#L3 | Nous sommes si nombreux dedans

Ils passent si nombreux et disparaissent. N’ouvrez pas plus par pitié. La lumière brutale brûle les fils, elle avale la chlorophylle des ramures. Laissez-moi dans la pénombre, laissez- moi flotter dans le brouillard du feuillage, je ne connais pas les contours, tout se mélange, je me déplace dans les couloirs d’un monde sans lumière/ maintenant et à l’heure/ je devine sa silhouette/ entre toutes les femmes/ dans le miroir piqué / le fruit de mes entrailles/ qui toujours me tarabuste. Je suis une grenade fendue par la pression des graines translucides. Les paroles sont des bulles de vapeur qui montent s’ajouter aux moisissures du plafond, autant de pictogrammes qui viennent piquer les lattes et forment des partitions. Les cousins aux pattes fragiles et gracieuses tremblent et tournent en vrille dans les encoignures, dérangés par leurs arrivées, les ouvertures intempestives de volets, de placards, leurs mouvements bruyants. Il s’échignent, coupent, jettent, grattent, chuchotent, ou articulent trop fort dans mes oreilles. Les ondes résonnent douloureusement/ J’ai fait ce que j’ai pu, ingrat/ ce qu’il reste dans les tiroirs, parmi les cartouches, les pions, les lettres aux adresses disparus, les clés sans porte. Mes clés. Il faut que je retrouve mon trousseau de clés, dans la poche de la robe de chambre, sur le rebord de la table de nuit, et penser à fermer en bas. Ca n’a plus aucune importance, je me laisse porter dans la barque/ Pauvre pêcheur/ je suis un vieille arbre qu’on déplace, on me demande de soulever mes racines, je souffre, je grince, je suis appuyée sur l’avant bras frais d’un jeune homme masqué de noir. Souffler m’intime t’il. J’inspire. Il a le bras tout historié de hiéroglyphes. J’expire, regarde devant, je mets toute ma confiance dans ce jeune homme qui me contraint. Elles me regardent dans leurs cadres ovales et ouvragées. Je ne les aime pas avec leurs mains en croix , je déteste leurs regards penchés et résignés, leurs cheveux rayés, disciplinés. J’ai essayé, J’ai fait ce que j’ai pu pour me conformer mais faites que ça cesse par pitié. Je veux sortir du tableau, je me dissipe. La mouche traverse en zigzagant des volutes dans l’espace, elle se cogne aux vitres, zézaie et se tait brusquement. Je sombre dans mon fauteuil de sommeil.

Nous sommes si nombreux dedans que je ne sais pas qui je suis. Je suis un enfant adopté, je ne leur ressemble pas, je suis le plus grand, j’ai les cheveux jaunes . Je suis tout au bout de ce qui n’a pas de lien avec moi. Ils m’oublient tout embrouillés dans leurs histoires. Je rêve que je file de la laine de verre, que je fabrique des nids de verre où ils se nichent serrés les uns contre les autres. Après je pose des vis sur les plaques de placo. Je visse, je visse, je vrille, je tremble. Ils me regardent avec insistance, toust les espoirs reposent sur mes épaules. Je suis dans un stade et je visse maintenant des crampons. Quand je me réveille, je suis encore abattu. Je ne supporte plus la pression des tirs au but. On a cru trop vite qu’on allait gagné que c’était acquis la demi finale. Ce qui fait le plus de peine, c’est toutes ces tensions entre les familles des joueurs alors qu’il faut juste se serrer les coudes. Toujours des critiques. Avoir le dernier mot. Alors que c’est déjà tellement difficile de trouver un angle d’attaque. Il a fait ce qu’il a pu. Je vais dribler jusqu’au bout de la pelouse. Il y a de plus en plus de montagnes de taupe et les colonies de trèfles grossissent. Il faut que je trouve un endroit pour regarder le match. Il n’y a même pas de wifi ici. Mon poignet est douloureux et mes doigts engourdis résonnent encore des milles vis que j’ai posées. Je veux avoir son assurance pour poser les poutres, couper avec la disqueuse , exactement. Sans lui, il n’y aurait pas de toit, pas de tuyau, de sol, de plafond. C’est concret, indispensable. Je serai charpentier, je pose les fondements, je suis une poutre porteuse. Le vent fait plier la cime des arbres, ça balaye fort et je voudrai monter les voiles et entendre le bruit des clapots contre la quille. Dans la paume de sa main, j’ai vu une grande cicatrice. Les feuilles des aulnes sont déchiquetées et pendent lamentablement. Il y a des coulures noirs sur l’écorce. Je ne parle pas. A la pause de midi, au comptoir nous prenons un verre, je les écoute et je ris. J’aime leurs histoires. La femme du restaurant nous accueille toujours, il fait exprès d’arriver tard pour pouvoir parler tranquillement à la fin du service. Elle m’a prise sous son aile. Je suis un homme, je suis rentré ce soir avec un salaire. J’ai déposé mon pantalon blanc de plâtre et mes chaussures lourdes sur le rebord de la cuisine. Toute la journée je me suis demandé ce que je vais en faire, une folie de choses me tourne dans la tête, des baskets, un skate, un casque mais maintenant sur l’herbe avec le ballon, dans la campagne, j’oublie, je bondis, je suis un ballon qui s’accroche à mon pied, à mon genoux, je rebondis, je compte les passes. Il faut que je trouve un endroit pour voir le match. Ici rien est moderne, tout est passé, d’avant, le parquet craque, les murs sont humides, la peinture s’effrite, je rentre sur la pointe des pieds dans la chambre de l’ancêtre. Je me demande toujours si elle respire, je vérifie que le drap se soulève. Les hirondelles ont fait leurs nid sous le perron.

Je t’ai vu fouillé dans le talus rechercher ton ballon et tu as détalé à mon approche dans le champs. Je t’observe. Tu viens rôder près de la ferme avec ton portable pour chercher de la wifi. Quand est ce qu’ils vont se décider à passer au 21 éme siècle. Il a l’air moins bête que les autres. Alors l’apprenti, raconte moi plutôt ta journée. C’est bien que tu ne traines pas à rien faire. Moi aussi, quand tous les autres prenaient des grands airs avec leurs diplômes. Rendez-vous dans quinze ans. Tu diras à ta mère que ces imbéciles de la DDE ont fini pas reconnaitre que le débordement des eaux, ils vont ouvrir une nouvelle tranchée en amont pour recueillir les eaux usées du lotissement, ça serait bien de veiller au bon état du fossé en enlevant les orties et les plantes qui bouchent les canalisations. Il regarde à côté, comme un lapin pris au piège. La haie de fusain n’est pas taillée, elle explose hirsute. Nous partageons l’odeur de ces fleurs Nous sommes des autodidactes. Il ne demande qu’à filer et doit trouver mes paroles ennuyeuses. On trouve toujours mes paroles pesantes. J’arrive avec ma fourche pour déranger le désordre. Je passe devant eux avec mes bottes et mon tracteur quand ils palabrent indéfiniment. Je me couche quand ils commencent à émerger. Ils me craignent, j’ai le sale rôle. J’ai horreur des terres laissées en friche, des murs qui se délitent, des fenêtres cassées, des partages familiaux idiots. Je n’ai pas peur des papiers administratifs. Je tranche avant que cela ne pourrisse. Je me coltine les longues réunions ennuyeuses au conseil municipal s’il faut en passer par là pour dénouer les nœuds. Je ne laisse pas tomber les choses, je désherbe, j’enlève ces saletés de mauvaises herbes qui bouffent les murs, je ne suis pas mélancolique. Il faut couper pour entretenir. je coupe les rejets, j’empoisonne les souches, j’arrache sans merci car sinon cela fait sauter les joints. Je porte des sacs de ciments lourds, pour réparer les murs. Mes mains sentent les herbes arrachées, le poivre, la menthe. Derrière le lierre, il y a une faune d’ araignées tisseuses, et des nids , dans ma mansuétude et pour ne pas troubler l’ordre du monde, les ai laissé. Regarde bien ce Jean Foutre dans les buissons, c’est le type même du parasite. J’ai eu le temps d’aller trois fois à la déchetterie balancer les gravats, et les branchage. Toujours au même endroit, à guetter dans son terrier de castor. Mais qu’est ce qu’il peut faire dans les fourrées. Mais qu’est ce qu’il fait de ses journées.

Je suis la régisseuse d’un théâtre arrêté. Je les entends bourdonner. Ils résonnent en écho alors que le vent s’engouffre dans l’escalier. Je m’arrête au bord de la rampe, aux aguets. Le piaillement d’une hirondelle sur le rebord de la fenêtre, elle gonfle son cou . Le petit duvet s’effiloche au vent. L’oreille du chat dépasse du cadre de la porte. Je suis détournée de ma course première. Un court circuit permanent. Le lieu n’attend, le lieu dans le sac en plastique, rétif à être emballé. On ne met pas impunément un poisson dans une poche. Il dépasse et sort tout rigide. Son dos a la couleur du large, une gelée visqueuse suppure de ses entrailles. Je ne veux pas qu’on le décapite. Ses grosse lèvres sont ouverte comme un triton. Je ne veux qu’on l’écharpe en filet, qu’on le découpe en tranche. Les mains sûres du poissonnier avec son couteau quand il a fendu l’arrête centrale du carrelet et lui a ouvert le dos comme on ouvre un sac. Ses yeux continuent à me regarder silencieusement. La marmite longue de la poisssonière ressemble a un cercueil et le couvercle à un bouclier. Placer la bête sur la passoire, et l’immerger, mais peut on parler d’une bête pour un poisson . Cuire au court bouillon. Formule évidente mais obscure . Eplucher carottes oignons. Ses mains d’écailleuse, courtes et noueuses quant elle ouvrait les coquilles, sans façon, arrachant les viscères pour ne garder que la chair blanche tremblante. J’ai vu leur passage rapide devant la fenêtre et je n’ai plus de tête. Je fais partie de cette espèce sans tête. Ils rentrent et j’oublie la suite du programme tout à leur répondre, paroles de saison, depuis quand je suis arrivée, jusqu’à quand je vais rester, qui est dans la maison, il doit y avoir une maison pleine, non personne, enfin nous. Je n’aime pas faire rentrer le temps dans les vacances, il les étrangle. Des feuilles de lauriers. les palmes académiques. J’épluche les pommes de terre, il crachine de nouveau et le linge que je viens d’étendre dehors à rentrer. Beaucoup plus d’épluchures que de légumes, mes doigts sont si terreux que je refabrique une pomme de terre avec la chaire mise à nue. Sur le papier du Télégramme, une jeune femme a enlevé un enfant en jetant un liquide corrosif sur la vraie mère, on a retrouvé l’enfant, et la voilà l’histoire de Salomon dans la tête qui fait son chemin. Bagarre terrible et la poupée se casse. Quelques minutes d’inattention. Je me suis absentée, en le laissant dans sa boite de verre. L’infirmière affolée. Ne laissez jamais votre enfant seul, on ne sais pas ce qu’il peut arriver, tout le monde rentre comme dans un moulin, les portes volent au vent, ils vont d’ailleurs fermer la maternité, elle n’est plus aux normes. Plus aux normes. Je passe de pièce en pièce, j’ouvre les fenêtres pour laisser passer la lumière, sortir l’humidité. Je sursaute en voyant une silhouette dans le miroir de l’armoire, la robe de chambre en nid d’abeille sur un cintre comme une mue déposée sur la porte.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.

4 commentaires à propos de “#L3 | Nous sommes si nombreux dedans”

  1. J’aime beaucoup les fils de pensées qui suivent leur cours avec les associations spontanées… et puis dire sans dire, suggérer… il y a plein de pistes…

    Très jolie trouvaille : « je suis une poutre porteuse » 😉

    • Merci Ysa-Lou pour votre lecture. Cela me permet de voir ce qui fait écho, ce qui peut trouver un chemin.

    • Le premier narrateur rentre en résonnance avec la litanie que tu as écrite sur la proposition de Tarkos. Merci ton ressenti .