#40jours #13 | Couleur chaude dans climat froid

L’homme était arrivé dans son dos, il l’avait pris par surprise. Les phalanges accrochées à son cou, l’autre main agrippée à ses épaules, Diederik avait senti ses pieds décoller du sol pavé et son dos se fracasser contre le mur. Le torse appuyé contre le sien, l’homme l’immobilisait. Le soleil couchant éclaircissait les édifices, créant des nuances allant du safran au corail. Les briquettes qui formaient les murs de la cité étaient rouges. Rien d’écarlate ou de rutilant. Non, c’était une teinte profonde et sombre ; organique ; presque brune. C’était la couleur qu’on donnait aux abris, aux terriers où se réfugiaient les animaux en cas de danger. Dans le sud, les parpaings sont de gros blocs gris qu’on pose les uns sur les autres. Arrosés de ciment, une couche de peinture après, ils deviennent de banals murs gris. Ici, dans le nord, les briques sont orangées, terre de Sienne brûlée pour être plus précis. Le nom de la couleur chante le sud et ses terres ocres. On utilise les briques rouges dans le nord. Une couleur chaude pour un climat froid.

Le corps de l’homme était collé à lui, Diederik sentait son haleine caresser ses narines. En apnée, il réprima une grimace. La tête appuyée contre les briquettes rousses, il sentait la rugosité du mur sur sa joue. Rectangulaires, fines et de taille inégales, les briques étaient jointes par un ciment gris. Elles semblaient poreuses, prêtes à absorber le froid et l’humidité du climat d’Amsterdam. A l’origine, elles avaient été rouille, presque comme des tuiles. Puis leur couleur avait varié au grès de leur exposition aux intempéries : le vermillon malmené par le vent était devenu sombre, il avait parfois viré au carmin, s’était assombrit jusqu’à devenir noir. Fouettée par la pluie, la pierre avait pris une couleur pourpre, presque orangée. A certains endroits, la patine du temps et l’usure avaient créés toutes sortes de traces. Des griffures, des tâches. La matière s’éteignait, ternissait, devenait grise. Une écorchure révélait son cœur sanguin, ses nuances incarnat, égarées parfois jusqu’au rosé.

Quand la lumière venait à manquer, qu’elle abandonnait le ciel et laissait mourir le jour, l’espace rétrécissait, les couleurs s’affadissaient. Un voile venait couvrir la ville, éteignant les couleurs une à une. On fermait les portes, tirait les rideaux. On se repliait vers l’intérieur. Les rues se vidaient peu à peu, on entendait un dernier pas solitaire résonner. Ici apparaissaient encore, un sourire carnassier, le reflet d’une lame de couteau. Diederik ravala sa salive. Ses mains moites s’appuyaient contre le mur comme s’il allait s’ouvrir. Le silence de l’eau stagnante, le miroitement des édifices, la lumière jaune des lampadaires : ce sont les seuls détails dont il se souviendrait. L’homme avait fini par le lâcher, sûrement par lassitude. Diederik ne se rappelait plus. Il avait donné tout ce qu’il avait sur lui, quelques billets de banque, son téléphone et même ses chaussures. L’autre avait disparu au coin d’une rue. Diederik avait couru jusqu’à l’arrêt de tram le plus proche. En plus de l’obscurité, comme souvent au petit matin, le brouillard envahirait la ville, la recouvrant de mystère. Diederik ne se souviendrait plus du visage de l’homme. Il ignorait si ce qui venait de se passer avait eu lieu.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.