#40jours #10 | Le bachal

Ma mémoire me joue des flous, elle découpe des morceaux dans mes souvenirs et ne m’en laisse que certains. Supplice du puzzle incomplet, des pièces manquantes disparues comme disparait l’eau des fontaines. Comme disparait l’eau du bachal. Il a été déplacé pour faire place à un chemin plus large. De l’ancien je ne me rappelle que de peu. Un bac en béton, peut-être décoré, mais je ne sais plus comment, un tuyau, de l’eau. L’ancien abri qui faisait de l’ombre les jours de lessive avait déjà disparu au temps de mes premiers souvenirs. Les images qui m’en reviennent sont des bribes ou des portions que je retrouve ailleurs, différentes mais pas tant que ça. Elles font le lien, maintiennent ces images-là à flot dans le flot des images. Le son de l’eau dans l’arrosoir en zinc, cette chanson qui évolue au fil du remplissage, passant du métal au liquide, ça résonne et sonne suivant l’ampleur du filet d’eau. Toujours un sourire pour ces graduations sonores, sans bien savoir pourquoi d’ailleurs. Sourire aussi pour les mains en godets quand il s’agit de boire, tout autant que pour asperger, pour le froid qui saisit la peau amollie de chaleur, les pieds plongés dans l’eau après un longue balade, tous ces instantanés me ramènent au bachal, au blanc de la chaleur, à l’été. Je m’y replonge comme dans ces jours de grand nettoyage, de bachal vide et de brosse de chiendent, dont me restera toujours une fade odeur de vase qui nous collait aux cheveux pendant un jour ou deux. De ce bachal qui faisait vivre tout un potager et suffisait comme piscine à une bande entière de gamines et gamins, ne me restent plus en souvenir que des éclaboussures

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

8 commentaires à propos de “#40jours #10 | Le bachal”

  1. Portrait très sensible dans le léger flou des oublis, tu nous y convies tout en douceur,

  2. Peu de souvenir, mais visuel, sonore, inspiré… tout en restant dans un flou qui nous prend par la main.
    Merci pour ce moment, merci pour ce bachal.

  3. Ce texte sonore et tactile, on vit les sensations de la fontaine qui prend vie dans notre corps.