#rectoverso #15 | Eau

Je pars

Je veux retourner dans mes îles, aux Shetlands, y retourner en bateau

Je ne sais pas exactement pourquoi je veux y retourner, mais je veux y retourner en bateau

Un bateau un peu comme une île flottante

En passant par les îles, toutes les îles que je trouverai sur ma route

J’ai un truc avec les îles. Surtout depuis Lavrec. Je ne sais pas exactement ce que c’est mais j’ai un truc avec les îles, toutes les îles, alors, mettre toutes les îles sur ma route

Petits points

Pointillés

Pas points de suspension, je n’aime pas les points de suspension, on y met tout et n’importe quoi

D’un autre côté les points de suspension ça laisse la place pour y mettre tout ce qu’on veut quand on ne sait pas ce qu’on veut

Ça fait travailler celle ou celui qui lit, les points de suspension

Ça fait partage

On comprend comme on veut comprendre

Pour comprendre mes îles, les îles, la mer autour, la vie qui se replie juste sur l’île, qui se replie sur elle-même comme une pâte feuilletée

Pâte feuilletée comme un livre, comme une pile de feuilles

Une pile de papier

Une pile de photos

Pile, île, il

Île comme il

Il comme mon oncle, comme mon oncle et ses regards en bras de poulpe qui se posaient sur moi

Il comme mon père, mon père et son vide, mon père vide

Pas de elle dans mon histoire, juste son ombre à elle, partout, l’ombre de ma mère, disparue dans la mer, son corps jamais retrouvé, pas de point à son histoire

Les mots, les points, les phrases m’aident à penser, me mettent les choses devant les yeux, dans la tête, m’attrapent par une oreille comme le faisait encore de temps en temps le maître à l’école quand on faisait une grosse bêtise

Le vieux maître d’école dans la petite école des îles

L’école où j’ai appris les mots, les lire et les écrire

Les mots

Et en plus j’ai le choix, le français ou l’anglais, le français et l’anglais, un peu le gaëlique que j’ai beaucoup oublié

Oubli

Mémoire

Souvenirs

C’est peut-être ça aussi la photo, les souvenirs

La photo et les îles, pas question de lâcher

J’ai un truc avec la photo et les îles

Pour le passé, quand je n’ai pas de photos, je me raccroche aux mots

Les mots réparent les trous, les manques, les oublis, pas les photos. Ravaudage. Des pièces de mots entre les photos, comme une pièce sur une vieille voile, pour encore naviguer

Une histoire de temps

La photo c’est du présent

Les mots c’est du présent, du passé, de l’avenir, du futur, les mots c’est tous les temps, tout le temps

Les mots c’est pour ce qu’il me manque, qui n’est pas sur les photos, les photos c’est le contraire de l’oubli, l’antidote à l’oubli

Il faut que je me plonge dans les mots pour réparer l’oubli

La photo et les îles et les mots

Au boulot, en bateau

J’ai besoin de flotter

Photo, bateau, mots

Eau

Codicille
Le texte tout entier est presque un codicille, ou plutôt une feuille de route, une liste de courses pour ne rien oublier quand j’écrirai l’histoire, à moins que ce ne soit Mow qui écrive son histoire. Je flotte. Sur une mer de questions, avec de temps en temps quelques îles de textes qui émergent par ici

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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