#40jours #24 | le monde tchang

Le petit restaurant descend la rue le long de la ligne 5 et du RER B, on se croirait place de clichy tellement ça circule en vrac, des rondes et des majeures, pleins détours sur le terre-plein, les feins crissent, « le monde tchang » en allumade, nom tibétain, tous les clients sont chinois, on s’installe à l’intérieur, attache tes jambes au rebord de la table, on se laisse glisser le long des voies, le haut-parleur des rues fait sursauter le bol, soupe aux nouilles orange, la couleur du jus, ocre, algues marines, petites cuillères en porcelaine plongées dans la pâte, avec tous les bruits autour on peut pas trouver mieux, surtout dans la canicule des rafraîchisseurs d’air, vrombissent dans les odeurs de riz, tournesol des odeurs à l’heure de pointe, on aime s’y rendre le jour quand le bruit bat son plein, les cris des cuisiniers qui s’engueulent au passage, crissement des freins parce qu’on est juste en face, pouffement du train crisse et s’arrête, les portails mécaniques, frappe, petite frappe, les cicatrices sur les peaux mates, cicatrice aux plis des rouleaux, ta langue, le chèvrefeuille alors que ce n’est qu’une laitue, les balles de soie roulent sous le bus, ce vert-là c’est pas naturel, avale une fois que tu, la soupe a giclé rouge, ça secoue dans les jambes on se rapproche, on se colle à sept autour d’une table, le restaurant s’agite et glisse dans la ruelle, des aboiements petit roquet ça nous fait rire, les sourcils de la dame, encastre-moi regarde un peu, notre folie dans la sueur anniversaire, entre tes mains le petit bol devient une bulle de Bédé, toute la table a basculé, un pied de chaise sur la fête, déforme les rebords de la vignette, t’en pense quoi, j’entends plus rien, les petits verres d’absinthe partagé sur les rails, tous les wagons se croisent et je tombe dans ton cou, la joie vélomoteur, mes jambes agrippées à tes rires, soudain l’effritement, le dentiste d’à côté n’a plus assez de jus, alimenter ses prises, il a branché l’espèce, a branché l’énorme, les fraises faut qu’ça gicle, géant générateur, fait vibrer toutes les parois, les mâchoires les tableaux les kitsch, les vitres du quartier, le bateau tangue à s’en déglingue, une marmelade les roues du bus, le transistor et les wagons, soufflent crissent et s’électrisent, un temps d’orage à la télé, le bruit de tchang passe plus vite, et tombe dans le cou.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...