#40 jours #6 | La carte Vermeer d’Œdipe à Colone

CARTE : Première image: Vermeer. Présence des cartes (plus ou moins ténue) des tableaux de Vermeer. Cartes qui remontent de ta mémoire. Flou. Chercher le livre dans la bibliothèque, relire au passage le texte préface (phénoménal) de Gilles Aillaud. Ouvrir le livre au hasard: un homme avec un grand chapeau noir, de trois quart dos et cette jeune fille qui lui fait face et rit; en fond, suspendue sur le mur (magistrale et mutique) la grande nappe ocre où se devinent les détails d’un territoire. Pays. Mer.Terre. Vermeer. Frontières. D’ici, vu du livre (Vermeer Hazan), les détails des cartes se devinent plus qu’ils ne se lisent; cartes, deux je crois ont inspiré Vermeer, qui se répliquent, tout ou partie, de toiles en toiles ( il faudrait se poser la question de l’importance donnée à la carte en relation avec la scène que compose le tableau): L’officier et la jeune fille riant (carte entière), Le géographe (carte, juste un petit bout sur le mur, et globe terrestre posé sur l’armoire, et compas dans la main du géomètre en mouvement, cartes affleurant de la table), Une jeune fille assoupie (deux fois, sur deux plans dans la profondeur du tableau, petits bouts de cartes suspendues)… La femme en bleu lisant (un grand pan de carte, la tête, les épaules de la femme en bleu et la lettre se détachent sur ce territoire suspendu) et L’art de la peinture, l’atelier du peintre avec ce rideau de premier plan comme au théâtre et sur le mur du fond la carte tout entière. Cette carte déployée, distendue entre ses deux supports de bois glissés dans leurs fourreaux, plis et ondulations en supports de lumière, matérialité flottante de la carte et de ses territoires. Ces topographies comme un appel vers le dehors… le monde… (ici reproduction d’une carte bien réelle celle des dix sept provinces de Claes Jansz Visscher dessinateur, graveur néerlandais).

CARTE : ( jeu de carte) fermer les yeux et poser un doigt sur la planisphère. Chercher une destination au hasard : tomber sur le bleu, souvent… tout ce bleu sur la carte. ( Ocean et mers rougis )

CARTE: Le livre ouvert en secret, non qu’il te soit interdit. Livre plein de…. Tas de choses: chaussures, valises, lunettes, bijoux. De: cheveux, dents, os (et les yeux qui ont vu, disparus) … listes en noms perdus, consumés, retrouvés… lignes pointillées rouges et blanches qui balisent les photographies aériennes noires et blanches. Repérages. Emplacements fantômes, sortes de plans en palimpsestes. Retrouver l’endroit sous la cendre.

PLAN : Jeu de piste. Plan fait maison par une pirate de passage. Chasse au trésor. Plan en main, bille en tête suivre les lignes. Un ovale fait la mare; un rond plus petit un puits, gare à pas tomber dedans. Lignes pour rues. Ronds et croix pour arrêts avec énigmes. Au fond d’un trou sous les vers ce paquet de bonbon plein de terre: trésor.

CARTE : « Là c’est la côte bretonne ». La langue te sort de la bouche. Tu suis le pourtour, le calque bouge malgré les bouts d’adhésif collés aux angles. La ligne s’épaissit, tu perds les détails. Le plomb de ton crayon trop gras couvre tes doigts. Tu détoures. C’est un pays entier pleins d’empreintes digitales et de taches. En chemin tu vois surgir des formes: profils humains, bêtes… Après il faut de mémoire, de nord en sud et d’ouest en est, apposer les noms. Puis de mémoire, une fois encore, redessiner la carte.

PLAN: Plan longtemps se confond avec celui des scènes. Y trouver aussi des « rues », appelées vraies et fausses rues, lignes plus ou moins noires, toutes parallèles. (Chorégies d’orange: soixante mètres de large sur une quinzaine de profondeur, théâtre treize Paris: une scène pleines de chausses trappes, recoins et saillies, une seule entrée à jardin et le fond qui forme un angle, ici des petits carrés figurent des implantations de piliers; là ces pointillés des planches qui se démontent… ). Plans roulés ou pliés, calques, Canson, Sopalin, même sur vieux tickets. Plans ébauchés au crayon ou grattés au Rotring, à main levée ou sur la table à tracer. Plans au 1/100, 1/50,1/20/ … avec implantation des décors. Plans de scènes support d’architectures, virtualité de trajectoires à jouer, voyages scénographiques qui s’ancrent aux territoires de scènes….

GLOBE : globe terrestre un vrai/faux globe pour une scénographie (Verdi – Simon Boccanegra). Un ballon de gymnastique d’un mètre de diamètre recouvert de couches et de couches de journaux imbibés de colle (comme pour une Piñata géante) léger mais pas démontable. Reste pour le peintre à reproduire la maquette à l’échelle un. Une interprétation picturales de terres et de mers… un vai/faux monde à barbouiller.

PLAN/GUIDES: son automobile c’est une vraie bibliothèque à plans et guides, il achète tout. Ne mégote jamais quitte à se ruiner. Plans, guides avec pense-bêtes, post-it, barrettes (il lui a piqué ses barrettes parce qu’il a oublié ses trombones), un pliage très spécial pour garder l’endroit en mémoire, des croix rouges et des croix bleues. Il n’a pas le permis. Il fait copilote, une fois sur deux il oublie ses lunettes. Avec une loupe qu’il laisse toujours dans l’automobile ( il dit automobile, voiture jamais) il reprend l’itinéraire. Il aime les bis, les verts, les lents qui font voir du pays. Ses cartes et ses guides il les aime tout autant que ses Montaigne et ses Kafka.

GUIDE : Des ROUTARDS à foison avec le petit plan détachable qui se glisse au fond de la poche et se couvre de signes à n’y plus rien comprendre. Le guide lui même annoté, biffé. Guide carnet de voyage, support pour une  idée ou un croquis qui passent.  Guide herbier, guide collection de tickets et de billets collé à la pâte à mâcher. Guide qui ressert à vingt ans d’écart ( pour la salade fraicheur caché au bout de la ruelle faudra pas repasser le patron il a trépassé). Passer une heure  à la FNAC à lire un ROUTARD suffisait souvent à étancher une soif d’ailleurs.

PLAN, CARTE, GUIDE : un matin laisser tout en plan. Sortir, rien dans les poches. Tu te perds. Demander, en trois langues avec les mains, le chemin; cette passante qui te sourit et te fait de grands gestes… Foncer, à droite, te perdre à gauche… revenir en arrière, repartir. Laisser les plans; y aller tout de go ( poches crevées). La ville s’ouvre.

GUIDE : Antigone et Œdipe sur la route vers Colone. La fille guide du père-frère (vers sa mort).


A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

7 commentaires à propos de “#40 jours #6 | La carte Vermeer d’Œdipe à Colone”

  1. Éblouissant voyage. Merci Nathalie Holt , guide dans les fonds des Vermeer et architecte qui tient nos mains entre cour et jardin. Merci, merci, merci.

  2. Quand les couleurs donnent exactement le relief à imaginer
    les bizarreries géniales, des poussées de fièvre que j’aime
    et ça, le tempo hirsute : « La langue te sort de la bouche. Tu suis le pourtour, le calque bouge malgré les bouts d’adhésif collés aux angles. La ligne s’épaissit, tu perds les détails. Le plomb de ton crayon trop gras couvre tes doigts. Tu détoures. C’est un pays entier pleins d’empreintes digitales et de taches. En chemin tu vois surgir des formes: profils humains, bêtes… » tout
    tout peut donner vie

    • merci beaucoup Françoise (le tempo et la langue qui sonnent si bien dans tes textes )

  3. Ces plans, cartes ou guides faits pour rêver d’ailleurs, puis s’en débarasser pour partir vraiment: c’est tellement cela ! Et merci infiniment pour Vermeer !