelques heures entre onze et quatre heures de la nuit puis de moins en moins et les dessins de plus en plus petits au Bic les dessins volés au temps de l’argent gagné dans les salles d’attentes puis les responsabilités et les banquets en congrès de pilules il prend goût au Bic par défaut il croque de mémoire le corps de sa Bethsabée il la boit à la pointe sèche et humide du Bic sur un coin d’ordonnance va savoir s’il aurait pu s’y jeter le corps et l’âme dans la peinture si… sur un coin de dossier de pilules ses dessins de plus en plus petits …

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

12 commentaires à propos de “#été2023 #06 | faute le temps”

  1. Quand la forme rejoint magnifiquement le fond. Quel beau portrait croqué ! Merci, Nathalie !

  2. « ce qu’il aurait fait va savoir si… alors il prend un autre boulot ça grandit les gosses les chaussures bouches ouvertes une opportunité on lui dit terminée la vie en décalé il découd ses poches et trois en plus de gosses c’est pas tenable commercial dans le médical crampes d’estomac et constipation purges en tous genres une vraie filière l’estomac c’est de l’argent mais l’intestin surtout l’intestin c’est une manne : quand tu es dans la merde autant faire de l’or (c’est vrai qu’il n’aimait pas son père un violoniste qui pariait sur les chevaux et pingre mais quelle oreille ) »

    L’artiste peintre mis à la torture dans cette quête infernale d’absolu en milieu ordinaire. Rien ne va plus… Faites vos enjeux… Chacun.e pour sa pomme…

  3. Cet argent qui le meut et le dévore, et ce tiraillement entre l’effort et le sort, le travail et la bonne « fortune », la création et la damnation…combien furent ainsi des pères nourriciers sans rien donner d’autre que l’argent à des enfants devenus indifférents, j’aime cette image très cinématographique, ce croisement entre celui qui revient de la nuit blanche et ceux qui tentent de rester petit groupe uni… je projette beaucoup, mais c’est le propre des fortes histoires, des descriptions tendues et de la place pour qui remplit les vides

    • « combien furent ainsi des pères nourriciers sans rien donner d’autre que l’argent à des enfants devenus indifférents » oui … Merci Catherine

  4. Helena, Marie Thérèse, Catherine, Laurent, Ugo, Christine Merci pour vos passages et vos retours.

  5. Les commentaires ci-dessous disent bien ce que j’ai ressenti à la lecture. Quelle belle langue Nathalie, et quel sens prennent ces mots !