Socle

Comment se tiennent-ils dans sa mémoire les souvenirs des sols foulés au long des années,

alignés ?

juxtaposés ?

forment-ils mosaïque ?

classés ?

chronologiquement ?

logiquement ?

alphabétiquement ?

empilés ?

  • – sourire –

les sols de sa vie, elle les verrait plutôt éparpillés, en désordre, convocables aisément, simplement, du passé dans le présent, rassemblés comme un bouquet de ballons de baudruche – sourire de celle qui déteste les ballons de baudruche – bouquet qui flotterait quelque part là-haut, dans sa tête, et dont il n’y aurait qu’à tirer les fils pour les ramener à soi, les voir à nouveau, ces sols mémorisés, un à un, selon son humeur du moment, 

ces sols qui constituent son socle, qui font qu’elle est qui elle est,

alors elle tirerait le fil du bitume de banlieue et ses amis béton, ciment et goudron, le goudron déformé, éclaté par les racines des marronniers d’une cour de récré, arbres cernés de rosaces de béton dont les creux recueillent les billes multicolores, 

goudron surligné de peinture jaune d’un grand parking souvent vide, sur lequel elle apprend à faire du vélo, 

goudron qui écorche les genoux lorsqu’elle chute,

elle ferait suivre le fil du parquet d’une salle de danse, sur lequel elle s’exerce des heures durant, rêvant timidement d’être une ballerine, parquet sur lequel elle virevolte, glisse, saute, tourne, pique, parquet colophané de l’adolescence quand vient le temps des pointes, le carrelage suranné aussi du vestiaire dans lequel elle envie les histoires des « grandes »,

elle enchaînerait avec les sols dépareillés d’une maison dans l’Yonne, les tommettes rougeâtres aux traces de suie du salon car la cheminée n’est pas loin, le carrelage de la chambre rose, celle où l’on range les meubles de jardin jaune et blanc, le sol en vinyle brun tacheté de blanc des chambres en enfilade, chambres empruntes d’humidité dont il faut attendre plusieurs jours pour se départir de l’odeur, ou plutôt s’en accommoder, linoléum orange de la salle de bains et des toilettes, dont elle n’a jamais trop su si elle aimait vraiment observer les ondulations d’une colonie de fourmis, 

les graviers du jardin dont elle entend encore qu’ils résonnent dans les grilles devant les portes-fenêtre, les graviers qui obligent à se rechausser l’été lorsque l’on revient de la pelouse du fond du jardin vers la maison,

A propos de Christelle Sohy

Maman à la maison qui lit beaucoup et écrit un peu.

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