#4bis où le retard aurait pu trouver son explication

4bis

  1. Dans la nuit de samedi à dimanche David m’a téléphoné. Évidemment il avait oublié le décalage horaire et la sonnerie avait dû retentir plusieurs fois avant que je me réveille. Ellen grognait à côté de moi, l’oreiller sur la tête. J’ai glissé hors du lit et suis sorti dans le couloir dans l’obscurité. Ça faisait des mois qu’il n’avait pas donné de nouvelles. Du moins de vive-voix. On avait lu ses petits reportages sur son blog, ses tentatives d’écriture. Il semblait de plus en plus seul mais paradoxalement il se fondait de plus en plus dans la ville. Parfois on s’inquiétait pour lui, mais on se disait aussi qu’il vivait une expérience unique. Après son appel je n’ai pas pu me rendormir, une fois de plus, il venait de contredire tout ce qu’on avait cru. Je suis allé fumer sur le balcon, la nuit était froide, je ressassais ce que je venais d’entendre. Tout s’emmêlait. Je regardai la lueur rouge du mégot glisser le long de la façade et disparaître un fois au sol. Je rentrai.
  2. La porte-fenêtre était entrouverte. Colin avait bien suivi ma consigne. Je traversai le jardin pieds nus, les chaussures à la main. Tous les volets étaient fermés, aucune lueur ne filtrait mais déjà l’aube éclaircissait la façade. Dans quelques heures on ne verrait plus la trace de mes pas dans la rosée. Je ne voulais plus rejoindre la bande depuis ce qui était arrivé mais sur le coup de 10 heures du soir, ce fut plus fort que moi, j’ai laissé le signal convenu pour Colin et je me suis échappée de la maison avant que les parents ne rentrent du cinéma. C’est comme ça que tout a changé pour moi, dès ce soir-là. C’est du moins ce que je me suis dit rétrospectivement
  3. La circulation sur l’autoroute était plus clairsemée. N’apparaissaient plus de temps à autre que des convois de trois ou quatre semi-remorques bravant l’interdiction de rouler le weekend. J’avais contourné Paris en début de nuit et passé la frontière, l’absence de frontière, entre la France et la Belgique quelques heures après…Maintenant je voyais défiler les lumières qui bordaient les voies, mes pensées flottaient sans souci du point d’arrivée. Est-ce que j’en avais un d’ailleurs ? Bruxelles, Anvers, pourquoi pas Hambourg, le Danemark, et plus loin encore vers le Nord ? Le vertige du ruban noir qui disparaissait sous les roues m’avait une fois de plus envahi. Personne ne pouvait imaginer où je me trouvais. Je glissais dans un espace sans contours ni limites, seul dans l’obscurité.
  4. L’agenda est ouvert sur la table, comme tous les soirs. Quelques mots sur les actions, les rencontres de la journée, une initiale. À gauche lundi, mardi, mercredi jeudi, à droite vendredi, samedi, dimanche plus un espace vide. Le huitième jour, ou bien les heures intercalaires ?  Ce qu’il faudrait, c’est insérer, au revers peut être, sept nuits. Il leur faudrait des noms. La nuit de samedi à dimanche, par exemple. Somnie. Et puis dormedi, etc.
  5. Le samedi soir, il ne mettait pas le réveil. Aucune sonnerie ne le tirerait de son sommeil. Il s’étirait sous le drap, creusait l’oreiller de la tête pour en vérifier la douceur et fermait les yeux. Le chat venait se blottir et bientôt les ronronnements de l’animal et le souffle de sa respiration s’accordaient. Les prémisses d’un carillon, d’abord quelques coups légers, puis quelques notes plus insistantes, puis enfin la pleine volée des cloches. La nuit avait disparue, c’était dimanche. 
  6. Maintenant il se souvenait. C’était il y a très longtemps, au temps de l’enfance, au cours des vacances d’été. Les fenêtres étaient ouvertes, on entendait le ressac et le faisceau du phare rayait les murs à intervalles réguliers. Il s’était réveillé d’un coup. Comme alerté au milieu d’un rêve. Des voix montaient de la terrasse. Des mots proférés entre des plages de silence épais. Un nom avait été lancé. Il avait eu peur d’en entendre un autre, sans savoir pourquoi. Il s’était bouché les oreilles et était resté là, sans pouvoir se rendormir, comptant les secondes entre les signaux lumineux.
  7. Comment la nuit du samedi au dimanche de la deuxième semaine d’août n’eut jamais lieu et des répercussions inattendues sur le cours des événements. Chapitre 1. Du cycle aléatoire des calendriers. 

A propos de Liliane Laurent

griffonneuse dans ateliers multiples. Steph, l'éditeur du Hanneton m'a fabriqué deux jolis livrets, les Effilures (les Certains jours que je publie sur FB depuis plus de 10 ans de façon aléatoire) et Rockaway (hommage à Patti Smith) pour la série Poètes & Songs. on me retrouve aussi sur mon profil Lily Briscoe Lighthouse. Existe aussi sur blogspot Les effilures de lil.