#boost #09 | derrière la vitre (en 230 mots)


Je souffle sur la vitre, sale, pleine de stries opaques, de traînées de pluie qui ont séché. L’air projeté forme une buée couvrante, neigeuse, où je piège mes questions sans réponses d’un matin trop froid. L’air s’accumule à la surface en couche fine qu’on ne peut plus respirer. Je reprends dans mes poumons une longue goulée que j’expulse à nouveau pour épaissir le dépôt qui se délite déjà. La vapeur qui émane de ma bouche couvre la vitre d’une nouvelle pellicule opaque, inerte, passive qui attend le coup de torchon, exactement comme le verre de lunettes qu’on nettoie à la peau de chamois. Je visualise l’animal à la robe beige, me dévisageant et que je pourrais dessiner de façon naïve, museau, cornes, barbe. Ce qui importe c’est moins le dessin que l’apparition du paysage derrière la fenêtre. C’est comme dévoiler un secret ou un mystère qu’on aurait longtemps caché. Le doigt qui trace est un souvenir d’enfance. L’index sur la vitre de la cuisine, de la salle à manger, de la voiture, de l’autobus, du train. La vie est pleine de vitres qui nous montrent une réalité bien trop nette, qu’il nous arrive d’opacifier exprès pour le plaisir de dévoiler petit à petit les choses, pour se faire une surprise ou un cadeau. Ce que m’offre mon doigt derrière la paroi, c’est une impression de printemps, les premières fleurs d’abricotier.

A propos de Perle Vallens

Au cœur d’une Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie. Ecrire c’est explorer l’intime et le monde, porter sa voix pour toucher. Publie récits, nouvelles et poésie en revues littéraires et ouvrages collectifs. Lauréate du Prix de la Nouvelle Erotique 2021 (au diable vauvert) et autrice d'un livre de photographie sur l'enfance, Que jeunesse se passe (éd J.Flament), d'un recueil de prose poétique, ceux qui m'aiment (Tarmac), d'un recueil de nouvelles, Faims (Christophe Chomant) et d'un récit poétique et choral, peggy m. aux éditions la place. Touche à tout, pratique encore le caviardage, le cut up (image et/ou son), met en voix (sur soundcloud Perle Vallens ou podcasts poétiques), crée des vidéo-poèmes et montages photo-vidéo (chaîne youtube Perle Vallens)...

7 commentaires à propos de “#boost #09 | derrière la vitre (en 230 mots)”

  1. comme une promenade à travers la vitre et ses minuscules déformations et dépôts
    une nouvelle réalité paraît
    et ce dernier élan si doux vers les abricotiers…

    • j’aime bien, J. aime beaucoup ça entendre ce qui se passe dans la tête pendant un simple geste du quotidien, un petit acte ménager…
      (l’air qui se dépose et qu’on ne peut plus respirer… (

  2. La vision derrière la vitre embuée, le regard erre …c’est comme un cadeau.

  3. Superbe texte !
    Ces détails, cette précision autour de la description de la fenêtre, dès les premiers mots.
    Cette phrase : ‘où je piège mes questions sans réponses d’un matin trop froid’ !
    Et puis ‘L’index sur la vitre de la cuisine, de la salle à manger, de la voiture, de l’autobus, du train.’, les souvenirs que ça fait remonter.
    J’ai passé un agréable moment à vous lire.
    Merci.

  4. j’aime beaucoup ces jeux de buée et « Ce qui importe c’est moins le dessin que l’apparition du paysage derrière la fenêtre. » si vrai…

  5. #11 | Merci pour la force de résistance de ce nous, de ces « insignifiantes », tellement puissante qu’elle résonne aussi pour les vivants – humain.es !

    Et je lis la #5 ! J’aime l’épaisseur que donne l’écriture à ce simple geste ô combien familier… Merci pour ce réel augmenté en poésie !