#40 jours #01 | feuille à feuille

Le sol de béton peint en gris tremble sous les pieds. La machine a pris son rythme, les feuilles arrivent dans la lumière bleutée avec le « tac-tac-tac » des roues du wagon lancé entre deux gares. Les tirages filent sur leur souffle jusqu’aux taquets qui les stoppent et leur permettent de s’empiler précisément les uns sur les autres. On est face à un train, la machine nous dépasse, elle s’anime, elle gronde, elle respire, elle frémit, elle diffuse une odeur bien à elle. À vingt mètres, de l’autre côté des marches donnant accès aux six bacs à encre installés au-dessus des rouleaux qui entrainent les plaques gravées, une haute palette de feuille blanche. Et ici, à l’arrivée, déjà presque un livre, des planches imprimées de seize pages chacune disposées pour être pliées, cousues, collées, massicotées, emballées. À côté de la machine, la console de l’opérateur et des palettes de papier, empilées, filmées, étiquetées, encore vierges ou déjà imprimées. Du papier jusqu’au plafond du hangar, jusqu’aux tuyaux d’aération, d’extraction, de ventilation. Parfois un oiseau rentre. Il vient du dehors, des arbres et de la rivière qui coule à côté. Si l’oiseau vient de la petite ville toute proche, il n’y sera pas resté longtemps, il n’y aura pas fait son nid. Oiseau, on préfère les grandes forêts qui habillent les monts tout autour, les vaches qui sortent au printemps et rentrent l’automne pour laisser la place au blanc de la neige et au tumulte des skieurs. En hiver, les skieurs viennent par la route, les routes viennent de partout, mais surtout des endroits où il n’y a pas de montagnes pour skier, des endroits où il y a des villes, des endroits où c’est plat, des endroits où il y a la mer, parfois même, les skieurs viennent d’autres pays, de ces endroits où l’on va pour faire des photos ou pour écrire des textes que l’on fera imprimer sur des feuilles de papier dans la petite imprimerie. Histoire d’en faire des livres

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

10 commentaires à propos de “#40 jours #01 | feuille à feuille”

  1. Bonjour Juliette,
    Sourire quand ton regard d’ entomologiste un peu moqueuse dézoome d’un coup !

    • Et quand elle se met à manger du papier cette grosse bête, c’est encore plus impressionnant. A l’écrit, le bruit manque…
      Merci pour l’entomologiste, ça me rassure, l’image fonctionne bien comme prévu 😉

  2. D’où partent les routes ? C’est vrai, ça !
    Ta description de la machine à imprimer – je dis machine c’est une autre dimension qu’une imprimante ordinaire, se savoure. Tu sembles pister un animal vivant.
    Bonne journée dans les feuilles de toutes sortes 😉

    • Partir, revenir et tout ça sur la même route, de quoi tourner en rond, voire en bourrique !
      Et oui, là on est vraiment DANS la machine, plus d’images sur le site dès que je prends le temps de m’en occuper …

  3. Merci Fil, c’est une variante du zoom normal, le zoom arrière tournant, digne des figures de saut à ski. On en fait des acrobaties dans cet atelier d’écriture !