#6 sept jours

MERCREDI matin vers 8 h 30 – La camionnette.

Un homme en combinaison blanche, cigarette au bec et sourcils froncés, déroule un tuyau près d’une camionnette blanche surmontée du panneau « travaux publics », garée sur le trottoir. Du véhicule sort du rap à fort volume. Je m’arrête pour écouter. Aussitôt, l’homme plonge à l’intérieur et coupe le son. Le regard coupable qu’il me lance en ressortant de la camionnette, comme si j’allais le dénoncer pour avoir écouté du rap à fort volume pendant ses heures de travail.

MARDI fin d’après midi, un peu après 19 h – Les jeunes amants.

La fille, elle marche sur la chaussée, à larges foulées souples de sa longue jupe en tissu léger. Ses yeux immenses, très maquillés. Danse de séduction du garçon devant elle marchant presque à reculons. Elle rit aux grimaces qu’il lui fait. De temps en temps, elle lui donne un petit coup de griffes.

LUNDI après-midi vers 19 h – Duo.

La terrine de canard, chair rose sur le jaune-brun d’une tranche de pain d’épices au miel, les grains de sucre candi piqués dans la peau brune faisant ressortir la fadeur un peu grasse du pâté. La bouchée avalée, c’est le goût du poivre qui reste sur la langue et s’élève sous la voûte du palais.

DIMANCHE matin, vers 10 h. Les lèvres.

Les lèvres pulpeuses, siliconées, de la femme assise sur le banc dans le parc, se joignent et s’avancent, dans la forme qu’il est convenu d’appeler celle d’un baiser. Comme dans les pubs sur écran, dans le métro, mouvement machinal, en boucle, ses lèvres, comme des caniches bien dressés.

SAMEDI – entités.

Sur le camion jaune : besoin d’envoyer un colissimo ? Cliquez, j’arrive. Qui parle ? Le camion ? Le conducteur-livreur ? Le colissimo que je serais susceptible d’avoir besoin d’envoyer ? le service Colissimo lui-même ? le publicitaire du service ? un farceur (petit saut dans le futur), sachant que le service Colissimo n’existe plus ? un ami qui s’est fait embaucher par Colissimo pour le cas où j’aurais besoin d’en envoyer un ? si quelqu’un a une autre idée…

VENDREDI 14 h 30 – Mezzé

La table de la cuisine entièrement recouverte par les plats libanais dans leurs barquettes rondes en plastique transparent. Vert du taboulé, rouge vernissé des poivrons confits, rose pâle du tarama de saumon, beige clair du hoummous, triangles fourrés, feuilletés, boulettes de viandes en galets sphériques, boulettes fourrées d’une substance très blanche, élastique. Autre blancheur de la crème de lait parfumée à la fleur d’oranger et recouverte du brun et du vert des pistaches pilées.

JEUDI matin, 8 h 10 – Brutalité.

Une frange épaisse couvre le front jusqu’à la monture des lunettes, derrière lesquelles le regard s’est noyé. Tailleur d’uniforme, calot au liseré rouge.

– Ces enfants sont très chargées, laissez moi les accompagner jusqu’à leur wagon.

Mouvement de tête sans ambiguité : c’est non. Un gros homme nous bouscule : laissez-moi passer !

MERCREDI – Le guide.

La position de ses jambes est celle d’un dompteur, on entend claquer son fouet sur les pavés. – Bravo ! on applaudit madame. On voudrait s’échapper mais on n’ose pas, il y a un cadenas sur la grille extérieure. Dans une salle immense, il nous fait grimper sur un manège, ouvre un placard, appuie sur une manette, et le manège se met en marche, tournant de plus en plus vite sur une ritournelle de boîte à musique qu’il couvre d’une voix de stentor en courant tout autour.

– La sortie ? La sortie ? Mais c’est par là, voyons, tout droit, comment ? mais non, c’est ouvert, c’est tout droit, vous voulez partir ? Mais pourquoi ?

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.