# 40 Jours # 38 | Trois pays

61 l’année suivante
il y a une rime qui me plaît, fausse sans doute parce qu’elle n’est qu’au dire, pauvre peut-être pas, tout dépend de l’accent qui fait « qu’on soit Mozart ou John Coltrane/ C’est toujours le même blues qu’on traîne » – il n’y avait pourtant pas de ce genre de sentiment (le fameux de Baudelaire, celle des Portugais – Amalia ou Antonio – ou le seum d’aujourd’hui) on allait vers la Suisse pour en revenir bientôt (on y serait un mois quand même), c’est sans souvenir de ce passage, mais c’est dans cet appartement qui dominait le lac, il y avait là deux balcons, sur l’un était mon grand-père (je n’en ai connu qu’un) et je me tenais (non, ce n’était pas moi) sur l’autre pour prendre la photo, il ne souriait pas, il était assez chauve un homme de soixante-quinze ans des cheveux épars et blancs en costume foncé trois pièces la main posée sur la rambarde, le fer forgé, il portait des lunettes et derrière lui la perspective du quai – son fils aîné (je ne crois pas qu’il soit l’aîné de la fratrie, mais du genre oui) faisait des affaires (contrairement à d’autres paroles de chanson qui font « j’ai perdu le sens de l’humour depuis que j’ai le sens des affaires ») et s’amusait aussi, prenait une nouvelle épouse si j’ai bien compris (tout ça est flou), conduisait une Cadillac blanche décapotable intérieur cuir rouge dans les mêmes tons que le paquet de cigarettes qu’on pouvait trouver dans le vide poche devant la place du mort – ses deux chiens dalmatiens, Alix et Adémar, sa banque suisse, son affaire d’immobilier en montagne – ce fils avait en un sens réussi – et de retour dans la quatre-cent-trois bleu nuit l’arrêt intimé par la douane volante, nous autres du côté de Lons-le-Saulnier (ça n’existe pas, des noms compliqués de cette sorte) ou de Bourg-en-Bresse, la fouille, la lampe en cuivre achetée quelque part, on parle la langue, on s’explique on produit la facture, le salut du fonctionnaire, la route et la nuit, et cette espèce de joie indicible et grave qu’on ressent de connaître déjà, à huit ans, trois pays différents

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

6 commentaires à propos de “# 40 Jours # 38 | Trois pays”

  1. « cet appartement qui dominait le lac »
    « Cadillac blanche décapotable intérieur cuir rouge dans les mêmes tons que le paquet de cigarettes qu’on pouvait trouver dans le vide poche devant la place du mort »
    « Alix et Adémar »
    « joie indicible et grave »
    Merci

  2. Quelle belle ballade, fondue enchaînée nostalgique, et vraie joie d’enfant « indicible et grave », superbe.

  3. J’aime beaucoup ces ballades dans le passé : les objets, les personnages, l’amosphère, les couleurs. On dirait que la mémoire y dépose un voile et nous donne à voir à travers lui.

  4. Et bien, j’ai lu 5 lignes…et je viens d’y passer deux heures extra, gràce à « La » ? au lieu de « le » Fado, c’est la Saudade ? et cet Antonio ? Antonio Zambujo ? Não sei! mais j’ai écouté Amalia et Antonio, et dans mes recherches, ai trouvé un blog de Dominique Mathis avec un grand article sur le fado. Alors, je continuerai ton « Trois pays » tout à l’heure. Merci Piero.

  5. ça me plaît beaucoup cette valse d’antan, les souvenirs de biais qui grincent, et puis le vrai du dire qui transparaît là-dessous, la chanson fait du bien, « fais comme si c’était pas grave », écrire comme ça, à l’arrache, faire comme si c’était pas grave.
    Merci grand Piéro, et pour toute la force transmise, ça fait vraiment chouette dans l’coeur