#40jours #27 | fatigue-t-on les secrets?

Te souviens-tu d’elle ? Des reflets de ses cheveux ? Du timbre de sa voix ? Te souviens-tu de cette époque-là ? De celle-là et des autres ? De ma grand-mère, de ma mère ? As-tu croisé grand père ? Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ? M’a-t-on tout caché ? Qu’est-ce que je ne sais pas ? Je ne sais rien ? Je n’ai jamais questionné ? J’étais trop jeune ? Trop voyageuse ? Je ne m’intéressais pas au passé ? Étiez-vous du même âge ? De la même année ? Vous êtes-vous revues ? Perdues de vue ? Combien d’années ? Combien de distance entre vous ? L’as-tu vu mangé et rire ? Avez-vous ri ensemble ? On riait à cette époque-là ? De quoi viviez-vous ? Du S.T.O ? D’un travail de blanchisseuse ? Ah oui ? Et elle, ma grand-mère ? Pourquoi ne jamais me parler de lui, mon grand-père ? Faisiez-vous le jardin ? Pour le marché noir ? Vous visitiez la famille à la campagne pour vous nourrir ? Avez-vous tout oublié après la guerre ? Qu’avez-vous mis dans votre valise ? Un pyjama d’homme ? Une chemise de nuit ? Un cahier ? Un livre ? Lisiez-vous ? Pourquoi n’y a-t-il pas trace de vous aux archives de la prison ? Et elle, ma grand-mère, qu’aimait-elle ? Et elle, ma mère, riait-elle ? Me prenait-elle dans ses bras pour marcher dans la rue, descendre les escaliers, avancer, sautillez ? Me couvrait-elle de baisers aspirés ? Et vous, me portiez-vous jusqu’au fond du jardin, au fond du poulailler, au bord du ruisseau, près du tas de foin, dans l’allée des fraisiers, à l’orée du bois ? Vos cheveux ont-ils toujours eu ce blanc lumineux et votre peau l’odeur de poudre de riz ? Ma grand-mère portait-elle déjà ma mère au creux de son ventre ? Avez-vous eu des enfants ? Vous n’avez pas pu en avoir ? Me reconnaissez-vous ? Jai le même regard ? C‘est bien cela que vous me dites ? Le même regard qu’enfant ? Le même regard que ma mère ?

Est-ce que l’on peut étirer le temps ? Ai-je assez de temps ? Elle est partie trop vite. Elle avait toujours le temps. Est-ce que je peux étirer le temps lorsque je marche pied nu dans la terre, lorsque je fais la planche au milieu des vagues ? Est-ce qu’il faut habiter à la campagne, ne rien prévoir ? Il dit qu’il vit au jour le jour, qu’il n’a plus rien. Elle a tout vendu, ses meubles, ses livres, ses vêtements. Elle n’a gardé que le stricte nécessaire. Elle vit dans un camping-car. Elle dit qu’elle a le temps de parler aux gens. Quel est mon stricte nécessaire ? Chaque objet est souvenir. Est-ce que quelqu’un déroulera mes souvenirs ? Elle a rangé sa vie dans des valises, sur ses étagères. Tout sera jeté. Quelqu’un a ouvert les valises. Quelqu’un remonte l’arbre généalogique. Est-ce que je ressemble à l’un de mes ancêtres ? Est-ce que je pense comme lui ? Est-ce que je soutiens l’arbre ? Doit-on ressembler à sa mère ? Ne ressembler qu’à un côté de l’arbre ? Elle faisait tout au dernier moment. Pourquoi certains guérissent et d’autres pas ? Pourquoi abandonner ? Est-ce que quelqu’un appui sur un bouton pour tout éteindre ? S’éteint-on ? Je la vois voler au-dessus des maisons blanches ? Pourquoi appréhender à poser des questions ? Pour qu’il existe encore des secrets ? En écrivant, dévoile-t-on les secrets ?

A propos de Fabienne Savarit

J'ai toujours eu envie d'écrire des histoires. Le temps me manque, alors j'écris par petits souffles, en atelier, dans des carnets, sur un coin de table. Mon premier roman a été publié en juillet 2020, j'en suis encore ébahie. Mes mots sont voyageurs et se perdent au creux des courants marins. https://www.facebook.com/Fabienne-Savarit-Autrice-105753008006663