#40jours #07 | Les vacances à la mer

Tu as tout retrouvé. Palmes, masque et tuba, même les bottes en caoutchouc, les bleues pour l’eau de mer, pas les marrons pour les boues campagnardes. Tout était à la cave, cette cave qui te faisait si peur quand tu étais petit parce que tu la connaissais mal parce que tu connaissais mal son obscurité, son odeur de poussière humide tirant sur le moisi, ses voutes et ses recoins, les outils de ton père qui étaient sûrement dangereux puisqu’il était interdit d’y toucher, ses bruits bizarrement modulés venant du soupirail donnant sous le trottoir, ses murs de briques nues qu’il fallait pourtant longuement caresser pour trouver l’interrupteur, toujours placé plus bas que là où tu le cherchais. Mais aujourd’hui tu as tout pour partir en vacances. Tu éteins la lumière, remontes l’escalier et son angle qui te laisse dans le virage la tête juste sous la porte, juste pour te cogner quand tu remontais en courant avec la boite de thon réclamée par ta mère pour le repas du soir. Mais maintenant tu es grand, tu pars tout seul en vacances. En vacances à la mer. Passage souterrain pour la voie 4 à la gare, le bruit des valises à roulettes qui prends toute la place dans le tunnel étroit, sol en béton avec de chaque côté une rigole pour récupérer ces liquides dont tu ne veux rien savoir, odeur de détergent, odeur agressive, mais pas toujours assez forte pour masquer l’odeur de pisse. Voie 4, tu remontes à l’air. Pas encore à l’air libre, c’est un air de gare, huile et métal chaud, souffle comprimé des trains, et les odeurs des gens, transpiration, pieds renfermés, parfums criards. Mais pour tes yeux, c’est déjà mieux, un peu de ciel entre les bâtiments et les abris des quais. Ton train arrive, voiture 5 place 88, musique et bouquin, ta bulle. Paris. Prendre le métro pour changer de gare. Le gros M tu l’as repéré, tu le suis, numéro de ligne, tu le suis, attention à la direction maintenant. Descendre un escalier, puis un autre, ces escaliers en béton avec les nez de marche en métal. Ici, tu es content d’avoir un sac à dos et pas une valise à roulettes. Ticket, portillon, ticket récupéré de l’autre côté et tu suis les pancartes, ligne, direction, jusqu’au quai. Pause. Tu poses ton sac. L’odeur est déjà là. Douceâtre, indescriptible, mais parfaitement reconnaissable. Tu n’as pas les mots mais ton nez a le souvenir. Ensuite tu regardes autour de toi. Avant tu n’as rien vu, tu cherchais les pancartes, ligne direction, escaliers, ne pas tomber. Maintenant tu attends le métro qui arrivera sur les rails si rapprochés. Il arrivera du trou noir au bout du quai. Un trou rond pour un train carré. Ça laisse la place pour les poursuites dans les films. Tu regardes les gens qui ne regardent pas autour d’eux. Ils ont l’habitude, ils doivent avoir une carte d’abonnement, pas des tickets en cartons comme celui que tu as dans ta poche. Ils ne regardent pas autour d’eux, ils regardent en eux, ils pensent à l’après métro, ils pensent à l’avant métro mais ils ne pensent pas au métro. Ils ne sont pas vraiment là. Arrivée du train, sonnerie des portes qui se ferment, départ. Dans ce train-là, tu surveilles la progression, de station en station pour ne pas rater la tienne, pour ne pas rater le prochain train, celui qui va t’emmener à la mer. Tu suis les pointillés : lumière, chercher la pancarte avec le nom de la station, vérifier, calculer, encore deux. Dans le noir du tunnel, tu regardes un peu autour de toi, des gens qui ne sont pas vraiment là, les mêmes que sur le quai. Lumière. Ta station. Ticket, portillon, ticket. Tu es sorti du métro, pour toi, les escaliers montent et ne descendent plus. Nouvelle gare, mêmes pancartes bleues, même fonte, même quai, même trains. Voiture 7, place 23. Musique, bouquin, bulle. Arrivée, pas de sous-terrain, privilège des grandes lignes dans les petites gares. À la sortie du bâtiment, tu te fies à ton nez, ça sent la mer. Palmes, masque et tuba. Tu descends dans le sous-terrain de l’eau

La faute à la canicule et à la chanson, j'ai eu envie de faire mon footing au milieu des algues et des coraux...

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

4 commentaires à propos de “#40jours #07 | Les vacances à la mer”

  1. (d’ailleurs (désolé) cette p… de régie de m… a décidé la mort du ticket carton et l’annonce à qui veut l’entendre entre ses recommandations à la c… pour faire boire de l’eau à ses clients) (fuck off) (certes) (j’aime bien savoir que sa mère faisait des provisions de conserve)(sympathique, ce footing)

    • Oui, des conserves, mais des conserves de thon : important le poisson pour des vacances à la mer, question de cohérence dans l’histoire… Quant aux tickets de métro, encore un coup porté à la lecture avec l’arrêt des marque-pages par carnets de dix…