#été2023 #12 #12bis | je partirai

Dès que l’infirmière sera là je partirai. J’ai déjà trop attendu. Il n’y a rien ici (de ce que je cherche). Rien d’autre qu’un ancien café datant d’un temps trop lointain. Ces murs n’ont pu accueillir mes parents. Est-ce cette rue ou bien une autre ? Je m’adosse au chambranle de la porte-fenêtre. Ce n’est que le souvenir confus d’une photographie aperçue furtivement, d’un mot sur une carte postale, d’une adresse griffonnée à la hâte. Aurais-je finalement inventé cette escale ? A chacun de leur voyage j’imaginais mes parents partir à l’aventure, ils retrouvaient une légèreté, un teint plus clair. Me laissant chez grand-père, ils promettaient de revenir vite, de ne pas partir longtemps. Je filais me cacher dans l’armoire, sous la couverture rose. Un coquillage à mon oreille, j’espérais ressentir le fourmillement des profondeurs de l’île, me remémorer les histoires d’algues et de phares racontées par grand-père. Ils pouvaient alors partir, je devenais insulaire. Ils m’envoyaient toujours des nouvelles à leur arrivée sur le continent, quelques notes chantantes d’un café populaire, les pétales odorants d’un vaste jardin. En 19.. on n’a pas tracé ma taille sur le mur de la cuisine. J’ai grandi de sept centimètres sans que personne ne s’en aperçoive. C’est cette année-là que mes parents ne sont pas revenus de leur voyage. Ensuite, tous les chemins menaient vers eux. Ils étaient le rouge des roses trémières, le goéland observé avec les jumelles de mon père, les nuages traçant leur disparition. Ils auraient pu surgir du coin de la rue une baguette de pain sous le bras, klaxonner perchés sur leurs vélos du haut de l’allée, je n’aurais pas été surprise. Ensuite, leurs silhouettes se sont estompées, mon adolescence a été échevelée. Aujourd’hui je voulais poser mes pas dans leur ombre et je surveille une vieille dame endolorie. Sa respiration se fait plus paisible. Je trébuche souvent dit-elle d’un souffle. Un jour, je suis restée allongée pendant une éternité.

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663

2 commentaires à propos de “#été2023 #12 #12bis | je partirai”

  1. Je réponds un peu tardivement, excuse moi.
    Encore une pièce de mon puzzle projet. Ton retour m’est très précieux car je ne sais pas trop où je vais. Merci Catherine