#40jours #38 | à Christine

Sorti du cinéma.  Le dernier Ozon.  Une femme m’aborde dans le métro, visiblement sans le sou à la manière dont elle se comporte, dont elle parle si librement, sans contrainte.  Elle marche en claudiquant, s’appuyant sur une béquille, elle tient fermement son sac à dos et s’approche de moi.  La déviation du bus en raison de la fête nationale.  Ça l’agace.  Ai-je une information supplémentaire à ce sujet ?  Non, je ne peux pas l’aider.  Je devrais peut-être faire quelques pas le long du quai, faire mine que je suis occupé, histoire d’écourter la conversation.  Elle va certainement me demander quelque chose, et je sais qu’avec ce genre de contact, tout est une question de dosage : le temps consacré à soutenir le regard, le temps à rester près de la personne, à l’écouter présenter sa situation, s’humilier et cracher finalement le morceau.  Il lui faut de l’argent.  Elle fera certainement de même, elle aussi, mais quelque chose me retient dans ma prudence.  Je ne dose pas.  Je reste.  Malgré l’habituelle légère pointe de malaise qui commence à s’installer, dès que j’identifie le statut (le rôle ?) de la personne et son besoin véritable.  Je reste.  Cette femme est différente.  Elle me montre ses deux bras.  Une impressionnante collection de bracelets et macramés y trône, des deux côtés.  « C’est moi qui les ai faits », dit-elle simplement.  S’il y a de la fierté dans sa voix, elle n’en laisse rien paraître.  On s’assoit naturellement, en symbiose, on se tutoie.  « Je veux t’en donner un », elle rajoute.  Dois-je accepter ?  Je m’enthousiasme pour ses créations, leurs richesses, leurs couleurs.  Elle les étale sur la banquette du métro.  Je sais qu’on nous regarde.  Je lui dis que son geste, purement gratuit, est magnifique car rare.  Je suis touché, et elle le voit.  Elle salue mon empathie.  Et sans rien me demander en retour, je comprends.  Elle m’accroche au bras le bracelet que j’ai choisi, un liseré rose, bleu et mauve.  Elle peine à en faire un nœud, mais ça nous permet de prolonger le contact.  Je ne sais toujours pas qui elle est.  Je n’arrive toujours pas à déterminer ce qu’elle veut.  Quelle sera la suite ?  Légère boule au ventre, même si je souhaite privilégier la magie, purement cinématographique, du moment.  Je veux montrer que je reste sincère.  Où est la frontière ?  Elle parle encore un peu, de sa méchante chute, la laissant édentée avec égratignures aux coudes et une bosse à l’arcade sourcilière.  Elle aborde vaguement sa sœur et un trajet foireux en Gare du Midi, on l’a tabassée.  Puis prend congé de moi.  On se sourit.  Et c’est tout.  Et c’est beaucoup.

2 commentaires à propos de “#40jours #38 | à Christine”

  1. ça me plaît bien cette façon d’aborder la frontière, dans le rapport à l’autre. Récit très subtil de cette rencontre.