#enfances #08 | mordre cailler partir

on dirait qu’on serait
L’édredon armé de cordes en besace : des pommes, du pain, des allumettes… Dans la boîte à gâteaux les centimes dérobés sont trésor à enfouir. Jeter les nu-pieds. Pieds nus prendre le chemin : ce bout du chemin en pays lointain, là tout devant, entre arbres et broussailles : on dirait qu’on serait… « De vrais. Romanichels! »,  elle crie. Romanichels c’est son mot : « allez-vous débarbouiller! on dirait des romanichels ». Sentir la terre entre les orteils, aux ongles des doigts et des pieds : la terre ; une peluche sert de singe. Christine la fille du garagiste « qui sent l’essence et le linge mal séché  » est venue jouer: « peuvent pas l’étendre au fil son linge ? qu’on dirait même pas un garçon avec son pull et ses pantalons maison, gras ». Un nuage obscurcit les arbres que le vent rend flous; le bruit du vent est notre musique : nous battons des bras pour l’encourager.     

caillebotte aux mûres 
On le savait que c’était dans un endroit chaud qu’elle prendrait sa vraie consistance : blanche méduse, blanc bidet. C’est le jour des chatons la caillebotte durcit. « N’y touchez pas surtout ». Pour les chatons c’est une surprise : entre les pattes de la grise qui gémit, venant de sous son ventre, d’un trou qu’on ne voit pas, six chatons collants rose gris: elle gémit. « N’y touchez surtout pas, laissez là finir son travail », elle parle de la grise qui met bas, pas de la blanche qui coagule : « bas les pattes! gare au doigts! » Quand la lumière de fin d’après-midi jaune dorée envahit la table pleine de mûres : c’est une éclaboussure de soleil dans la prunelle des fruits.

en soie déchirée
Je peux dire de ce jour-là comme si c’était vrai : les voix feutre. Il entre des gens têtes penchées, à se demander ce qui traîne par terre : «… enfin si vous avez besoin de quoi que ce soit on n’est pas loin et bien entendu les enfants peuvent dormir… oh mais qu’ il est joli ce pyjama pilou-pilou… ». La main se colle, saisit, caresse : attention je peux mordre ! mais la soie déchirée autour de mon cou me protège. « Et ce beau foulard il est à qui ? ». Je peux dire de ce jour-là comme si c’était vrai qu’il ne fait pas froid. Une odeur de beurre chaud vient du four. Des gens entrent et sortent… il va faire nuit. La lampe luit. Le foulard je l’ai chipé dans son tiroir avec les choses à remiser; il a encore son odeur.  

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

7 commentaires à propos de “#enfances #08 | mordre cailler partir”

  1. Voici vraiment une écriture de l’enfance qui ne dévoile pas, ah, comme ce foulard de soie, à garder l’odeur, à soulever juste un coin de ce qui cache. Trois textes qui ont trouvé avec les titres et le ton et la longueur choisie leur façon d’être liés. Merci, Nathalie. Très beau cette particularité de dévoiler si peu et de truffer l’ensemble de personnage dont on a soudain une vision bien nette. Mais de l’enfant, si peu…

    • merci Anne tes retours sont si précieux ( ah l’enfant : celle qui se cache … j’aimerais faire sans la vitre et le brouillard j’aimerais y aller dedans plein feu en vrac sans Pirouette cacahuètes : peur? ) …

  2. Votre écriture avance staccato Nathalie, tout en formant des ensembles fluides. Voiler/dévoiler l’enfant, on a des aperçus, des instants saisis sur le vif, tout ça bien vivant.