autobiographies #09 | ascendance

Puis ce fut à nouveau le silence et la nuit. La peur des bêtes nocturnes la poussa dans la gueule d’un souterrain où elle ne laissa pas ses yeux s’acclimater à l’obscurité dans laquelle pendait par les pattes trois dizaines de chauve-souris mais se précipita au fond du boyau de pierres humides. Ses doigts devinèrent une porte dont elle secoua l’anneau de métal, délitant des générations de toiles d’araignée, et qui s’entrouvrit assez pour qu’elle se glissât. Puis il y eut une une volée de marches creusées par le temps et les passages clandestins, qu’une source de lumière indécelable éclairait faiblement, donnant sur un battant de fer qui pivota sans bruit. Puis les odeurs d’essence émanant d’un garage où dormait une voiture familiale sous une bâche bleue. Traînaient des outils désœuvrés, des boites à biscuits qu’un homme portant chapeau de paille fouillait à la recherche du boulon de bonne taille sans la remarquer, elle, longeant les étagères en direction d’une porte à la vitre occultée par une dentelle qui se souleva légèrement quand elle tourna la poignée couleur cuivre. Puis ce fut une cuisine surchauffée où mijotait sur le gaz la confiture de groseilles ; elle passa tel un spectre derrière la vieille femme qui suivait de l’index une recette inscrite dans un minuscule carnet aux pages tâchées. La grande glace du couloir, cernée d’acajou, reflétait un jardin où jouait une enfant. Puis la même mais jeune fille s’échappa en courant d’une chambre meublée de lits jumeaux couverts d’un jeté orange, en tuft à motif de chenille ondulé. Suivit un cabinet de toilette arrangé dans un placard où un homme se rasait en écoutant un jeu radiophonique. Elle déplia l’escabeau qui attendait sous la trappe taillée dans le plafond couvert de frisette, la poussa et sans la refermer déboula sur le tapis chinois d’un bureau où une horloge dorée comptait les secondes sans agacer personne. Elle entendit, montant assourdies de la terrasse, les voix des convives qui déjeunaient à l’ombre des tilleuls. Puis sur la pointe des pieds elle traversa le couloir de l’étage, la paume de la main droite glissant sur la balustrade en noyer et fit tourner la clé dans une serrure qui, contrairement au parquet, ne cria pas, traversa une chambre aux rideaux tirés où dans un petit lit laqué blanc sommeillait un bébé parmi les oiseaux exotiques et les palmes vertes du papier peint. Dans l’angle, un escalier colimaçon girait vers une autre trappe qui la mena au grenier sur le plancher duquel des moutons filèrent se planquer sous des fauteuils déglingués. Elle avisa le vasistas dont elle fit coulisser le mécanisme et se hissa sur le toit d’ardoises où se miraient les étoiles. Puis ce fut à nouveau le silence et la nuit.

A propos de Juliette Keating

Vit et travaille en région parisienne. Autrice, elle a publié un roman "Awa" (éditions le Ver à soie), un recueil de portraits de jeunes gens illustré par Béa Boubé "Blaise, Léa et les autres…" (éditions Libertalia) et deux romans jeunesse (Magnard). Contributrice à la revue culturelle délibéré.fr.

2 commentaires à propos de “autobiographies #09 | ascendance”

  1. Chacun de ces lieux est présent, ou plutôt on y entre successivement avec le personnage, comme si on y était, vous nous y entraînez sans qu’on puisse résister. J’aime beaucoup.