Allée de Amandiers (St Claude-Guadeloupe)

Houra! La bille a traversé la grande longueur de la grande terrasse en L qui occupe tout l’avant de la maison coté Allée de Amandiers. Le long roulement s’est terminé par un double tintement contre les grosses billes qui attendait de l’autre côté. Je me suis applaudis bruyamment. Personne à proximité pour admirer la performance. Même le chat lové sur l’une des chaises de la grande table ovale en fer forgé n’a pas bronché. Il s’enroulait toujours le dos contre le dossier en particulier les jours de forte chaleur. J’aimais l’ombre de cette terrasse balayée par les Alizées. Dès lors il y faisait toujours frais même à la saison la plus chaude. Seuls les mobylettes trafiquées perturbaient bruyamment le calme du quartier.
Entre la maison et la rue, le jardin était très étroit, la place pour une voiture et trois arbres. Le vrai jardin était à l’arrière. On pouvait jouer au foot. Nous avons même eu pendant un temps trois poules qui gambadaient dans cet espace. Une haie de petits arbustes touffus nous isolait des voisins et un grand arbre à litchi trônait dans un angle. Il nous régalait deux fois par an. Il y avait juste à coté du jardin arrière le petit garage pour notre seconde voiture, simplement quelques parpaings et un toit en tôle. J’adorais monter dessus avec mes copains pour dominer le quartier, faire du bruit avec la tôle et jouer à Tarzan dans la jungle hostile.
Quand il pleuvait, je me réfugiais dans ma petite chambre tout au fond du couloir, celle de mes parents, plus grande avec une immense armoire en bois et en miroir, était à droite et celle de ma soeur, à peine plus grande que la mienne, était au début du couloir juste après la grande salle de bain. A l’ombre du Litchi, ma chambre était assez sombre tout au long de la journée et je n’entendais aucun bruit car les voisins de ce coté-là, n’utilisaient pas leur jardin. En entrant, il y avait d’abord à gauche mon bureau pour les devoirs puis mon lit contre le mur, de l’autre coté mon armoire bleue occupaient les deux tiers du mur et puis mon coffre à jouet qui se baladait au gré de mes envies et des histoires que j’inventais avec mes Playmobils ou mes petites voitures. Au-dessus de mon lit, j’avais collé un poster des chûtes du Carbets avec des hibiscus au premier plan. Parfois, je jouais aux billes dans le couloir des chambres, ce qui avait le don d’agacer tout le monde. Le roulement et le choc entre les billes y étaient amplifiés de manière incroyable. Même avec la petite lumière de chevet, j’avais souvent du mal à m’endormir à cause des ombres du jardin qui se reflétaient sur ma fenêtre. Il n’y avait pas de volet et le matin, je me couvrais les yeux avec mon doudou pour éviter que la lumière ne me réveille. Plusieurs fois par grand vent j’avais eu l’impression que les arbres du voisin allaient finir par tomber dans ma chambre.
La salle de bain était jaune avec un petit lavabo mais une grande baignoire-douche. Aucun meuble, juste une étagère avec tous les produits, les brosses à dents, le rasoir et le blaireau de mon père, quelques patères et portes serviettes. La machine à laver était dans un angle. Entre raclement et feulements aigus, elle faisait un bruit infernal pendant l’essorage… aucun bricolage ou réparation ne sont parvenus à enrayer cette présence démoniaque. Une grande fenêtre donnait sur le jardin de derrière. Je passais des heures dans la baignoire avec de l’eau très chaude et quelques Playmobils. En coulant, ils faisaient un glouglou réjouissant.
Proche du salon – salle à manger et de la terrasse, la cuisine était peinte en blanc, carrée, sobre et efficace. Pas de décoration ni autres fioritures. On y trouvait un très grand frigo, le congélateur, au ronronnement apaisant, était toujours plein de glaces, une gazinière, deux petits meubles, un pour les casseroles et tupperwares, un pour les conserves et autres denrées non périssables et un grand évier blanc. Les poubelles n’étaient pas loin au pied de l’escalier coté jardin.
Le salon – salle à manger occupait la moitié de la maison avec une table ronde dans un angle et un canapé en rotin dans le coin opposé juste face à la télévision. Une grande table basse en rotin séparait le canapé de la télévision. Quand des amis étaient là pour l’apéro, je frémissais au crissement du rotin lorsque les uns et les autres se tortillaient sur le canapé. Le tintement des verres amenait un peu de joie dans cette pièce trop sage. Près de la table ronde trônait le bahut familial remplit à ras bord de vaisselle. Je n’avais pas le droit d’y toucher de peur que je casse l’héritage familial. Dessus, il y avait un pot de fleur souvent vide et deux coquillages de Lambis qui avaient des reflets inquiétant la nuit tombé.

A propos de Xavier Galaup

Bibliothécaire en Alsace, j'écris poésies, nouvelles et textes courts depuis de nombreuses années.