#40 jours #22 | Gymnaze

Figure 52 – Gymnase mis à nu – Géoportail, photo aérienne 1957 et photo aérienne 2018 en miroir – copies d’écran et photomontage 10/07/2022

Sauveterre, complexe omnisports Chat-Locussol, gymnase municipal, année scolaire 1993-1994 — En sport avec le père Naud. Le gymnase coupé en deux par un grand rideau. Les tapis au sol, les barres parallèles, le cheval d’Arçons avec tremplin, la barre fixe, la corde (pour le plaisir du prof). Potut saute pour attraper la barre. Une fois, deux fois, trois, quatre. On l’aide, on lui fait la courte échelle. À trois, quatre, cinq. On le pousse jusqu’à ce qu’il soit en mesure de se hisser sur la barre et de se maintenir en équilibre instable légèrement vers l’avant. Ses bras ne tiennent pas, se replient. Mais son ventre résiste en avalant la barre.

Sur le banc, les béquilles à côté, qui finiront au sol en claquant et on se retournera, en attendant elle regarde les autres jouer, les passes, les esquives, quand ça siffle, les sauts, l’arrêt, les garçons qui passent, la ligne mordue, le poteau, quand ça crie, l’interception, la porte qui claque dans les vestiaires, la ligne blanche, et la jaune et la bleue, le sprint, quand ça couine, les gars, chasubles en mode jupe, le ballon dans tes pieds, le parquet vert foncé, le claquement sur la vitre, l’oiseau tout en haut.

Quand la lumière du gymnase s’accentue, que dehors la nuit tombe, le ciel se couvre, le vent se lève, l’orage gronde, la pluie s’abat sur la structure métallique ébranlée, la grêle peut-être, des trombes assourdissantes.

Piste — ‘ttention ! le disque noir au-dessus de la tête de Fred, la plongée au sol, la chute sur les côtes et le claquement du disque sur le panneau publicitaire MAROC ELECTRICITE.

Séance de lutte. Combats acharnés entre adversaires de gabarits à peu près équivalents. Les claques sur les bras, les épaules, le dos. Les peaux étirées, pincées, griffées. Un cri. Les coups de genoux, les croque-en-jambes involontaires (ou pas). La cheville tordue. Muscles tétanisés. Le tapis qui claque. Les corps enlacés, entortillés, dos en vrille, torsade de la nuque, clef de bras. Un cri. La sueur, ça glisse. Le filet de bave. On ressort le corps et la tête en feu, étourdi. Juste une minute.

C’était l’entrée du stade et du terrain de tennis. Un chemin blanc au coin de la rue. À la fin de l’année, l’entrée aura été condamnée, déplacée plus loin au niveau des tribunes. Dans le coin, on aura terrassé, posé l’ossature de briques, installé l’armature d’acier, coulé la semelle de béton, édifié les murs porteurs. L’herbe aura poussé sur le monticule de terre.

Stade — Pour une fois, l’équipe du Bochum de Saint-Ciers-Champagne joue sur le grand stade. C’est rare pour une équipe de quatrième division de district. Il n’y a personne dans les gradins. Quelques personnes derrière les barrières. Ça joue. Ça passe. Derrière. Derrière. Derrière. Corner. La tête ratée. Les passements de jambe sans ballon. Le tir foireux. Si ça gagne pas ça débarrasse ! La série de dribbles, le gardien dans les pieds, la passe royale de justesse, le tir au pied carré à deux mètres des cages. Plus c’est haut plus c’est beau ! Les remplaçants le long de la touche s’échauffent en courant, en s’envoyant un ballon. D’autres sur le banc de touche. Il y en a un la tête contre le plexi et dans le maillot, il finit sa nuit.

Quand la nuit on passe par le trou dans la clôture au coin du stade, et par-dessus la grille de la piscine, on se met tout nu, les vêtements au pied des gradins, on se glisse dans l’eau chaude, on fait une petite course, on se chamaille la tête sous l’eau, on saute au plongeoir.

Lundi 14 mars 2022 — Entrée par derrière. Oups ! La porte des vestiaires grande ouverte, les filles en culotte. En face le gymnase. Des parents derrière la porte. Pardon ! Les jeunes assis le long du mur, de chaque côté. Les sacs en vrac, les vestes, les sweats, les manteaux par-dessus, au sol. Ça va, ça vient. Les raquettes sifflent, les volants fusent. Allez on y va ! La queue pour le mur d’escalade. Les cordes qui pendent, les cordes tendues, corps en arrière. Tiens… ! — Elle est où ? Les dernières prises. Des grosses, des petites. Rose, vert, bleu, orange, violet, jaune, rouge, noir, gris, tout informe. Le passage en surplomb. Le pied qui glisse. Le prof assure la descente. J’te ramène ? Ça chahute dans les gradins.

Parfois rien. La séance c’est au gymnase du SIVOM. Endurance. C’est Potut qui va être content.

Stade — Le terrain est encore gelé. Une séance de rugby en survêtement, avec le manteau, certains le bonnet, les gants. Dans les zones d’ombre, près des gradins, les plaques de verglas, on évite. Les mêlées systématiquement écroulées, on abandonne. Dans les regroupements on se tire par le manteau, on se baisse le pantalon, on s’attrape par la nuque, les coups dans les reins, la chute collective, piétinements. Le ballon le plus souvent au sol. La course en jouant au pied. Le contre-pied. L’en-avant. La passe pour personne. La touche de travers. L’interception, la course à deux, la plongée dans les pieds, la cheville manquée. L’essai (le seul). La transformation et le ballon sur la route, avenue des Poilus.

Un téléphone qui résonne dans tout l’édifice vide, tôt le matin.

En 2014, on a effectué des travaux de rénovation des vestiaires et mise en conformité du gymnase municipal, en particulier les gradins des tribunes modulaires en bois, structure en lamellé-collé. Chantier interdit au public.

Quand deux jeunes lycéens emportent des chasubles supplémentaires en longeant les murs, en observant les filles jouer au hand. Ben qu’est-ce qui s’est passé ? — Une entorse la semaine dernière. Le genou a vrillé après un saut. Une chasuble crochète les béquilles de celle qui est assise sur le banc. Elles tombent dans un bruit de métal coupant.

Au milieu du gymnase, on a installé des rangées de chaises d’écoliers face à un parterre de tapis, de gros matelas au fond et au-dessus un trapèze pendu à un bras en métal. Les parents s’installent, les plus jeunes devant, assis sur des tapis. Sur la gauche le long du mur, des dizaines d’élèves en tenu de sport. Les enseignants à une table, un ordinateur portable, une grosse enceinte à leurs pieds, un petit projecteur, un écran sur pied. Une jeune en tenue de maître de cérémonie s’avance. Mesdames et Messieurs bonsoir ! Pour vous présenter le bilan de la section sportive les élèves du sont heureux de vous… présenter le spectacle qu’ils ont créé. Et pour commencer, Jeanne et Méline pour un exercice de cirque magie ! Et les élèves se relaient pour un spectacle de jonglage, d’apparition disparition et dédoublement derrière un panneau, de roulades et roues, de danse en équilibre instable, de course sur une grosse boule, de planche sur un cylindre horizontal sur un autre vertical, de monocycle, une fois, deux fois, trois fois, etc., et se relaient pour présenter et expliquer les activités sportives de l’année, les sorties pour des épreuves académiques, pour les France, et féliciter et l’un, et l’une, et l’autre, et merci, etc., pour annoncer les spectacles d’untel et unetelle, les exposés de tennis de table, de badminton, de run and bike, badten, sport partagé, etc., et combler le vide avec des anecdotes sur les profs, surtout le raid pour les France à l’île de la Réunion, avec l’avion pris de justesse, la boîte de nuit en plein air à côté du camping, etc. On termine après quelques heures avec deux jeunes pour une danse aérienne au trapèze, tantôt symétriques, tantôt en asymétrie, l’une à l’horizontale sur le barreau, bras tendus en arrière, le corps fixe, la tête droite fixant le sol, l’autre au-dessus à la verticale, bras enroulés dans les cordes, jambes en l’air les pieds accrochés on ne sait comment, la tête en bas redressée.

Aujourd’hui rien. Lancer de poids et javelot au SIVOM. En sortant, on croise les petits de l’école primaire en rang par deux, main dans la main, sur le passage piéton.

Vestiaires — L’odeur de sueur et de renfermé. Les douches, la vapeur. L’imposte ouverte. Le courant d’air glacé. Les sacs éventrés. Les vêtements qui pendent, en tas sur les sacs, sur le banc. Un manteau par terre. Les coups de torchon avec les serviettes. Un caleçon mouillé. Les tennis crottés, les grandes chaussettes vertes en boule. La moiteur. Ça charrie, ça se bouscule. Le gel douche renversé. Les coups de peigne dans les cheveux devant le mur. La bombe déo. Le t-shirt qu’on cherche partout. La clope roulée d’une seule main. Les traces de pas, de terre, sur les carreaux gris clair. Les traces de pieds mouillés. La main aux fesses. La boule de mousse dans la figure. Le coup de torchon qui cingle. La buée sur les vitres. L’écoulement de l’eau savonneuse sur le sol en ciment, la flaque au niveau de la grille du siphon. La porte qui claque.

Le soir, garé en épi dans la voiture qui tourne, avec le chauffage. La nuit tombe. Les phares dans le rétro, les feux rouges. Des voitures font marche arrière, d’autres s’arrêtent. Il y a des coups d’accélérateurs. Les jeunes sortent du gymnase un à un ou par petits groupes. Des portières claquent. On attend le long du muret, sous l’ombrière, sac au pied ou sur le dos. On traverse la route. On discute les vitres ouvertes. Ça klaxonne.

Rien. C’est les vacances. C’est la fraîcheur du soir qui tombe. C’est la structure qui se dilate, qui craque. C’est l’hirondelle qui cherche à sortir.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

8 commentaires à propos de “#40 jours #22 | Gymnaze”

    • Merci Danielle. On en est tous un peu là, je crois, à essayer de tirer le portrait de la vie, par petits traits.

    • Même pas fait exprès, même pas fait attention, même pas pensé à dire « je ». Si on ne me l’avait pas dit, je n’aurais rien vu. Merci Patrick.

  1. Tellement vivant et proche du corps des sportifs avec toutes ces virgules et ces phrases courtes,il court le texte, il stoppe repars, drible presque. Çà fonctionne tellement que ça donnerait presque envie de pousser à fond le procéder, ne rien contextualiser, juste garder les mouvement des corps, les sensations, les sons, les paroles

    • Ne pas hésiter, Line, à construire ce texte qui se tient là en puissance, à coups de cut-up en couper-coller, et d’en faire un bloc-paragraphe (avant que je m’approprie l’idée). — Je n’avais pas fait attention qu’il y avait autant de sportifs. C’est mon imaginaire, ou celui de la lectrice qui transpire sur ce point ? — Merci Line.