#40 jours #11 | il n’y a toujours qu’une réalité*

P. se déplaçait dans le quartier depuis longtemps. Il en connaissait les moindres écorchures, les moindres anfractuosités, les moindres frilosités. Il aurait pu s’y déplacer les yeux bandés. Ce matin, en montant sur le trottoir il sentit le sol se dérober légèrement. Très légèrement. Il éprouva alors comme une inquiétude. Il devint particulièrement attentif à chacun de ses pas. Il respirait du bout du nez, l’oreille aux aguets, le pied précautionneux. Le trottoir l’attendait, sourire en coin. Il avait subi un peeling et s’apprêtait à faire peau neuve. La rangée de maisons mitoyennes en brique, retenait son souffle. D’un coup d’œil rapide, P. évalua la situation. Il lui semblait que la salve des cinq marches d’escalier habituellement exposée devant chaque porte avait été retirée. Plus de panneaux défense de stationner, plus de persiennes aux fenêtres mais des barreaux en fer forgé à celles du rez-de- chaussée, les portes bleues – elles étaient vert-anglais. Pourtant les pavés, pourtant les bowwindows de la maison à mi-parcours de la rue et de celle d’en face, pourtant la symétrie parfaite de part et d’autre de ces maisons. Je me suis trompé de rue se dit-il incrédule. Il  fit demi-tour et alla vérifier le nom de la rue. Il descendit du trottoir pour prendre un peu de recul et faciliter la lecture.  Taguée, la plaque en métal émaillé était recouverte d’un gribouillis de peinture qui la  rendait impossible à lire.

* Haruki Murakami - 1Q84

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.

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