#40 jours #30 | Amibes sensitives

© J. POLLOCK

Dans votre nuit renversée, je me perds parfois.  Vous me réservez une petite place, cela vous demande de l’effort, et je sais comment m’y loger.  Je gratte à votre mur de détresse, je parcours votre lunaire agonie et je m’assois dans un des creux de vos soupirs.  Quand des larmes tombent, j’empoigne la fraîcheur de votre peau et je lèche leur saveur lactée, après leur passage.  Il m’arrive aussi de m’assoupir d’aise.  Je vous comprends.  Vous aimez la solitude, mais vous ne cachez jamais la clé.  Au fond de votre cosmos, vous m’attendez.  Vous fermez les yeux, m’invitant à une exploration intime sur vos longs cils perlés.  Ils me font penser aux cheveux d’ange, vermicelles japonaises vaporisées de menthe douce.  De longs fils de tulle que j’enroule autour de ma taille, un cocon avant la traversée.  Ensuite, j’avance en terrain conquis.  Vous m’offrez les outils pour lire vos hiéroglyphes.  Le goût du sacré, vous connaissez.  Vous m’inventez parfois de nouveaux rites de passage, vous contournez même régulièrement vos propres règles.  Mais toujours, vous laissez votre porte ouverte.  Ainsi, je peux revenir à vous.  Je ne me sens jamais étranger à votre caverne merveilleuse.  Même dans la douleur fragile de vos attentes, même dans le froid des ecchymoses, je continuerai.  Je me souviendrai.  Je resterai là.

Authentiques cheveux humains.  Approchez, approchez donc !  Je vous le promets : ce ne sont pas des faux.  Il a fallu que je me renseigne pour savoir comment les conserver sans dénaturer leurs propriétés initiales.  C’est que ça pourrit vite, ces machins-là !  Ils s’assèchent, s’engraissent et commencent très vite à diffuser une odeur désagréable de brûlé caramélisé.  Non, je ne peux pas la qualifier autrement !  Saviez-vous que des petites créatures pouilleuses, blanchâtres et huileuses pouvaient parfois séjourner dans cette jungle capillaire et y pondre des œufs ?  Parfaitement, Madame !  C’est écœurant, peut-être bien ; pourtant, chez les enfants humains, avoir des cheveux logeant des poux était très banal, au point où des produits ont été inventés pour chasser les bestioles !  Et hop, une remise à neuf !  Comme nos cartes I-D.  Je vous assure que tout cela est vrai. Vous voulez toucher ?  Mais non, vous ne risquez rien !  Ils sont purs, mes cheveux !  Enfin, ces cheveux.  Tout ce qu’il y a de plus morts, et pourtant, comme je vous l’expliquais, je suis arrivé à retrouver leur fraîcheur d’origine, à remonter à l’essence même du cheveu humain.  Comme s’ils étaient encore connectés au crâne, exactement.  Comment ?  Eh bien, je suis un peu magicien, à mes heures perdues.  J’imagine que vous pouvez me voir ainsi.  Allez-y, palpez-moi ça !  Jouissif, n’est-il pas ?  Je vous en vends bon prix.  Vous pourrez vous vanter de posséder l’un des derniers spécimens de la galaxie.  Ça fera fureur à votre prochain diner interstellaire !

Et si tu glisses dans l’eau…  Peut-être y trouveras-tu la perle de l’océan.  Il y a une technique pour fendre les flots ; elle n’est pas adressée au premier venu, car les gens ne prennent plus le temps de s’arrêter.  Leur innocence, bien souvent, s’est égarée.  Toi, tu es spéciale.  Et donc, déjà, tu écoutes les consignes de l’eau.  Tu dois donner l’impression que l’eau fait déjà partie de toi.  D’abord, tu patauges gaiement, tu retrouves ton enfant intérieur – normalement, tu ne devras pas chercher longtemps ; il suffit d’aller encore plus avant dans l’écoute.  Ensuite, tu prends contact avec la lame de la vague, à l’instar du surfeur sous-estimé qui dort en toi.  Tu distingues les flots de la terre ferme.  Tu oublies la terre, elle fait déjà partie d’un monde étranger.  Tu souris car l’eau commence à te pénétrer.  Chaque cellule de ton corps s’en imbibe et infuse, devient empreinte de ce nouveau contact aquatique.  Tu ne le sais pas encore, mais c’est bientôt une nouvelle réalité qui t’est offerte.  Ton âme le comprend : tu étais née pour être poisson.  Déjà, ta peau réclame le mouvement, le besoin de t’immerger totalement.  Sans demi-mesure.  Tu n’as plus de tête ni de pieds, d’avant ou d’arrière, tu glisses dans l’eau, fier de ta puissance aérodynamique, et plus rien d’autre n’existe désormais que la sensation même de la jouissance.  C’est miraculeux.  Et si facile…   En vérité, tu voles.