#40 jours # 25 | partir

six juillet

il y aurait le jour de son départ – il a bien fallu qu’il s’en aille – puis le déménagement vers chez Djé (J) c’est à quoi, cent mètres ? Sur la rue ? En direction du Kram ? Probablement (quoi qu’il puisse en être, ce sont des actions qui n’existent que par défaut) ça a dû exister le doute n’est pas permis jamais ça revient à lister comme d’habitude – la liste des courses à faire au marché pour le ceviche de ce soir – parfois je suis fatigué je prends un livre (Mustapha Kemal écrit par un russe blanc et diplomate bourré de présupposés mais le livre agréable à lire parce qu’il a une belle main) (ça compte aussi) (ou alors Un bel été dans une édition numérotée rouge sang) – je préférerais oublier mais ça reste là – ou encore le moment où d’autres ont emménagé (ça devait être des Arabes, ou des Libanais, quelque chose, des ambassadeurs des clercs des chargés de mission des attachés culturels – deux enfants une femme en robe fleurs légères de couleurs passées et pastelles) – puis ces gens qui errent sur la rue qui a débouché sur une quatre voies qui va directement en ville – sans plus passer par la route de l’aéroport où stationnaient les auto-mitrailleuses derrière les sacs de sable les chicanes les soldats en tenue casquées sous le soleil – les choses ont changé – on allait chez P et M., on disait comme ça, au Belvédère – pour l’autre part de la famille ça n’a plus d’importance, il y a quelque chose de tellement heureux de se détacher de ces obligations de politesse de coudes à ne pas poser sur la table des obligations à se vêtir à se tenir (se tenir oui) bien propre sur soi à table comme il faut – le goût des gros mots vient de là – l’une de ses amies (à elle) qui portait le même prénom qu’elle (ce prénom suivi d’un 2 que portait la maison, celle-là même, là sur l’avenue, dont on a refait les trottoirs pour en faire des vrais comme en métropole (ça n’existe plus) dont on peint les arêtes à la chaux ou dont on fait alterner le rouge et le blanc pour en interdire le stationnement – il y avait une de ses amies, photographe, qui avait marié un type marrant qui ne cessait de dire « ce cornard ! cette pute ! cette garce ! ah celui-là quel salaud ! cette salope ! cet enculé !» en parlant de ses contemporains, et qui faisait tellement rire photographe lui aussi – je confonds avec une autre amie d’elle, au même prénom encore, qui avait le même nom que le nom de jeune fille de ma grand-mère maternelle, B. – une femme forte et rieuse aussi installée elle à Nice (les pans bagnats qu’on avait mangés du côté de chez elle, une année (six un), allant lui rendre visite, et le dégoût qu’il y avait à manger ce genre de nourriture trop mouillée – alors qu’on avait une habitude certaine des sandwichs dits tunisiens à présent mais qui n’avaient pas cette qualification) (pour cette ville-là je préfère oublier j’aime mieux ne pas penser à ses milliers de cameras de « surveillance » installées par son maire qui ne vaut vraiment pas mieux que le précédent, outils qui n’ont pas empêché cet abruti qu’il soit maudit un jour de fête nationale j’aime mieux oublier) (j’aime mieux oublier aussi cette image-là

(c) Eric Gaillard Reuters

) – il a bien fallu tout autant qu’elles s’en aillent – leur maison à eux deux maintenant à l’ombre de grands arbres (il n’y avait ni arbres ni feu de circulation il n’y avait que peu d’autos il n’y avait pas de limitation de vitesse) cette maison qui ici voit stationner quelques personnes une belle et grande femme cheveux courts en robe légère, un type à la peau matte portant chapeau de carton imitant la paille au ruban bleu, deux jeunes filles l’une brune l’autre blonde, adorables puis adorable tout autant une autre plus jeune, qui regardent à travers la grille de fer forgé (« c’est là ? ») peinte de bleu clair, qui sourient à cette maison chaulée par le peintre Filipo, qui sifflote, les persiennes de l’étage posées sur des tréteaux, l’échelle posée contre le mur, mais non, il n’y a plus personne, il n’y a personne pour ouvrir pour répondre – les voilà qui remontent en voiture (une berlingo de chez peugeot dans des tons indéfinissables) (une voiture de location sûrement) et qui s’en vont vers Sidi Bou Saïd boire un jus de fraise ou qui vont aller tremper des croquants dans du sirop d’orgeat – comme avant comme là-bas – ça n’en finirait pas – on attendra on commentera on partira

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

3 commentaires à propos de “#40 jours # 25 | partir”

  1. Tu écris : « je préférerai oublier mais ça reste là »
    et c’est ce qui me reste à la fin
    intéressant comment on se rejoint, quelle que soit l’histoire
    merci Piero

  2. Trace de rouge et de blanc au bord d’un trottoir. ( ça n’existe plus) Un sandwich trop mouillé ( on s’en souvient ) et des caméras dans une ville (on préfère oublier) . La famille . L’homme qui jure. Les villes. Les pays ( comme avant comme là-bas ) Et partir avec les traces dans la mémoire